Astrid Hurault de Ligny ne regrette pas d’avoir un fils, qu’elle aime plus que tout, mais elle regrette son rôle de mère et tout ce que cela implique. Et si c’était à refaire, elle n’aurait pas d’enfant. Elle publie Le regret maternel, dans lequel elle explique toutes les raisons, personnelles et sociétales, de ce regret. Nous l’avons rencontrée.

Astrid Hurault de Ligny, 36 ans, sait que c’est un sujet tabou. Mais comment peut-on dire qu’on regrette d’être mère ? « Je sais que c’est difficile à comprendre, mais ce que je regrette, c’est ce rôle de mère, un rôle ingrat, trop lourd à porter, qui n’est pas fait pour moi, un peu comme un mauvais casting, un emploi dont je ne peux pas démissionner, car si on m’offrait une nouvelle vie, ce serait sans enfant », dit-elle, sans hésiter.

Pourtant, elle s'était toujours imaginée avec des enfants. D’origine française, Astrid Hurault de Ligny habite à Montréal depuis 2008. Elle y a rencontré son mari fin 2012 et a donné naissance à leur fils en 2018, un enfant désiré par le couple.

C’était une suite logique, une évidence, c’est normal d’avoir des enfants. J’ai eu une éducation très catholique, je n’ai jamais remis ça en question et je m’en veux. Mais en même temps, je n’avais aucune idée de ce que c’était que d’être mère.

Astrid Hurault de Ligny

Elle savait que ce serait difficile, mais n’avait pas imaginé que ça allait remuer à ce point les douleurs liées à son enfance, ses frustrations, mais aussi la charge mentale, les sacrifices, le don de soi, le manque de soutien, son anxiété décuplée, le manque de liberté et de confiance en elle et un certain renoncement.

Mais tu t’attendais à quoi ?

« Je sais que les gens se disent : mais tu t’attendais à quoi ? J’avais conscience que ce serait difficile, mais ça a réveillé en moi tellement de blessures du passé. C’est dur de se projeter dans tout ce qu’implique la maternité, car c’est un saut dans le vide. Tant qu’on n’est pas parent, on ne se rend pas compte de l’ampleur de la tâche, de la manière dont on va se sentir, on a beau l’imaginer, ça ne se passe jamais comme on le pensait », dit-elle. Au-delà de l’épuisement des premiers mois où l’allaitement a été très difficile, elle ne se reconnaît pas dans cette mère qu’elle est devenue. Elle s’isole, elle a du mal à exister dans ce nouveau rôle où tout est organisation, gestion, prévision. Où la pression d’être une mère irréprochable est envahissante, où il y a encore de trop grandes inégalités dans la répartition des tâches ménagères au sein du couple et où la charge mentale pèse trop lourd sur ses épaules.

Ce regret maternel n’est pas venu d’un seul coup, elle ne s’est pas levée un matin en décidant qu’elle regrettait d’être mère. Elle a commencé à le ressentir pendant sa dépression post-partum, puis la pandémie est arrivée, elle a perdu son emploi, et le confinement a été très mal vécu. Épuisée, elle a alors entamé une thérapie.

« J’ai découvert le livre de la sociologue Orna Donath Le regret d’être mère, je me suis sentie concernée, c’est vraiment ce que je ressentais. Ce n’était pas ma dépression, elle avait été soignée, mais je sentais que je n’étais pas à ma place et que je n’aimais pas ce rôle de mère que je regrettais, et c’est là que j’en ai parlé à mon mari, explique-t-elle. Il a eu tout un processus à intégrer pour comprendre. On est en thérapie de couple, ça nous aide beaucoup, il m’a d’ailleurs encouragée à écrire ce livre. »

Le regret, ce n’est pas une maladie qui se soigne, c’est un ressenti. On ne choisit pas de regretter, mais on peut apaiser ce sentiment. Je ne regrette pas mon fils, je l’aime à l’infini, c’est un garçon qui est épanoui, aimé par ses parents et je fais tout pour être la meilleure mère possible.

