« Je voyais mon conjoint qui dormait, et je me disais : “Maudit qu’il est chanceux, lui. Comment ça se fait que moi, je ne dors pas ?” »

L’insomnie est arrivée dans la vie de Danielle Gélinas en même temps que la maternité, il y a 44 ans. Assise dans une salle de réunion de l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, dans le nord de la ville, l’enseignante à la retraite raconte les pensées qui surgissaient en pleine nuit, quand elle voyait les heures défiler sur le cadran.

Ça fait deux heures que je tourne… Je vais être fatiguée, demain… 4 h du matin, déjà…

Danielle Gélinas en parle au passé, mais ces souvenirs sont récents. Après trois ans d’attente, elle a obtenu une place ce printemps au sein d’une thérapie de groupe pour réapprendre à mieux dormir. La clinique du sommeil du Centre d’études avancées en médecine du sommeil figure parmi les seuls centres au Canada (sinon LE seul) à offrir gratuitement à ses patients la thérapie cognitivo-comportementale pour l’insomnie.

Il s’agit pourtant du traitement de première ligne contre l’insomnie, bien avant les médicaments comme les benzodiazépines et les hypnotiques en Z, dont la surconsommation est de plus en plus décriée. « Les gens qui viennent nous voir nous disent : “J’ai perdu la recette pour dormir”, résume le neurologue Alex Desautels, directeur de la clinique. On leur redonne une espèce de marche à suivre pour bien dormir. »

60 % à 80 %

Pourcentage des personnes pour qui la thérapie a un effet thérapeutique. Environ 70 % des patients maintiennent leur gain clinique après deux ans, et 50 % après 10 ans. Parmi les patients qui répondent, la moitié sont en rémission complète.

Source : « Insomnia », The Lancet, 2022

Danielle Gélinas sort l’agenda de sommeil qu’elle a tenu tout au long de la thérapie, qui prend fin aujourd’hui. « Chaque semaine, j’ai gagné en moyenne 20 à 30 minutes de sommeil par nuit », calcule-t-elle. Elle dort près de sept heures par nuit, maintenant. Et elle est « super emballée ».

Milie Alary, qui souffre de fibromyalgie, fondait peu d’espoirs dans la thérapie, au départ. Son problème, ce n’était pas de s’endormir (elle tombait comme une bûche à 22 h), mais plutôt de rester endormie. Elle se réveillait vers 1 h du matin et le cannabis médical lui permettait de rêvasser un peu en fin de nuit. Aujourd’hui, elle se couche à 23 h et se réveille vers 4 h, 5 h. « Pour moi, c’est énorme », dit-elle.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Cloé Blanchette-Carrière

Les participants avaient tous des attentes réalistes, souligne Cloé Blanchette-Carrière, doctorante en psychologie clinique, et c’est une bonne chose. Vouloir être un dormeur parfait, ça met trop de pression… et c’est illusoire. « Tout le monde a de mauvaises nuits », rappelle-t-elle.

Conditionnement

Pendant six semaines, les six participants ont appris à améliorer leur hygiène de sommeil, à dégonfler les pensées anxiogènes (voire obsessionnelles) qui accompagnent souvent l’insomnie et à déconstruire le conditionnement négatif qui s’est forgé au fil des années.

L’insomnie est fréquente – un tiers des gens traversent un épisode transitoire au cours de leur vie, souvent lors de circonstances spéciales (un mariage, un divorce, une promotion, etc.). Quand le stress diminue, le sommeil s’améliore. Mais certaines personnes vont développer de mauvaises habitudes qui contribueront à rendre le trouble chronique. Marie-Hélène Pennestri, chercheuse en sommeil et professeure à l’Université McGill, a plein d’exemples : développer une dépendance à la médication ; faire de longues siestes ; se stimuler sur les écrans la nuit ; carburer au café ou relaxer avec l’alcool ; se coucher plut tôt même si on ne s’endort pas ; se forcer à dormir…

10 %

Pourcentage de la population qui souffre d’insomnie chronique

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Le DAlex Desautels

« Les gens finissent par associer le lit à la frustration de ne pas dormir », résume le neurologue Alex Desautels. Le système de stress s’active en soirée et culmine à l’heure du coucher. La pression augmente, les battements cardiaques aussi. Pas idéal pour s’endormir.

