La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Willy*, fin soixantaine

Willy* est à la croisée des chemins. Fin soixantaine, en couple depuis toujours avec la femme de sa vie, il a connu des hauts et des bas, et eu envie de se raconter aujourd’hui. Pour se confier, mais surtout philosopher.

« On voit souvent la vie des vieux amants comme un long fleuve tranquille, résume-t-il, mais c’est tout sauf un long fleuve tranquille ! »

En fait, si vous voulez tout savoir, l’homme nous écrit depuis deux ans maintenant. Et il aura mis tout ce temps pour se « dégêner ». Régulièrement, presque chaque semaine, en fait, il réagit aux témoignages. Il nous a même écrit un texte-fleuve, tenez-vous bien, à la manière d’un « Derrière la porte », sur sa vie. Ça vous donne une idée du personnage, qui chante Richard Desjardins ici, Joni Mitchell là (d’où son choix de pseudo, d’ailleurs), en plein entretien.

On finit par se rencontrer dans un café du nord de la ville, « au milieu de nulle part », plus tôt à l’automne, tel qu’il l’avait lui-même prédit. Pas de doute, c’est un drôle de moineau, du genre à citer Saint-Exupéry, à parler en métaphores, pour évoquer non pas les hauts et les bas de la vie, tiens, mais plutôt les « marées ». Nous y reviendrons.

C’est que sa vie se décline en chapitres. Point de marées les premières années. En fait, après une première blonde à l’adolescence, Willy rencontre sa conjointe actuelle, « l’être et la femme de [sa] vie », au cégep. C’était il y a près de 50 ans. Après un premier baiser « dans une tempête de neige », ils se retrouvent quelques semaines plus tard au lit. « Délicieux, dit-il en souriant. J’ai encore des images en tête. »

À l’époque, ils vivent chacun chez leurs parents. Ça ne se fait pas d’emmener une blonde à la maison. Alors ils se prennent ensemble une « piaule », raconte-t-il, « pour vivre [leur] sexualité au grand jour ». La lune de miel dure 18 mois, et finit assez raide, merci, « avec de la vaisselle brisée ».

On est deux personnes intenses. On est encore deux personnes intenses…

Willy, fin soixantaine

Ils décident alors de rester « amants », mais partent vivre chacun de leur côté. Remettez-vous dans le contexte : « On n’avait pas de cellulaire, même pas de répondeur, cela permettait beaucoup de libertés… » Ils se voient les week-ends, et entre-temps, s’entendent sur cette « convention » : « Si tu vas ailleurs, je ne veux pas le savoir. »

Et puis ? Oui, notre Willy papillonne un peu, mais bien peu. « Je me souviens du prénom de chacune. Cinq filles en cinq ans. » C’est que les aventures d’un soir, ça n’est pas son truc. « Ce que j’aimais, c’est faire l’amour… »

Avec les années, nos « amants » décident d’ailleurs de se caser. « Il est temps qu’on grandisse ensemble et qu’on fonde une famille », rapporte Willy.

Nous voici au deuxième chapitre de sa vie. C’est aussi à ce moment précis de l’entretien que Willy nous parle enfin de ses « marées » de la vie. Avec l’arrivée des enfants, les soucis psychologiques et le boulot, viennent les fameuses « marées basses », philosophe-t-il. Puis, inversement, avec les déménagements (« et on a déménagé dix fois ! »), le départ des enfants, viennent au contraire les « marées hautes ». « On se retrouvait comme des tourtereaux. »

Énième marée : la ménopause, il y a quelques années, qui a forcé le couple à faire plusieurs deuils, notamment celui de la pénétration, désormais « trop douloureuse » pour madame, confie notre homme, avant d’ajouter tout bas : « Mais elle a beaucoup d’imagination… »

Quant à la fameuse et légendaire « baisse de la libido », Willy y va ici d’une nouvelle métaphore, automobile cette fois : « Ce n’est pas un problème de batterie, mais de démarreur », dit-il en souriant. On comprend qu’ils n’ont pas mis une croix sur la chose, mais ont plutôt changé de rythme, confirme-t-il, adoptant désormais le slow sex.

C’est-à-dire ? C’est madame qui « call les shots », en bon français. « On est dus ! », illustre-t-il. « Et là, ça peut prendre deux ou trois jours : on se courtise, on se rapproche, souvent à l’apéro. Tout commence avec l’art du baiser. Puis on fait l’amour. » À quelle fréquence ? Willy refuse ici de répondre. « Ça a tellement peu d’importance… »

Certes, on comprend que c’est surtout ici que notre Willy s’est « fait une philosophie », comme il dit, en nous expliquant que pour lui, faire l’amour, c’est essentiellement « donner un sens aux plaisirs des sens ».

Et quand on le fait, c’est tellement ressourçant qu’on n’a pas besoin d’entrer dans la répétitivité.

Willy, fin soixantaine

N’empêche. Il ne le cache pas, plusieurs questions lui sont ici venues à l’esprit : « Comment on dit ? demande-t-il. FOMO ? [pour fear of missing out]. Est-ce que je vais retourner baiser ? Compenser ? », s’est-il interrogé. La question l’a travaillé à un point tel que oui, il a fini, par une de ses fameuses « marées basses », par aller voir ailleurs. « Je suis allé chercher un rush de dopamine », résume-t-il. Et puis ? « Je le regrette […], je me sens coupable. […] Je me suis laissé aller à satisfaire mon ego au lieu de rester qui je suis. » C’est-à-dire : Willy, cet homme qui aime sa femme plus que tout, et qui n’aime pas « baiser pour baiser », souvenez-vous.

Alors ? Alors il est à la croisée des chemins, on l’a dit. Quelques jours avant notre rencontre, il a eu une rencontre avec son médecin. Mauvaise nouvelle : Willy doit entreprendre des traitements contre un cancer de la prostate jusqu’ici en dormance. Quand le verdict est tombé, un véritable « tremblement de terre », madame était à ses côtés. « Elle m’a pris par la main et elle m’a dit : “On va faire l’amour” », dit-il en souriant. « Et on a fait l’amour comme quand on était jeunes. Comme pour conjurer le sort… »

Willy nous laisse avec une ultime réflexion sur sa vie : « Il y a des jours où je me sens moche, conclut-il. Et puis d’autres où je me dis : on va s’adapter, c’est ce qu’on a toujours fait ! »

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat