La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Gino*, fin soixante-dizaine

Gino est en couple depuis près de 40 ans. Un couple qui dure et qui s’« endure », comme il dit, tout sauf parfait, et surtout très fier de l’être. Entretien.

« Nous sommes un couple imparfait, plein de contradictions, mais un couple sachant ce que l’un a apporté à l’autre au fil des évènements, soit professionnels, ou autres. Cela mérite le respect », nous a-t-il écrit plus tôt cette année. Bien évidemment, cela a piqué notre curiosité.

Le coloré septuagénaire nous attend au marché Jean-Talon, loin des oreilles de sa femme, explique-t-il les yeux brillants. Non, elle n’est pas au courant de l’entretien. Et on comprendra plus tard pourquoi.

Il faut dire que l’homme, attablé devant une tasse de café, se confie avec un plaisir manifeste. Il commence avec ses premiers émois, autour de 16 ans, assurément maladroits. « Un marteau-piqueur, un peu ! », dit-il en riant de bon cœur.

À l’époque, il est à la fois timide et mignon. « Je vais vous paraître affreusement prétentieux, mais je sais depuis longtemps que je plais. Mais je suis une vraie quiche pour draguer ! » Une quiche ? « Oui ! Je ne sais pas quoi faire ! »

Il enchaîne ici quelques amourettes (« des regards qui se croisent, ça marche ou pas »), jusqu’à ses 20 ans, quand il rencontre la mère de ses enfants.

Au lit ? « Au lit, ça allait bien ! »

Après ça, à 20 ans, tu ne peux pas dire si ça allait très bien ou pas, tu n’as pas d’expérience !

Gino

L’expérience vient plus tard. Leur histoire ne dure en effet qu’un temps et, vers 30 ans, Gino se sépare, déménage et débarque enfin à Montréal.

Et puis ? « Ici, les filles sont beaucoup plus libres. Si elles ne savent pas ce qu’elles ne veulent pas, elles savent ce qu’elles veulent. C’est très clair. » Ah ? Disons que pendant 10 ans, Gino en tire joyeusement avantage. Il profite sans gêne de son célibat et ne compte plus les aventures d’un soir. Toujours « consenties », prend-il soin de préciser. « Mais faites-moi la gentillesse de ne pas dire de chiffre. »

On devine qu’il a appris à draguer, l’âge, la confiance et l’humour aidant (sans doute aussi son petit accent), et qu’il se fait accoster tout autant. « Je travaillais comme serveur, confirme-t-il. J’étais comme un renard dans un poulailler ! » Un regard par-ci, un autre par-là, et le tour était joué. Un exemple ? Il se souvient encore d’un couple qui l’a carrément invité à « prendre le dessert » avec eux. Chez eux. « Monsieur m’offrait sa dame ! », résume élégamment notre homme. Et puis ? « Extraordinaire ! Le mec nous regardait ! »

Ainsi va sa vie jusqu’à un jour tout particulier. Ici, pas peu fier, Gino se lève et nous mime carrément la scène. « Je la vois, déclare-t-il solennellement. Textuellement : c’est elle. »

Qui donc ? Sa compagne actuelle. Il est dans un café, et la voilà, à quelques mètres à peine. « Elle n’a rien de particulier, c’est étrange, je ne sais pas si tu as déjà ressenti ça ? », demande-t-il, tout à coup plus familier. « Ah, ça ne me regarde pas ! », pouffe-t-on à l’unisson.

Bref, dans ce café, ce jour-là, il rencontre celle qui deviendra son « épouse », son fameux couple « imparfait » qui mérite le « respect ». Il nous fait le récit de leur conversation, leur premier coup de fil, puis la première nuit. Alors, justement, parlons-en ! « Pas terrible », répond-il, à notre infinie surprise. Pas terrible ? Gino s’explique tout naturellement. « Une fois que tu as connu toutes ces filles, dans leur approche, leur gentillesse, tu as fait le tour de la question, finalement, c’est toujours un peu pareil », raisonne-t-il.

Ce n’est pas le meilleur coup au sens du sexe, mais c’est un bon coup au sens que tu peux aimer lui faire l’amour, parce que tu l’aimes.

Gino

Mais en quoi, exactement, ça n’est pas le « meilleur coup », ose-t-on lui demander ? Un certain manque d’enthousiasme, explique Gino, cette impression qu’elle a « hâte que ça finisse ». Mais ça ne semble étrangement pas tant le déranger. « Je ressentais autre chose que ça », assure-t-il.

Quoi donc ? C’est que leur amour est moins « sexuel » que « relationnel », explique-t-il. « Et je suis assez amoureux pour lui dire merci pour ce qu’elle est, merci de m’amener où elle m’amène au niveau relationnel. »

Si vous voulez tout savoir, non, ils n’en ont jamais exactement parlé. « Elle n’aime pas discuter de ça, elle est terriblement gênée », glisse-t-il. D’où sa visite ici à son insu, comprend-on. « Et moi, je me suis contenté de ce qu’elle proposait sans rien forcer, et j’ai toujours adopté une attitude galante. »

D’accord. N’empêche, après toutes ces années de folies, n’est-il pas un brin frustré ? « Pas le moins du monde ! », répond-il tout sourire.

C’est que leur union les a fait voyager, madame ayant été appelée aux quatre coins du monde pour son boulot. Gino a tout plaqué pour l’accompagner. « Te dire à quel point je l’aimais. Et je l’aime toujours ! [...] Quelle est la chose la plus importante dans ma vie ? J’ai choisi la relation avec cette femme-là. »

Comme quoi, non, il n’y a pas que le sexe dans la vie. « Absolument pas. Voilà pourquoi ça dure depuis 40 ans. [...] Je ne dis pas que c’est tout rose, précise-t-il, mais on se rappelle tout ce que l’on a fait l’un pour l’autre. »

Fin de l’histoire ? « J’avoue que côté sexuel, c’est bonne nuit les petits, ajoute-t-il. Vraiment pas intéressant, mais sans aucune frustration. »

Tiens, l’a-t-il déjà trompée ? On lui arrache un peu la confidence. Deux fois, finit-il par révéler. C’était à l’étranger, un pays où « les femmes, il faut avoir les nerfs solides pour leur résister », se justifie-t-il en riant. D’ailleurs, non, il ne se sent pas le moindrement coupable. « Du tout, insiste-t-il. Je fais ça, mais je ne me sentirais pas capable de lui reprocher sa platitude au lit. »

Depuis ? « Je me contente de ce que j’ai, je ne peux pas me séparer de cette fille-là. [...] Cette femme-là m’offre une autre perspective ! Il n’y a pas que le cul dans la vie ! [...] Il n’est pas nécessaire de baiser pour se dire qu’on s’aime ! »

On pourrait bien sûr conclure ici. Mais on se permet une ultime question : Gino serait-il un homme sage, ou plutôt résigné ? « Sage, je ne crois pas que je le sois jamais... », répond-il sans hésiter.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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