Paradoxalement, la privation de sommeil est au cœur de la thérapie. Les participants établissent d’abord une fenêtre de six heures au cours de laquelle ils ont le droit de dormir, la nuit. La dette de sommeil ainsi créée permet de vaincre l’état d’hyperactivité qui prévaut au moment du coucher, explique Alex Desautels. La fenêtre de dodo augmente graduellement pendant la thérapie.

Autres consignes primordiales : retirer l’accès à l’heure dans la chambre à coucher (trop anxiogène) et éviter de tourner trop longtemps dans le lit. Après 20 à 30 minutes (calculées subjectivement), on sort de la chambre et on fait une activité ennuyante jusqu’à ce que la somnolence revienne. Le lit doit être associé au sommeil et aux câlins, point.

Les insomniaques doivent aussi prendre conscience des distorsions cognitives qui les habitent. Ça me prend absolument huit heures de sommeil. Je vais mal dormir toute la semaine. Milie Alary, pour sa part, croyait qu’un adulte, ça devait se coucher à 22 h, pas plus tard.

Apprivoiser les pensées

Et on fait quoi, quand les pensées surviennent ? On essaie de les contrôler ? Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en médecine comportementale du sommeil à l’Université Laval, Charles Morin conseille plutôt de les apprivoiser et de les remplacer par des pensées plus réalistes, plus constructives. « Il s’agit de prendre un petit peu de recul et de se dire que ça ne sert à rien de paniquer à 2 h du matin ou encore d’essayer de résoudre un problème », résume-t-il.

Pour libérer l’esprit, les participants ont d’ailleurs un exercice d’écriture, le soir, pour coucher sur le papier les choses à régler. Au moment du coucher, ils font aussi un exercice de relaxation associé au sommeil.

L’idée, c’est aussi d’apprendre à dédramatiser. « Le sommeil, c’est important, mais il ne faut pas paniquer non plus », résume Marie-Hélène Pennestri. Le psychologue Charles Morin suggère une expérience. Après une mauvaise nuit de sommeil, on passe la journée allongé et on note d’heure en heure son humeur et son niveau d’énergie. Et on refait l’expérience au terme d’une autre mauvaise nuit, mais cette fois en planifiant des activités plaisantes ou énergisantes. « À coup sûr, les gens conviennent qu’ils ont mieux fonctionné en restant actifs », constate Charles Morin.

Des études ont montré qu’une nuit d’insomnie a peu d’impact sur les fonctions cognitives le lendemain, souligne Alex Desautels, qui ajoute que le cerveau s’adapte et change l’architecture du sommeil le lendemain pour le rendre plus profond. Autre fait apaisant : les insomniaques sous-estiment presque tous le nombre d’heures qu’ils dorment.

Le participant Philippe St-Germain, qui souffre du syndrome des jambes sans repos, a eu plus de mal à appliquer les consignes, et la thérapie a moins bien fonctionné pour lui. Mais il retient une leçon importante. « Quand ça va mal, il ne faut pas se décourager : ça ira mieux plus tard », conclut-il.

Une prescription spéciale

Des initiatives ont lieu dans le monde médical pour diminuer les prescriptions de somnifères. En janvier, le Collège des médecins a lancé un programme de surveillance de l’exercice pour les opioïdes et des benzodiazépines (Rivotril, Ativan, etc.). Ces derniers mois, la campagne Choisir avec soin a produit des outils pour les médecins et les patients : des capsules vidéo et une « prescription non pharmacologiques », tous deux inspirés de la thérapie cognitivo-comportementale. Plusieurs experts sont d’avis que les somnifères peuvent être bénéfiques en période de stress aigu, sur une base ponctuelle, mais la majorité des patients les consomment de façon prolongée, ce qui comporte des risques de dépendance et d’effets secondaires. La thérapie cognitivo-comportementale pour l’insomnie demeure peu accessible, tant au public qu’au privé.

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