Parce que les modèles de maternité sont multiples, voici l’histoire de Léa, puis celle d’Anne-Marie, qui ont chacune bravé la pandémie pour aller chercher l’enfant qui les attendait à l’autre bout de la planète.

De la grosse crise au grand amour

Le 21 décembre dernier, alors que le Québec s’apprêtait à fêter un premier Noël en confinement, Léa Gosselin et Julien Hudon se trouvaient loin, bien loin de leur maison de Rivière-du-Loup. Ils étaient à Nosy Be, une île touristique sur la côte de Madagascar. Pas pour profiter de la plage (rassurez-vous), mais pour rencontrer Diamondra, 2 ans. Et l’accueillir dans leur famille.

Sur le terrain d’une maison que Léa et Julien avaient louée au bord de la mer, la fillette de 2 ans est débarquée d’une fourgonnette, épuisée par un long voyage de deux jours depuis son orphelinat, à Antananarivo, la capitale. Pieds nus, elle flottait dans un chandail Pokémon jaune.

La femme qui accompagnait Diamondra l’a présentée à Léa et Julien, puis elle est repartie avec les autres enfants à bord, eux aussi destinés à l’adoption internationale.

Léa et Julien sont l’un des 13 couples au Québec qui ont réussi à conclure leur processus d’adoption internationale cette année dans un contexte ralenti par la pandémie de la COVID-19. Nous les avons rencontrés à la mi-avril, quatre semaines après leur retour de Madagascar. Ils étaient de passage à Montréal pour le premier bilan de santé de Diamondra, à l’hôpital Sainte-Justine.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Julien Hudon, Léa Gosselin et Diamondra Simone

« Je suis née avec une malformation cardiaque, raconte Léa dans sa chambre d’hôtel. Il y avait des risques associés à la grossesse qui étaient trop gros pour nous. Et ce qu’on voulait le plus, c’était une famille, pas donner naissance. »

Le couple s’est tourné vers l’adoption internationale et Madagascar a retenu sa candidature. En mai 2019, au terme d’un processus exhaustif, Léa et Julien ont envoyé leur dossier à Madagascar. Puis, ils ont beaucoup lu. Sur l’adoption, sur Madagascar, sur les enjeux racistes.

C’est le 21 juin 2020, à la fête des Pères, qu’ils ont reçu la proposition d’adoption pour Diamondra. On leur a dit de ne pas trop s’emballer : en raison de la pandémie, les frontières de Madagascar étaient fermées.

« Sur le coup, on était sur un nuage, se souvient Julien. Et après… ça retombe. » « Parce qu’on n’a pas d’horizon pour partir, poursuit Léa. Et tout le temps qui passe, c’est du temps perdu, du temps qui va nuire à son développement. »

Mais fin novembre, ils ont reçu l’appel tant attendu. L’île de Nosy Be venait de rouvrir aux touristes. Diamondra pourrait aller les y rejoindre. Léa et Julien devaient y être dans dix jours et y rester pendant au moins trois mois, comme le veut le processus d’adoption à Madagascar.

Bien qu’ils s’y attendaient, la première rencontre avec Diamondra a été bouleversante pour les nouveaux parents. La fillette était en choc. « Ç’a été cinq heures de crise, se souvient Léa. Elle ne voulait pas rentrer dans la maison. Elle ne voulait pas qu’on la touche. On a tourné autour de la maison, jusqu’à ce qu’elle s’endorme d’épuisement. » Ses parents avaient posé des matelas au sol pour qu’elle ne se blesse pas.

Le lendemain, Dia s’est réfugiée dans les bras de Léa, qu’elle n’a plus quittés pendant des semaines. Les grosses crises ont perduré un bon mois et demi. « C’est un mélange de tout. La joie de l’avoir enfin avec nous, mais en même temps, l’impuissance de ne pas être capable de la consoler, raconte Léa, 32 ans, neuropsychologue. On se demandait : “Est-ce qu’on va être capables de l’aider ?” »

« On envoyait des photos de paysage à nos amis, poursuit Julien, travailleur social. On nous répondait : “Ah, vous êtes bien.” Mais pour nous, ce n’était pas de tout repos. C’était une période d’apprivoisement. »

  • Diamondra et Léa Gosselin, à Nosy Be

    PHOTO FOURNIE PAR LÉA GOSSELIN

    Diamondra et Léa Gosselin, à Nosy Be

  • Diamondra et son père Julien Gosselin, à Nosy Be

    PHOTO FOURNIE PAR LÉA GOSSELIN

    Diamondra et son père Julien Gosselin, à Nosy Be

  • Diamondra joue dans un hamac.

