La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Marie-Paule* a 70 ans et elle n’a jamais pris son pied avec un homme. Elle n’a jamais été heureuse en relation non plus, et a toujours cru qu’elle avait un « défaut de fabrication ». Récit (à lire absolument jusqu’à la toute fin !).

« Dans toutes mes relations, j’ai eu des insatisfactions. Une relation heureuse avec un homme, je ne connais pas ça. »

Nous sommes assises dans son coquet appartement de banlieue. Marie-Paule, toute petite, avec ses cheveux coupés au carré, ses yeux bien dessinés, ne fait clairement pas son âge. Elle dégage surtout une fragilité qui caractérise bien le personnage, à la fois timide et écorché, quoiqu’animé d’une ferme envie de se raconter. « En espérant que d’autres femmes se reconnaîtront… »

Adolescente, déjà, elle se sentait bien « seule », avait peu d’amis, et ses parents étaient en prime peu présents. Sa santé mentale est vacillante et elle manque cruellement de confiance en elle. « Je souffrais beaucoup. »

Sa première relation sexuelle ? « Vers 17 ou 18 ans, dit-elle, avec un homme plus âgé. » Il a sans doute plus d’expérience, mais Marie-Paule est « incapable » de lui faire part de son ignorance. « Je ne connaissais rien ! Je ne connaissais pas mon corps, je ne m’étais même jamais touchée ! Alors ça a été honteux et douloureux […]. Mais je voulais savoir ce que c’était ! »

Et puis ? « Finalement, il est devenu mon mari », enchaîne-t-elle, ainsi que le père de ses enfants, dans une histoire qui va durer 10 ans.

Non seulement elle est « psychologiquement malade », dit-elle, mais en plus, monsieur est « contrôlant ». « Il était jaloux […] et moi, j’arrivais d’une planète où je ne connaissais rien de la vie, des hommes, je ne savais pas comment prendre ma place ! »

Ni dans la vie ni au lit.

Je subissais sa sexualité. La sienne. Et elle était exigeante. Il fallait que je lui fasse des fellations. J’étais obligée.

Marie-Paule, 70 ans

« Je n’avais pas le choix, il était plus fort que moi ! »

Une équation qui laisse peu de place à son plaisir à elle. « J’espérais, j’attendais, mais la sexualité de mon partenaire était trop envahissante pour me laisser de la place. » Elle l’entend encore lui demander : « Est-ce que tu as joui ? »

« Mais je ne savais même pas ce que c’était ! »

Une fois, et une fois seulement, après la naissance de ses enfants, pendant une activité de sexe oral, Marie-Paule se souvient d’un frisson. « J’ai essayé de retrouver ce plaisir, dit-elle, mais c’était compliqué. […] Il ne m’a pas aidée dans cette démarche. »

Ce n’est pas tout : avec le temps, monsieur devient carrément « violent ». « Si le mouvement #metoo avait existé… », laisse-t-elle tomber.

Elle quitte son conjoint, part avec les enfants, et les années qui suivent ont beau être « difficiles », Marie-Paule demeure préoccupée par une chose : sa sexualité. « Peut-être que j’ai quelque chose à vivre et je passe à côté ? Alors je suis allée voir un sexologue. »

Ça ne s’invente pas : « Après cinq ou six séances, poursuit notre interlocutrice, je me suis retrouvée dans son lit… Aujourd’hui, ça non plus, ça ne serait pas acceptable… »

À l’époque, ajoute-t-elle amusée, elle ne se questionne pas trop sur l’affaire. « Mon désir d’arriver à la jouissance m’empêchait de me poser trop de questions ! »

Non, cette « thérapie » ne l’aide pas vraiment. « Au lit, tout ce qu’il voulait, c’était des fellations ! Je pense qu’il ne m’a jamais pénétrée. » Ni trop touchée, d’ailleurs… « La seule chose qu’il m’ait conseillée, c’est d’essayer avec des jouets. » Ce qui n’est pas un mince détail, finalement, puisque Marie-Paule finit ce faisant par enfin oser « explorer ». Résultat ? « J’aimais les sensations », répond-elle. Mais ça n’est pas non plus une révélation. « Non, nuance-t-elle. Mais je sens une onde, comme une vague. »

