Votre fille de six ans remporte une compétition de patinage artistique. Vous la photographiez, et partagez le cliché sur vos réseaux sociaux. Ce geste banal correspond à du « partage parental » (ou « sharenting » en anglais), et pourrait avoir des conséquences plus importantes qu’anticipées, notamment grâce à l’intelligence artificielle qui facilite l’utilisation malveillante de photos.

L’arrivée des réseaux sociaux n’a pas changé que le quotidien des jeunes, mais aussi celui de leurs parents, dont certains partagent de nombreuses photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Ce phénomène s’est vu attribuer le nom de « sharenting », une contraction des mots « share » (partager) et « parenting » (parentalité).

Les parents doivent dorénavant être conscients des risques de cette pratique, selon René Morin, porte-parole du Centre canadien de protection de l’enfance, qui a mis sur pied le site web Cyberaide, soit la centrale canadienne de signalement des cas d’exploitation sexuelle d’enfants sur l’internet.

« Il n’y a aucun enfant qui est à l’abri de la possibilité que les images de lui ou d’elle en circulation sur l’internet, sur les médias sociaux ou ailleurs, soient récupérées par des personnes malintentionnées pour en faire autre chose, explique M. Morin. Et c’est quelque chose qu’on commence déjà à voir, et qu’on se sent condamné à voir de plus en plus à cause de l’intelligence artificielle. »

Emmanuelle Parent, docteure en communication, et cofondatrice du CIEL (Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne), souligne que le Centre aborde désormais le « partage parental » dans ses ateliers offerts à des enfants de 10 à 12 ans, en abordant le sujet de la vie privée.

Le CIEL leur apprend notamment que si l’un de leurs amis publie une photo sur laquelle ils ne se « trouvent pas beau », ils ont le droit de lui demander de la retirer. Et que si la personne ne le fait pas, ils doivent en parler à un adulte.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Emmanuelle Parent, docteure en communication, et cofondatrice du CIEL

Légalement, tu as le contrôle sur où ton image va aller. Mais, quand il est question des parents, légalement, les parents ont le droit de partager les images de leurs enfants, et c’est là que ça devient plus flou. Peut-être qu’on va voir quelque chose à l’avenir à ce sujet-là.

Emmanuelle Parent, docteure en communication, et cofondatrice du CIEL

Malheureusement, les nouveaux outils technologiques servent aussi à des personnes malintentionnées.

« Les personnes qui ont des penchants pédosexuels ont toujours été, et continuent d’être, très rapides à adopter toutes les nouvelles innovations technologiques qui vont leur permettre d’arriver à leurs fins », souligne M. Morin.

Alors qu’au courant du printemps 2021, Cyberaide recevait plusieurs signalements concernant des photos pédopornographiques créées grâce à de logiciels comme Photoshop, c’est maintenant l’intelligence artificielle qui est utilisée par les prédateurs.

« Ils peuvent désormais produire beaucoup plus de matériel, beaucoup plus rapidement, et d’une qualité largement supérieure à ce qu’ils auraient pu obtenir en manipulant des photos avec des logiciels de retouches photo », détaille M. Morin.

Mais, pas de panique. « L’idée ici, ce n’est pas nécessairement d’alarmer les parents, mais de leur faire prendre conscience de cette possibilité-là », renchérit le porte-parole du Centre canadien de protection de l’enfance.

Pas tout noir, ou tout blanc

Même s’il y a des risques « très graves » au partage de photos de ses enfants sur le web, la réalité est beaucoup plus nuancée, indique Emmanuelle Parent. Tout comme lorsqu’un parent avertit son enfant de ne pas parler à des inconnus lorsqu’il est seul au parc, l’utilisation du web requiert une éducation adéquate à son sujet, illustre la co-fondatrice du CIEL.

« Maintenant, avec les photos, le partage en ligne, le monde numérique, on est en train d’apprendre c’est quoi les risques. Et malheureusement, ce n’est pas tout le monde qui le sait. Donc, quand on connaît les risques, on peut prendre plus de précautions », détaille Mme Parent.

Elle souligne aussi que les réseaux sociaux apportent, malgré leurs aspects négatifs, « un paquet de bienfaits ».

« Les réseaux sociaux, malgré tous leurs défauts et leurs risques qui sont importants à noter, ils ont quand même permis une fenêtre dans les foyers des autres, qui peuvent normaliser certains sentiments, disons, d’isolement chez des familles », évoque Mme Parent, disant que l’éducation des enfants était autrefois un pan de la vie relié à l’intimité, entre les quatre murs de sa demeure. Dorénavant, des groupes virtuels de parents permettent de partager des conseils et de briser cet isolement.

Elle recommande aux parents d’avoir de l’empathie pour leur enfant, en se questionnant sur l’impact du partage d’une certaine photo. Par exemple, est-ce que l’enfant pourrait en être gêné plus tard ? Emmanuelle Parent invite aussi les parents à réfléchir à leur conception de la vie privée.

« Outre la pression sociale qu’il semble y avoir d’exposer sa famille en ligne, est-ce que moi, ça me tente ? Est-ce que ça peut avoir des conséquences pour mes enfants, et si oui, est-ce que je suis prête à intervenir par la suite ? », dit-elle.

René Morin incite pour sa part les parents à être vigilants à l’égard des personnes qui sont abonnées à leur profil sur les réseaux sociaux. Être « ami » sur Facebook, par exemple, avec une personne que l’on n’a jamais rencontrée, représente un risque.

Il est aussi possible de limiter l’auditoire qui peut voir une publication, ou de rendre son profil privé, en modifiant ses paramètres de confidentialité.

Si des photos d’un enfant ont été reprises de façon malveillante et inappropriée sur le web, il est possible de les signaler à Cyberaide, qui redirige le signalement au corps de police adéquat, et qui peut supprimer ces images des serveurs web.