    PHOTO FOURNIE PAR LÉA GOSSELIN

    Diamondra joue dans un hamac.

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Au fil des semaines, tranquillement, Dia a accepté que sa mère soit dans une autre pièce qu’elle. Elle a aussi tissé un lien avec son papa, qui avait tellement hâte qu’elle le laisse la prendre. Elle a aussi appris à jouer, elle qui, au début, ne faisait que ranger et passer le balai.

Le 25 mars, la famille est rentrée au Canada en catastrophe, car Madagascar était sur le point de fermer ses frontières de nouveau.

L’adaptation de Dia se passe bien. Enjouée, aimante, rieuse, elle ne cesse d’épater ses parents.

On a commencé à se sentir comme des soigneurs, au début. Après, il y a eu un attachement, puis une tendresse profonde. Et là, c’est de l’amour accoté.

Léa Gosselin

Comment le ressentez-vous, cet amour ?

« Elle nous habite constamment, résume Julien. Quand elle n’est pas là, on s’ennuie. » Le matin, Léa a hâte de se lever. Elle sait que, dès que sa fille entendra la porte de sa chambre s’ouvrir, elle s’élancera dans ses bras, comme chaque matin. « C’est la personne la plus importante de notre vie », conclut Léa.

Des délais éprouvants

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Anne-Marie Morel avec son conjoint FrançoisThibault et leurs enfants Laurianne, 12 ans, Jérémie, 5 ans, et Liam, 3 ans

Le 13 mars 2020, jour où le Québec a déclaré l’état d’urgence sanitaire, Anne-Marie Morel et son conjoint François Thibault ont reçu l’autorisation d’aller chercher Liam aux Philippines. Au départ, ils pensaient que c’était une question de semaines avant de pouvoir faire le voyage.

« Jamais on n’aurait pu imaginer qu’il aurait fallu pousser, se battre, tenter de trouver des plans B, C, D… », raconte Anne-Marie Morel, qui est aussi présidente de la Fédération des parents adoptants du Québec.

Alors que le plan initial était d’aller chercher Liam en famille, grands-parents compris, Anne-Marie Morel a dû y aller seule lorsqu’une fenêtre s’est présentée. « Peu importent les risques et l’incertitude, j’allais chercher notre bébé », résume-t-elle.

L’« accouchement » de Liam a été « particulier », confie Anne-Marie, qui ne compte plus les fois où on a pris sa température et où on l’a aspergée de désinfectant. Elle a dû être confinée huit jours à l’hôtel avec Liam dans l’attente du vol du retour. « On s’est collés assez intensément, c’était ma job à temps plein. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Anne-Marie Morel et Liam

Les processus d’adoption internationale ont été ralentis par la crise sanitaire, tant au Québec que dans les pays d’origine des enfants. La pandémie a aussi eu un impact sur les délais de traitement.

Alors que 129 enfants ont été adoptés au Québec en 2019, seuls 61 l’ont été en 2020, et 13 cette année (jusqu’à la mi-avril), selon les chiffres du Secrétariat à l’adoption internationale. De plus, 26 familles ayant déjà accepté un dossier d’enfant sont en attente. La Chine n’a toujours pas rouvert ses frontières aux adoptants.

Quand les parents adoptants reçoivent le dossier de leur enfant, avec un nom et une photo, ça devient leur enfant, souligne Anne-Marie Morel, qui a une fille de 12 ans adoptée aux Philippines et un garçon biologique de 5 ans.

C’est une attente terrible, parce qu’on ne sait pas quand elle finit. Et ce sont les humains qui décident et qui ne comprennent pas toujours l’importance de nous faire un corridor pour aller chercher notre enfant.

Anne-Marie Morel

Anne-Marie ressent beaucoup de frustration lorsque le Canada est responsable des délais.

Liam, un enfant aussi attachant que téméraire, s’adapte bien, lui aussi. « L’intensité de créer un lien avec un enfant à partir de zéro… ça nous manquait », conclut Anne-Marie.