Elle met un terme au chapitre avec le sexologue puis poursuit sa quête en consultant une gynécologue. « Peut-être que c’est mon anatomie, un problème de fonctionnement physique ? »

J’ai une amie, à peine pénétrée, elle me dit qu’elle jouit ! Penses-tu que moi, à côté, je ne me sens pas anormale ?

Marie-Paule, 70 ans

« Est-ce que j’ai un clitoris défectueux ? En tout cas, je n’ai pas trouvé mon anomalie… »

Pendant les années qui suivent, Marie-Paule, désormais séparée, rencontre une poignée d’hommes, des histoires d’un soir et autant de déceptions. Il faut dire que les conditions sont loin d’être gagnantes, sait-elle. « Moi, je ne suis pas capable d’exprimer mes besoins, et personne ne s’occupe de moi ! » Les scénarios se suivent et se répètent : « L’homme arrive, il bande, il pénètre, il jouit, puis : bonjour, bonsoir, c’est tout ! Aucun ne me dit : “Est-ce qu’il y a quelque chose qui te ferait plaisir ?” On ne m’a jamais demandé ça ! Pas une fois ! »

Est-ce de l’ignorance ? Marie-Paule y voit surtout une sorte de « peur ». « Comme si les hommes avaient peur du sexe d’une femme. Comme si mes organes génitaux n’étaient pas assez attrayants pour qu’un homme désire y toucher… »

Mi-trentaine, elle rencontre un énième homme avec qui elle passe 10 ans. Un type qu’elle trouve « sexy », mais avec qui ça ne se passe pas mieux au lit. « Il avait toujours son ex en tête. Même sexuellement, il comparait ma vulve à la sienne ! »

Ce sera aussi son dernier partenaire de vie. Dernier amant ? Pas exactement. Mi-quarantaine, Marie-Paule se retrouve donc seule à nouveau, et fréquente quelques années un « ami », « chacun chez soi », précise-t-elle. Énième déception : « pour lui, une femme, c’est quelqu’un que tu protèges, pas que tu fais jouir ».

Depuis ? Pendant plus de 10 ans, Marie-Paule ne voit personne. « Je me suis desséchée un peu », dit-elle en riant. Puis, sans crier gare, dans la dernière année, un type qu’elle a baptisé son « rôdeur » a surgi dans sa vie. Cette histoire à coucher dehors l’a visiblement ravigotée. « Je le croisais dans l’immeuble. Je le trouvais beau, c’est sûr, mais je n’ai jamais pensé ça en termes sexuels, jamais, jamais, jamais ! », raconte-t-elle en rougissant. Pour cause : son « rôdeur » n’a pas 30 ans !

Or voilà que de manière tout à fait « inattendue », comme elle dit, il lui a offert un « câlin ». « Est-ce que je pouvais refuser ? J’en étais incapable. […] Sans contact physique depuis de nombreuses années, avoir un homme qui me prend dans ses bras, j’étais quasiment en extase ! »

De fil en aiguille, il s’est retrouvé dans son lit. Non, Marie-Paule n’a pas joui. « Mais ça n’a pas trop d’importance, rayonne-t-elle. Disons que mon rôdeur a réveillé quelque chose en moi ! […] Comme si ma sexualité avait été éveillée ! » Et elle compte bien en profiter. Si elle sait que cette aventure n’a pas d’avenir, elle lorgne depuis du côté des applications de rencontres. Après une vie de « frustrations » et de « peines », conclut-elle, « c’est certain que si j’ai une occasion, je vais aller de l’avant. […] Je n’ai plus de temps à perdre ! »

* Prénom fictif, pour préserver son anonymat