Un jeune peut-il être épanoui sans téléphone intelligent ni réseaux sociaux ?

Cette question tenaille Catherine Houle, de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, depuis un bon moment. Son fils aîné, William, réclame un téléphone intelligent tous les jours. Mais elle hésite. William, 13 ans, réussit bien à l’école, il a des amis, il pratique plusieurs sports, fait du motocross, il a déjà une PlayStation… Pourquoi ajouter à cela un téléphone sur lequel elle aurait peu de contrôle ?

La question de William est plus terre à terre. Comment convaincre sa mère de lui en donner un ? « Ça fait un an et demi que je le demande », résume William, élève de première secondaire. Chaque jour, à l’école, les élèves doivent déposer leur téléphone dans une pochette devant la classe. Toutes les pochettes se remplissent, sauf celle de William. Il se sent isolé.

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William, 13 ans

En mars, le psychologue américain Jonathan Haidt a publié un texte coup-de-poing dans le magazine The Atlantic, qui a eu beaucoup d’écho au Québec. Il associe la hausse de l’anxiété et de la dépression chez les jeunes à l’omniprésence du téléphone intelligent dans leur vie. « Plusieurs parents donnent un téléphone à leur enfant parce qu’ils ne veulent pas qu’il se sente exclu », a écrit Jonathan Haidt.

Cette phrase résume bien le dilemme de Catherine, qui est celui de bien des parents lorsque leur enfant atteint la fin du primaire ou le début du secondaire.

74 %

Au Québec, les trois quarts des jeunes de 12 à 14 ans ont un téléphone intelligent. Chez les 9 à 11 ans, on parle de 32 %, et chez les 15-17 ans, de 94 %.

Source : Institut national de santé publique du Québec, 2020

Catherine Houle, 38 ans, a de la difficulté à comprendre le besoin de William d’avoir un téléphone intelligent pour « faire comme les autres », elle qui était plutôt solitaire à l’adolescence.

Issue du domaine des communications, Emmanuelle Parent connaît bien la dynamique des jeunes sur les réseaux sociaux : elle a écrit une thèse de doctorat ainsi qu’un essai sur la question (Texter, publier, scroller). C’est elle que nous irons d’abord rencontrer.

L’attrait des réseaux sociaux

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Emmanuelle Parent, cofondatrice de l’organisme CIEL, qui fait la promotion du bien-être numérique dans les écoles

Dans le pavillon de l’UQAM de Laval où nous nous sommes donné rendez-vous, Emmanuelle Parent fait face à William. À son poignet gauche, Emmanuelle porte une montre intelligente, et sur l’autre avant-bras, un petit tatouage. Elle dégage quelque chose de cool – William se sent à l’aise. Il faut dire qu’elle a l’habitude de parler aux adolescents. Emmanuelle Parent a cofondé avec Alexandre Champagne l’organisme CIEL, qui fait la promotion du bien-être numérique dans les écoles.

« Pourquoi c’est important, pour toi, d’avoir un téléphone ? », lui demande-t-elle.

« Quand on n’a pas de téléphone, on fait un peu moins partie de la gang », tranche William. S’il en avait un, explique-t-il, il pourrait communiquer avec ses amis sur Snapchat, et il publierait des photos sur les réseaux sociaux de temps en temps. « Comme quand on va à la plage », dit-il en guise d’exemple.

Le besoin d’appartenance est fort à l’adolescence, rappelle Emmanuelle Parent. « Quand les jeunes nous parlent des réseaux sociaux, souvent, ils vont nous dire qu’ils veulent montrer qu’ils sont à la fois différents… et comme tout le monde », illustre-t-elle. Il y a un désir de se conformer (avec le positif et le négatif que ça engendre), et – pour ceux qui publient – un désir de s’affirmer.

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Emmanuelle Parent, cofondatrice de l’organisme CIEL

Beaucoup de jeunes vont dire : j’aime ça me montrer sur les réseaux sociaux, parce que j’ai l’impression que mes amis et les gens à l’école apprennent à connaître qui je suis.

Emmanuelle Parent, cofondatrice de l’organisme CIEL

Les jeunes, dit-elle, ont une petite « courtepointe » de réseaux sociaux : ils vont communiquer avec certains de leurs amis sur Instagram, avec d’autres sur Snapchat, avec d’autres encore sur Messenger, etc.

« À ton âge, je parlais le soir avec mes amies dans un téléphone branché dans le mur », confie Catherine à William. « C’est la même chose, lui explique Emmanuelle Parent. Les jeunes se parlent de ce qui s’est passé à l’école, s’envoient des jokes, ils font les fous, s’envoient des flammes… » William opine. Il a déjà eu brièvement accès à Snapchat sur l’iPad (avant que celui-ci ne se brise). « J’étais rendu à 43 jours », dit-il.

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Catherine Houle

Emmanuelle explique à Catherine que Snapchat comptabilise le nombre de jours consécutifs durant lesquels les amis communiquent entre eux. Catherine n’aime pas le principe : « Ils jouent avec mon enfant », dit-elle. « Ça prend une seconde envoyer un snap, mais c’est sûr qu’il s’agit d’une mécanique pour que les utilisateurs reviennent chaque jour », répond Emmanuelle, qui plaide pour une plus grande régulation des plateformes, ne serait-ce que pour diminuer ces mécanismes persuasifs et modérer le contenu nocif.

Enfin, les jeunes utilisent les réseaux sociaux pour scroller, c’est-à-dire regarder du contenu (souvent de courtes vidéos) qui cible les intérêts précis de chaque utilisateur. « C’est souvent ce qui leur prend le plus de temps, et c’est plus difficile d’arrêter parce que toute la plateforme est faite pour conserver ton attention », explique Emmanuelle Parent.

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Catherine Houle, son fils William et Emmanuelle Parent

Pour elle, c’est une question d’échelle : « Tu n’es pas obligé de passer six heures devant l’écran. Tu peux regarder TikTok juste un peu, et c’est tout », dit-elle. Elle raconte avoir rencontré une jeune fille de 16 ans dans un atelier dernièrement, qui lui a confié avoir effacé TikTok de son téléphone… pour le réinstaller quelques minutes plus tard. Elle ne savait pas comment s’occuper autrement. Elle ne l’avait pas appris.

À ses yeux, il faut évaluer le portrait global du jeune, et veiller à ce qu’il développe d’autres loisirs, qu’il dorme bien, qu’il mange bien, qu’il bouge. Et le parent est la clé pour encadrer le temps d’écran, même si ça cause parfois (ou souvent) des accrochages. « C’est ingrat pour le parent, parce qu’il voit seulement les bouts de tensions, et pas nécessairement les apprentissages » générés par leur encadrement.

Mère de quatre enfants de 13, 12, 8 ans et 1 an, camionneuse à temps plein, Catherine Houle confie n’avoir pas trop le temps (ni l’envie d’ailleurs) de jouer à la police du téléphone intelligent.

« Il existe des ressources, comme le site Pause ton écran », lui conseille Emmanuelle.

Consultez le site Pause ton écran
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  • « Pourquoi mon fils veut-il à ce point faire comme les autres et avoir un téléphone intelligent ? »
    Catherine Houle