Astrid Hurault de Ligny

Déculpabiliser

En 2020, Astrid crée le compte Instagram @le_regret_maternel et échange avec d’autres mères qui vivent ce même regret. « Cette page m’a aidée à déculpabiliser, à parler ouvertement de ce sujet tabou et à accepter mon regret. Le fait de pouvoir en discuter avec d’autres mères, sans honte, dans la bienveillance, est extraordinaire, tout comme l’écriture de ce livre qui a été thérapeutique », dit-elle.

  • IMAGE TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @LE_REGRET_MATERNEL

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« Beaucoup de mères me disent que s’il n’y avait pas toute cette charge mentale, elles ne regretteraient pas, mais elles se sentent constamment jugées, critiquées dans ce rôle de mère sacralisée. Il y a les injonctions : “Tu n’allaites que six mois ? Tu retournes vraiment au travail après six mois ? Tu ne fais pas tes purées maison ?” On veut tellement bien faire qu’on s’y perd, et on met la barre trop haut », déplore l’autrice.

Comment vivre avec ce regret ? D’abord, Astrid Hurault de Ligny souhaite répéter que ce regret la concerne elle, et non son fils. « Il n’est pas fautif, il n’a rien demandé. Il est possible de bien vivre avec ce regret, il peut s’estomper, mais c’est un long travail sur soi. Ça va mieux, je suis en thérapie depuis trois ans [et en thérapie de couple depuis un an], je suis soutenue par mon mari, mes amis, ma psychothérapeute qui ne me juge pas, ma communauté sur Instagram, je suis bien entourée. Je prends du temps pour moi. Mon fils grandit, il a 4 ans et demi, il gagne en autonomie, ça allège un peu le quotidien », dit-elle.

Est-ce qu’elle lui parlera de ce regret ? « Oui, je ne vais pas lui mentir, car il y a ce livre, mais il est beaucoup trop petit. Je lui en parlerai plus tard, je pense que tout est dans la façon de lui en parler, dans le choix des mots, et encore une fois, ce n’est pas lui que je regrette, mais mon rôle de mère et tout ce que cela implique. »

Consultez le compte Instagram le_regret_maternel
Le regret maternel

Le regret maternel

Éditions Larousse

304 pages

L’avis de la psychologue

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Lory Zephyr, psychologue spécialisée en périnatalité

Pour mieux comprendre le regret maternel, nous avons posé quelques questions à Lory Zephyr, psychologue spécialisée en périnatalité et en santé mentale maternelle. Entrevue.

Le regret maternel est un sujet très délicat, voire tabou.

C’est dur à entendre, mais dans notre société, on devrait être plus ouvert et comprendre la réalité des parents. Comment soutient-on les mères ? Les parents ? Est-ce qu’ils sont heureux dans leur parentalité ou, au contraire, ont-ils besoin d’aide ? Je vois beaucoup de mères en consultation qui pensent qu’être une bonne mère, c’est faire tous les repas maison, se priver de sorties, se sacrifier tout le temps, elles n’ont pas d’autres modèles de mères qui s’épanouissent, qui voient leurs amis et qui poursuivent leurs activités.

Il faut distinguer le regret maternel et l’amour envers ses enfants ?

On peut regretter d’être mère, tout en aimant ses enfants. Cette contradiction est difficile à accepter, mais fondamentalement, le fait de devenir parent vient avec cette ambivalence. Je peux aimer mon enfant, mais toute la charge qui vient avec ce rôle, c’est autre chose, et ce n’est pas parce que je côtoie mes neveux et nièces que je sais ce que c’est qu’être mère. Il y a tellement d’inconnu autour de la maternité. Les parents ne savent pas comment ils vont réagir au manque de sommeil, aux pleurs, au manque de liberté, aux sacrifices associés à leur parentalité. C’est là qu’on va commencer à développer un sentiment de regret. On va préférer notre vie d’avant, nos plaisirs, notre liberté, et on n’aime pas ce qu’on est devenue. On a du mal avec ce nouveau rôle de mère, mais il est trop tard.

Faut-il mieux soutenir les mères, les parents ?

Quand un bébé ne dort pas bien, qu’il pleure beaucoup, qu’il est difficilement consolable, le sentiment de compétence parentale est mis à mal. C’est là que le regret peut être ressenti. Il est multifactoriel, il y a beaucoup de parents qui commencent la parentalité avec toutes sortes de difficultés sociales, économiques, des problèmes de développement du bébé, des allergies, on est fatigué, il n’y a rien de positif… Il y a des facteurs sociodémographiques, comme le fait d’être éloigné de la famille, de ne pas avoir de réseau de soutien ni de répit, qui alourdissent la parentalité. Quand on est grand-parent, ami, voisin, oncle et tante, on peut alors soutenir les nouveaux parents, c’est important.

