La nouvelle a secoué son entourage et ses amis : Denis Desro, connu pour avoir été rédacteur en chef mode du ELLE Québec de 1992 à 2015, est mort des suites d’une crise cardiaque, samedi.

« Denis était très respecté et aimé dans notre industrie de la mode au Canada et il a eu une grande influence. Il était incroyablement talentueux. Mais au-delà de cela, quand je pense à Denis, ce qui me vient en tête, c’est son rire, son sens de l’humour », remarque Annie Horth, directrice artistique pour ELLE Québec et ELLE Canada depuis que la publication est passée aux mains de KO Média, l’an dernier, après avoir appartenu brièvement à TVA Publication, qui l’avait rachetée de Transcontinental en 2015.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Annie Horth, styliste et directrice de création pour ELLE Québec et ELLE Canada

La styliste a connu Denis Desro à l’époque où elle était étudiante, et ils ont travaillé ensemble dans le milieu du design avant que Denis Desro devienne, plus tard, rédacteur en chef mode du ELLE Québec. Ses éditoriaux mode publiés dans le ELLE Québec, mais aussi dans le ELLE Canada, ont marqué toute une génération, alors que ce féru de la mode se rendait à toutes les grandes semaines de la mode, de Paris en passant par Milan. Il a d’ailleurs adopté très tôt Instagram, où il publiait souvent des photos en coulisses de son travail ou des défilés internationaux.

« Ce que je retiens de Denis, c’est qu’il a ouvert la mode [au Canada et au Québec] à l’international. Oui, il encourageait la mode d’ici, mais il gardait un œil très aiguisé sur ce qui se faisait à l’étranger, et il arrivait à les mettre en scène de façon extraordinaire. Il a lancé la carrière de plein de photographes et de stylistes, était de tous les défilés. C’était plus qu’un passionné ; c’était un érudit de la mode », se souvient Manon Chevalier, journaliste qui a collaboré au ELLE pendant des années.

Après son départ du ELLE Québec en 2015 — évènement qui l’avait attristé, selon de nombreux témoignages —, M. Desro a notamment travaillé comme contractuel pour la Maison Simons. Il a vécu des moments très difficiles en 2018, lorsque son conjoint de longue date est mort subitement. Le 31 mars dernier, il a subi un arrêt cardiaque et est mort le 4 avril.

Une vie portée par une passion

Né à Drummondville, Denis Desro développe très jeune un vif intérêt pour la mode. « À 10 ans, il fait de la couture avec sa mère et ses sœurs. C’était déjà sa passion », raconte avec émotion sa grande amie Sophie Des Marais, qui l’a connu alors qu’elle travaillait comme relationniste de presse pour le Groupe Sensation Mode, il y a 20 ans.

Selon toutes les personnes à qui nous avons parlé, Denis Desro était une personne humble, privée et secrète. On connaît peu de détails sur son passé. Le directeur artistique Dick Walsh, lui, a connu Denis Desro à la fin des années 70, alors que les deux jeunes hommes venaient de déménager à Montréal et sont devenus colocataires. Il a ressorti de ses archives quelques artefacts qu’il nous a d’ailleurs fait parvenir.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le directeur artistique Dick Walsh connaissait Denis Desro depuis la fin des années 70.

Peu de gens le savent, mais Denis était un très grand et talentueux illustrateur. Il a aussi eu sa propre ligne de vêtements. Ses vêtements étaient superbes. C’était inné chez lui. Il avait un œil très sûr, un grand talent pour les mélanges de couleurs et d’imprimés.

Dick Walsh, directeur artistique

D’ailleurs, pour l’anecdote, c’est lui-même qui occupait le poste de rédacteur en chef mode pour le ELLE avant M. Desro et qui l’avait chaudement recommandé pour prendre la relève alors qu’il était parti vivre à New York quelques années.

La journaliste et auteure Geneviève St-Germain était très proche de M. Desro. Elle aussi souligne le grand talent de l’homme. « C’était un designer extraordinaire, mais je pense qu’il voyait qu’il n’allait pas gagner sa vie comme ça. Il a aussi étudié en graphisme, mais il était plus que ça : c’était un vrai directeur artistique, comme il y en a peu ou même pas du tout en mode ! Il parlait d’égal à égal avec le photographe, revoyait tout ce que le styliste avait fait. Ça pouvait peut-être être fatigant, mais il était tellement smooth que ça passait ! »

Il abordait son travail comme un artiste qui voit tout le paysage, mais il savait garder les pieds sur terre. Ce n’était pas un « excité » de la mode : ici et ailleurs, il était reconnu pour la qualité de son travail, sans faire de chichi.

