Le mot-clé « TDAH » est populaire sur les réseaux sociaux. Sur TikTok, les vidéos portant sur ce trouble abondent. Une tendance qui a de bons côtés – la sensibilisation –, mais aussi de moins bons côtés – la désinformation. Zoom sur le phénomène.

Sur TikTok, Audrée Archambault voyait défiler des vidéos de personnes qui parlaient des manifestations qu’elles associent à leur TDAH – le trouble de déficit d’attention avec ou sans hyperactivité.

Audrée, 36 ans, n’avait jamais soupçonné avoir un TDAH (elle était plutôt tranquille à l’école et elle est passée maître dans l’art des listes de choses à faire), mais ces vidéos la rejoignaient drôlement. Ses oublis fréquents, ces fois où son conjoint lui parle, mais qu’elle n’entend rien, cette difficulté à faire autre chose lorsqu’elle attend un rendez-vous…

« Ça me ressemblait beaucoup, ce que je voyais, mais mon réflexe, c’était de dire : “Tout le monde doit se reconnaître dans ces vidéos-là” », raconte l’autrice jeunesse.

Durant la même période, son garçon de 12 ans, qui, lui, présente des symptômes typiques du TDAH, était en processus d’évaluation. En lisant sur le sujet, Audrée a appris que, chez les femmes, le trouble s’exprime souvent autrement, davantage par l’inattention que par l’hyperactivité.

« Et puis un jour, je suis tombée sur une vidéo qui parle du masking, cette tendance à masquer des symptômes pour que ce soit socialement plus acceptable. »

Je me suis rendu compte que si je suis organisée avec mes listes et mes agendas, c’est parce que je n’ai pas le choix. Sinon, c’est un désastre.

Audrée Archambault, autrice jeunesse

Audrée a consulté un neuropsychologue, qui l’a évaluée en long et en large, allant jusqu’à lire les commentaires de ses anciens bulletins scolaires. En avril, elle a reçu le diagnostic. Trouble de déficit d’attention sans hyperactivité. Sur son compte TikTok, Audrée relate à son tour son expérience.

Psychiatre affilié à l’Université de la Colombie-Britannique, Anthony Yeung a dirigé une étude portant sur les vidéos TikTok qui traite du TDAH. Elle a été publiée en 2022 dans la Revue canadienne de psychiatrie. Lors de la collecte des données, en 2021, le mot-clé « ADHD » (TDAH en anglais) était septième parmi les sujets les plus populaires liés à la santé sur la plateforme.

Ce déferlement de vidéos a sans contredit un impact positif – les histoires comme celle d’Audrée Archambault en témoignent. Qui plus est, les filles qui présentent un TDAH demeurent encore largement sous-diagnostiquées. « Des médecins disent que c’est très bien d’avoir cette conversation : les gens deviennent plus conscients de ce trouble, dit le DAnthony Yeung, qui partage ce point de vue. Les réseaux sociaux permettent aussi aux gens de ne plus se sentir seuls. »

Le psychiatre souligne néanmoins qu’il y a un revers à cette médaille : ces vidéos (en partie créées par des gens qui se sont autodiagnotiqués) peuvent créer une forme d’inquiétude en associant au TDAH des symptômes normaux qui font partie de l’expérience humaine. « Le défi, avec le TDAH, c’est qu’on peut tous avoir ces symptômes, résume Anthony Yeung. Rien n’empêchera les gens de ressentir de l’ennui pendant une rencontre ou de regarder une vidéo sur YouTube au lieu de travailler. »

Le TDAH dans l’œil de TikTok
  • « Les gens avec un TDAH, vous avez un déficit de dopamine. »

    CAPTURE D’ÉCRAN TIKTOK (@ONLYJAYUS)

    « Les gens avec un TDAH, vous avez un déficit de dopamine. »

  • « Vivre avec un TDAH : “Je n’ai pas mangé aujourd’hui.” »

    CAPTURE D’ÉCRAN TIKTOK (@DJ_RANGSTER)

    « Vivre avec un TDAH : “Je n’ai pas mangé aujourd’hui.” »

  • « Les clés ? Oh, oui, les clés. »

    CAPTURE D’ÉCRAN TIKTOK (@CONNORDEWOLF)

    « Les clés ? Oh, oui, les clés. »

