Un jeune qui se pose des questions, c’est sain. Et le fils de Josée Pelletier, âgé de 18 ans, s’en pose à propos du vaccin contre la COVID-19. À l’invitation de La Presse, Josée Pelletier est venue parler des questionnements de son fils avec la Dre Fatima Kakkar, pédiatre infectiologue au CHU Sainte-Justine. Compte rendu de cet échange éclairant.

C’est Josée Pelletier, de Montréal, qui a écrit à La Presse pour suggérer ce sujet d’article. Son fils n’est pas un « antivax », mais comme bien d’autres adolescents ou jeunes adultes, il hésite à recevoir sa première dose de vaccin. Et il a de bons arguments, convient sa mère, qui ne trouve pas nécessairement de réponses satisfaisantes à lui fournir.

« On est vraiment dans la comparaison des risques, explique Josée Pelletier. Le risque d’un vaccin créé rapidement comparativement aux risques, pas énormément connus non plus, de la COVID-19 pour un jeune de 18 ans en pleine santé. »

Ces interrogations reviennent beaucoup en cabinet, indique d’emblée la Dre Fatima Kakkar, qui souligne que le fils de Josée Pelletier est loin d’être le seul à se questionner alors que le Québec entame sa campagne de vaccination chez les 12 à 17 ans.

« Je pense que la première chose à connaître, c’est l’histoire de la fabrication de ce vaccin », dit la Dre Kakkar. La technologie de l’ARN messager (qu’utilisent les vaccins de Pzifer et de Moderna) est en développement depuis plus de 30 ans, rappelle-t-elle. L’entreprise du couple de scientifiques turco-allemands qui a développé le vaccin de Pfizer-BioNTech travaillait déjà sur un vaccin antigrippal quand la pandémie de COVID-19 a éclaté.

Il est vrai qu’en temps normal, ça prend des années pour mettre en place une étude clinique pour tester l’efficacité et la sûreté d’un vaccin. Mais pour la COVID-19, rappelle-t-elle, les comités éthiques et tous les autres acteurs impliqués ont travaillé jour et nuit pour éviter ces délais. Les participants aux études cliniques ont aussi pu être recrutés rapidement, parce que la COVID-19 a rendu énormément de gens malades.

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La Dre Fatima Kakkar (haut) et Josée Pelletier, lectrice de La Presse et mère d’un jeune homme de 18 ans

« On fait des études d’efficacité quelques semaines après une dose pour voir la réponse dans le sang, les anticorps. Après, on revoit les effets à court terme, après 30 jours, 60 jours, et quelques mois plus tard, explique la Dre Kakkar. C’est exactement pareil que pour les autres vaccins. C’est juste que toutes les étapes se sont faites plus rapidement, parce que les gens avaient la bonne volonté de le faire plus rapidement. »

« Même sur des gens plus jeunes ? lui demande Josée Pelletier. Il y a eu beaucoup de gens malades de la COVID-19, mais ça touchait beaucoup les plus âgés… »

Les jeunes sont en effet très rarement hospitalisés à cause de la COVID-19. Pour montrer l’efficacité du vaccin chez eux, les scientifiques ont regardé leurs anticorps, explique la pédiatre infectiologue.

Ce qu’ils ont vu chez les jeunes, c’est qu’il y a vraiment une très bonne protection des anticorps, qu’on peut corréler avec l’efficacité.

La Dre Fatima Kakkar, pédiatre infectiologue au CHU Sainte-Justine

Par ailleurs, le vaccin que les jeunes recevront – à ARN messager, molécule qui porte des instructions génétiques – présente très peu de risques, note-t-elle. Les jeunes, qui ont un fort système immunitaire, peuvent avoir plus mal au bras que les personnes plus âgées. Ils peuvent aussi avoir un peu de fièvre et de douleur généralisée. Des réactions allergiques – très rares – peuvent aussi survenir.

« Par rapport au risque à long terme, ce qu’il faut savoir, c’est que ce n’est pas un vaccin qui va rester dans le corps pendant des années », explique la Dre Kakkar. En fait, illustre-t-elle, le vaccin vient donner une recette au corps. « Ça montre aux cellules comment fabriquer une protéine, mais ce n’est pas quelque chose qui est intégré dans l’ADN humain. »

Trois raisons

La Dre Kakkar l’entend souvent de la bouche des jeunes : « On va bien, on est en santé, pourquoi irait-on se faire vacciner ? » Pour se protéger soi-même, pour retrouver une vie normale et par altruisme, répond-elle.

Il est vrai que les jeunes sont « très faiblement » à risque. Des complications rares peuvent survenir (comme le syndrome inflammatoire), mais « c’est difficile de le donner comme argument à un jeune, note la pédiatre. Ils vont regarder les statistiques et dire : “Moi, je ne suis pas à risque.” »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La Dre Fatima Kakkar, pédiatre infectiologue au CHU Sainte-Justine

Pour la majorité des jeunes, la raison la plus importante, selon moi, c’est le retour à la normale.

La Dre Fatima Kakkar, pédiatre infectiologue au CHU Sainte-Justine

Retourner à l’école pour vrai, assister à des concerts, voyager…

En se faisant vacciner, les jeunes protégeront les autres, ajoute la Dre Kakkar. Sinon, le virus aura tout le loisir de circuler chez les jeunes et, éventuellement, d’atteindre d’autres groupes. La culpabilité d’avoir transmis la COVID-19 à un proche peut être lourde à porter, souligne la pédiatre, qui a été témoin d’histoires déchirantes.

Josée Pelletier rapporte les arguments de son fils : si les vieux sont vaccinés, ne développeront-ils pas une version légère de la maladie, ou même rien du tout ? Fatima Kakkar souligne que le vaccin n’est pas efficace à 100 %. Et plus le virus circule, dit-elle, plus il risque de développer des mutations et des variations, et de devenir plus agressif et plus résistant au vaccin.

Pour atteindre l’immunité collective, « il faut que les 75 % de gens vaccinés s’appliquent à toutes les tranches de la société », dit-elle.

Pourquoi participer à l’effort ?

La pandémie a eu un effet néfaste sur la motivation scolaire de son fils, souligne Josée Pelletier. Il a terminé sa cinquième secondaire chez lui, avec peu de soutien de son école publique. Au cégep, il a choisi un programme technique, mais tous ses cours se font à distance. Il a utilisé l’option des incomplets pour sa session d’hiver.

Mon fils le souligne : les jeunes ont vraiment été laissés pour compte pendant la pandémie. “Pourquoi devrais-je aujourd’hui contribuer à la santé publique ?”

Josée Pelletier, lectrice de La Presse et mère d’un jeune homme de 18 ans

Fatima Kakkar rappelle qu’il s’agit d’une action collective. N’empêche, dit-elle, il est important de reconnaître la fatigue et la colère des jeunes, qui ont l’impression d’avoir perdu une année de vie.

Selon elle, la pandémie a mis en évidence de grosses lacunes, dans le système d’éducation, dans le système de santé et dans le fonctionnement général de la société. Après la pandémie, dit-elle, il faudra revoir nos méthodes de fonctionnement, mais aussi s’attarder aux effets à long terme sur la santé mentale des gens. « Et c’est important que les jeunes disent ce qu’ils ont vécu, pour qu’on ne l’oublie pas », conclut-elle.

Josée Pelletier, quant à elle, « se sent mieux ouillée pour avoir un nouvel échange avec [son] grand », conclut-elle en souriant.