Geneviève St-Germain, journaliste et auteure

  • Page couverture pour souligner les 25 ans du ELLE Québec, sous la direction artistique de Denis Desro

    PHOTO FOURNIE PAR ELLE QUÉBEC

    Page couverture pour souligner les 25 ans du ELLE Québec, sous la direction artistique de Denis Desro

  • Les éditoriaux mode de Denis Desro pour ELLE Québec et ELLE Canada ont marqué toute une génération.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @DESROD

    Les éditoriaux mode de Denis Desro pour ELLE Québec et ELLE Canada ont marqué toute une génération.

  • Denis Desro a publié cette photo de lui au travail, en train d’éditer et de choisir des photos, en 2018, sur son compte Instagram.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @DESROD

    Denis Desro a publié cette photo de lui au travail, en train d’éditer et de choisir des photos, en 2018, sur son compte Instagram.

  • Au cours des dernières années, Denis Desro a notamment travaillé pour la Maison Simons.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @DESROD

    Au cours des dernières années, Denis Desro a notamment travaillé pour la Maison Simons.

  • Illustration de mode réalisée par Denis Desro pour la boutique Lily Simon dans les années 80

    PHOTO FOURNIE PAR DICK WALSH

    Illustration de mode réalisée par Denis Desro pour la boutique Lily Simon dans les années 80

  • Illustration de mode réalisée par Denis Desro pour la boutique Lily Simon dans les années 80

    PHOTO FOURNIE PAR DICK WALSH

    Illustration de mode réalisée par Denis Desro pour la boutique Lily Simon dans les années 80

  • Ensemble créé par Denis Desro à la fin des années 80

    PHOTO FOURNIE PAR DICK WALSH

    Ensemble créé par Denis Desro à la fin des années 80

  • Lolitta Dandoy souligne à quel point Denis Desro a soutenu la mode locale.

    PHOTO FOURNIE PAR LOLITTA DANDOY

    Lolitta Dandoy souligne à quel point Denis Desro a soutenu la mode locale.

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Soutenir les créateurs québécois

Denis Desro n’était pas chauvin, mais il savait reconnaître le talent lorsqu’il le voyait. « Il n’était pas facilement impressionnable, mais il était ouvert d’esprit et savait reconnaître la qualité. Il a été l’un des premiers à remarquer le talent de Denis Gagnon », se souvient Mme St-Germain.

Denis Gagnon est aujourd’hui reconnaissant de cet appui : « Depuis 20 ans, il m’a tellement soutenu, m’a donné des éditos dans le ELLE Québec, jusqu’à l’an dernier où il avait fait de la location de mes vêtements pour un clip de Marie-Mai. Il a toujours soutenu la mode québécoise. »

La blogueuse Lolitta Dandoy a connu Denis Desro lors des semaines de la mode de Montréal et de Toronto. Au fil des ans, ils se sont liés d’amitié. « Il avait vraiment sa marque. Ce qu’il faisait pour le ELLE Québec, c’était vraiment une coche au-dessus de tous les autres magazines. Je me souviens de ses éditos consacrés à la mode canadienne, il laissait toujours une place aux designers de chez nous. »

« Denis participait à fond à la Semaine de la mode de Montréal quand elle existait. On a eu de beaux échanges sur l’avenir de la mode, les créateurs locaux, les défis de l’industrie. C’était un défi pour lui, avec la pression des annonceurs, d’inclure la mode locale dans ses éditos, mais il le faisait. Il a vraiment marqué la mode », lance Chantal Durivage, qui a eu l’idée, en apprenant sa mort, de demander au musée McCord d’ajouter une entrée sur l’homme dans son Encyclo Mode Québec, ce qui devrait être fait prochainement.

Dans une entrevue publiée sur le site du ELLE Québec en 2006, Denis Desro a d’ailleurs affirmé : « La mode québécoise a toujours été en ébullition. Nous avons des créateurs très talentueux […]. C’est dommage […], on laisse nos créateurs végéter avec leurs petits moyens, sans savoir s’ils auront assez d’argent pour financer leur prochaine collection. Ni le gouvernement, ni les manufacturiers, ni les boutiques ne leur viennent en aide. En tant que magazine québécois, nous nous devons de les faire connaître et de parler d’eux le plus souvent possible. »

Un discours qui résonne particulièrement aujourd’hui, en ces temps où l’achat local est sur le devant de la scène.