Le rôle de mère est-il encore trop sacralisé, idéalisé ? Un rôle où le bonheur plane en tout temps ?

Dans notre société, on a cette image forte et inébranlable que la maternité n’est qu’une expérience positive, que ce n’est que du bonheur, alors ça laisse peu de place à autre chose. La maternité, c’est aussi de la fatigue, du lait qui coule des seins, des doutes, un allaitement qui peut être difficile. Il y a des mères qui sont isolées et qui pensent qu’elles sont seules à vivre des difficultés. Sur les réseaux sociaux, la maternité est idéalisée, on fait des bricolages, on cueille des pommes, mais ce n’est pas la réalité.

A-t-on tendance à sous-évaluer la transition complexe qu’est la maternité ?

Ce sont des changements corporels, identitaires, sociaux auxquels on doit faire face, des changements au sein du couple aussi qui sont complexes. La matrescence, c’est lorsqu’on intègre un nouveau rôle dans notre identité, celui de la maternité. Il y a un bébé qui naît, mais c’est aussi la naissance d’une mère qui est en apprentissage. Elle va commettre des erreurs, c’est normal, mais les mères ne se voient pas comme ça, elles ont la perception que dès qu’elles sortent de l’hôpital, elles devraient tout savoir et tout maîtriser, et quel choc ! Ce n’est pas ça, la maternité ! On est confrontée dans nos rôles à apprendre, et il faut s’ajuster, observer, comprendre. La maternité a aussi cet effet psychologique qui nous fait réfléchir sur nos propres parents, ça nous confronte et on vit de la colère, de la frustration, de la tristesse, du découragement. La transition à la parentalité n’est pas simple, ce n’est pas obligé d’être difficile, mais ça peut être complexe.

Est-ce qu’on devrait davantage se questionner sur le désir d’enfant ?

Il y a de plus en plus de modèles de femmes et d’hommes qui n’ont pas d’enfants et qui le vivent très bien. On vit dans des sociétés occidentales très natalistes, on valorise la famille et les enfants, mais on peut faire le choix de ne pas en avoir et l’assumer, alors qu’avant c’était très mal vu. On a encore du travail à faire, il ne faut surtout pas mettre de pression sur les jeunes, car on le fait encore pour les femmes avec des questions du genre : c’est pour quand les enfants ? Et c’est là qu’il peut y avoir des regrets.

Est-ce qu’on doit parler du regret maternel à son enfant ?

Si notre enfant, adolescent ou jeune adulte se pose des questions sur la parentalité, s’il se questionne sur le désir d’enfant, ça peut être un bon moment pour en discuter, mais en apportant de la nuance. Il faut bien qu’il comprenne la différence entre le regret d’être mère et l’amour qu’on a pour notre enfant. On peut lui expliquer qu’on trouve difficile le rôle de mère, que la transition a été difficile pour différentes raisons, dont la charge mentale, le manque de soutien. On aurait tout intérêt dans notre société à parler de cette transition difficile quand on devient mère, pour éviter que les mères se jugent et se blâment.

Et le regret paternel ?

Oui, il peut y avoir un regret paternel. Je vais être honnête, je reçois beaucoup moins de pères dans ma clinique qui viennent consulter au sujet de leur rôle parental. Il y a des pères qui trouvent ça difficile, évidemment. Je fais beaucoup de thérapies de couple et des pères ressentent de l’impuissance et de la culpabilité parce qu’ils vont travailler et voient leurs conjointes qui sont fatiguées à la suite de l’accouchement. Les pères se sentent propulsés dans la parentalité, et perdent aussi leur liberté. Ils pourraient vivre un certain regret. Il y a des changements aussi pour les pères, sur le plan identitaire, social et corporel, il y a notamment le syndrome de la couvade, c’est lorsque les futurs pères prennent du poids pendant la grossesse, on en parle moins, c’est vrai, mais peut-être qu’il y a quelque chose à explorer.