  • « Les marches de TDAH. La rêveuse éveillée »

    CAPTURE D’ÉCRAN TIKTOK (@ADHD_LOVE)

    « Les marches de TDAH. La rêveuse éveillée »

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Dans le cadre de l’étude qu’il a menée, la moitié des 100 vidéos TikTok analysées étaient trompeuses. Les vidéos mettaient plusieurs symptômes dans le panier du TDAH, dit-il : avoir des « frissons d’anxiété », « faire du bruit au hasard », « être compétitif »… D’autres statuaient, par exemple, que les personnes atteintes de TDAH sont « seulement sous-stimulées ou surstimulées » et « manquent de dopamine ». « Et tout est dit comme si c’était des faits et la vérité, dit le DYeung. Quelqu’un peut passer deux heures à regarder ces vidéos et il se fera une image très différente du TDAH de celle qu’il aurait après avoir parlé avec un médecin pendant une heure ou deux. C’est comme si on composait avec deux troubles différents. »

Les psychiatres et les psychologues ont parfois la tâche délicate d’annoncer aux patients que leurs symptômes, bien qu’ils génèrent une détresse réelle, sont causés par autre chose que le TDAH.

Autres causes

La première cause à laquelle pense le DYeung, ce sont les troubles du sommeil (il s’agit d’ailleurs de sa spécialité). Les symptômes, dit-il, peuvent se présenter comme ceux du TDAH.

Psychologue et professeur au département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal, Roger Godbout a vu passer de nombreux enfants à la Clinique du sommeil. « Les enfants dont le sommeil n’est pas bon [en quantité ou en qualité] sont souvent agités, ils ne reconnaissent pas leur tour de parole, relate Roger Godbout. Sur le plan cognitif, ils peuvent avoir des problèmes de concentration, butiner d’un sujet à l’autre… »

Pour avoir une idée plus claire de la qualité de son sommeil, Roger Godbout conseille de remplir un journal de sommeil pendant trois semaines (on trouve des exemples sur l’internet). À partir de 7 ans, dit-il, les enfants sont capables de parler de leur sommeil, en mots ou en dessins.

Des problèmes médicaux, comme l’hypoglycémie, l’hyperglycémie ou des difficultés thyroïdiennes peuvent aussi avoir un effet sur les niveaux d’attention et d’activité, souligne Lily Hechtman, professeure de psychiatrie et de pédiatrie à l’Université McGill.

Idem pour… les émotions. « N’importe quelle gamme d’émotions à court terme peut avoir un impact sur la capacité d’attention », explique la neuropsychologue Marie-Claude Guay, qui pense à la colère, la tristesse associée au deuil, le coup de foudre… Il en va de même pour les émotions vécues de façon chronique, comme celles associées à l’anxiété et à la dépression.

« Parfois, on voit des enfants qui ont des troubles anxieux très sévères et qui se demandent toute la journée si leur mère va venir les chercher à l’école ou si elle aura un accident. Imaginer de tels scénarios catastrophiques va occasionner des difficultés d’attention, c’est sûr et certain », dit la professeure au département de psychologie de l’UQAM.

Il n’existe pas de prise de sang ou d’imagerie cérébrale pour diagnostiquer le TDAH ; l’évaluation, note Marie-Claude Guay, passe par l’observation des comportements. Comment départager les causes des symptômes ? Le TDAH, rappelle-t-elle, est un trouble neurodéveloppemental : ses symptômes doivent dater de l’enfance, être chroniques et présents dans plusieurs sphères de la vie. « C’est important de faire une évaluation rigoureuse », estime la professeure.

Il est donc clair qu’une évaluation et un diagnostic complets par un professionnel compétent et formé – par exemple, un psychologue ou un psychiatre – sont nécessaires. Les autodiagnostics sont biaisés et souvent non valides.

La Dre Lily Hechtman, professeure de psychiatrie et de pédiatrie à l’Université McGill

Pour Audrée Archambault, en tout cas, cette démarche auprès d’un neuropsychologue a été salutaire.

« Depuis le diagnostic, j’essaie d’être plus douce avec moi-même », conclut-elle.

En savoir plus
  • 28 milliards
    Nombre de visionnements générés sur TikTok par les vidéos identifiées par le mot-clé « ADHD » (TDAH en anglais)
    Source : ads.tiktok.com