La réponse était toujours toute trouvée. Non, on ne peut pas avoir de chien. Papa est allergique, tu le sais bien.

Ce qui est aussi vrai que parfait.

La fidélité, j’en suis. En amour, en famille, en amitié. Je suis une employée à son affaire. Je composte, je recycle, je prends les transports en commun.

Être de nouveau toute dévouée à un animal comme je l’ai été si longtemps pour mon gros matou (à quatre pattes) ?

Plus question. Libârté, comme dirait l’autre. Quand on part en vacances, on ferme la porte à clé et ciao bye. Pas de gardienne à trouver.

Tout au plus ai-je cédé pour un poisson – ils doivent bien être cinq ou six, maintenant, enterrés sous le gros arbre du fond du jardin.

Tout de même, pendant deux bonnes années, j’ai cédé aux supplications de ma fille qui voulait tant flatter le petit chien, là-bas, qui marchait vers nous.

C’est un vrai beau petit chien, que vous avez là ! C’est quelle race ? Et de là, une bonne conversation s’entamait – maman a beaucoup de jasette – et Petite avait alors amplement le temps de flatter le pitou. (Ça a dû taper sur les nerfs de bien des gens. Mes excuses.)

C’est comme cela que dans le quartier, on connaît le nom de dizaines de chiens, mais pas toujours celui de leurs maîtres.

Jusqu’à Léo.

Ses maîtres, Danielle et François, jouaient au tennis sur un terrain décrépit du quartier. Ils avaient attaché leur petit chien, qui aurait bien voulu être celui qui courait après la baballe.

« Demande-leur si on peut le flatter », suggère ma fille.

Ils ont accepté volontiers. Mieux, ils nous ont invités à le prendre de notre côté du terrain. Léo est venu se faire câliner.

N’hésitez pas à passer le prendre pour une petite promenade quand ça vous dit, nous ont-ils dit ensuite.

J’ai répondu qu’on risquait bien de les prendre au mot.

Très vite, on a eu leur clé. Puis, bon, d’accord, Léo peut entrer à la maison, mais pas longtemps. Tu sais bien que papa est allergique.

Léo a fini par avoir chez nous son bol, son fauteuil préféré.

Léo s’est révélé le seul chien au monde auquel mon homme n’est pas allergique, si ce n’est un petit éternuement par-ci, par-là.

Quand Léo est abandonné par tous, un vendredi soir, on reçoit un texto. Justement, là, ça fait trois jours, il nous manquait cruellement, on n’osait pas vous le dire.

Depuis, sans qu’on ajoute d’animaux domestiques à l’univers ou qu’on ajoute à la tâche des vétérinaires déjà beaucoup trop surchargés, on a presque un chien.

Ma fille a pu l’amener en classe. Il a aussi rendu visite avec nous à notre tante religieuse octogénaire. Les dernières photos de Lorraine la montrent même caressant la petite tête noire du chien. Léo n’avait pas prévu devenir la coqueluche d’un couvent de sœurs.

Des amis nous ont mis en garde. Les maîtres se lassent souvent de s’occuper d’un chien, vous aurez bientôt plein de pression pour vous en occuper.

Mais quand on a affaire à une maîtresse qui prépare chaque jour un plat maison à son pitou, il n’y a pas trop de risques, d’autant que Danielle aspire, dans ses lointains projets de retraite, à posséder encore un chien et à en faire profiter le plus grand nombre d’enfants et de personnes âgées esseulées.

Danielle contient sa presque jalousie de voir son Léo si extatique quand nous allons le chercher. Et nous, nous nous gardons de la gronder quand, à l’évidence, Léo a pris du volume.

On essaie aussi très fort de ne pas donner de problèmes d’identité au chien, bien qu’on laisse parfois échapper : « C’est moi, ta maman, hein, mon Léo ? »

Les courtes conversations en se refilant le chien ont fini par s’étirer, beaucoup.

Nous avons aussi passé quelquefois le jour de l’An ensemble ou pris l’apéro.

Nous voyant trinquer à notre amitié et faire bombance, Petite, qui est devenue ado, mais pas tout à fait modeste, me chuchote à l’oreille chaque fois : « Tout ça, c’est grâce à moi. »

Conseils pour une garde partagée canine réussie

  • S’abstenir de gaver le chien de gâteries et de restes de table. Respecter à la lettre le régime souhaité par ses maîtres.
  • Laisser sa famille établir ses besoins en matière de garde. C’est son chien, il ne faut pas l’en priver.
  • En contrepartie, surtout s’il y a des enfants, les maîtres doivent être conscients que les visites ne doivent pas être trop espacées, parce qu’on s’attache à ces petites bêtes-là.
  • Ne jamais arriver à l’improviste pour chercher l’animal. Politesse, politesse, politesse.
  • Quand le chien revient du toiletteur, le couvrir de compliments sur sa beauté devant ses maîtres. Les rassurer, surtout que ça aura tôt fait de repousser quand le stylisme de la queue (!) est particulier (fait vécu).