Après des mois d’interdiction de rassemblements, nombreuses sont les familles qui se sont (enfin) réunies, cet été. Ces retrouvailles ont été le théâtre de moments heureux… et, dans certains cas, de chicanes, souvent exacerbées par la fatigue de la dernière année. Confidences et pistes de solution.

Éloïse pensait que, lorsqu’elle recommencerait à fréquenter ses parents pour vrai, ça se passerait comme avant la pandémie. Elle se trompait. « Je n’avais pas pris en compte l’écart entre ce que j’ai vécu, cette année, et ce que mes parents ont vécu », dit-elle.

Parents de deux enfants en bas âge, Éloïse et son conjoint se sont sentis « dépassés et épuisés ». Ils ont ramé fort, « sans le village que ça prend pour élever des enfants », précise Éloïse, qui s’est même demandé l’hiver passé s’ils allaient passer au travers. La Montréalaise a souhaité être citée sous un faux prénom pour ne pas envenimer les relations familiales, comme toutes les autres intervenantes de cet article, d’ailleurs.

Comme bien des grands-parents, les parents d’Éloïse étaient à cheval sur les règles sanitaires.

Intellectuellement, je comprends qu’ils avaient peur d’attraper la COVID-19, d’autant que mon père est proche aidant pour sa mère. Dans ma tête, ça marche, mais c’est comme dans le cœur que ça ne marche pas !

Éloïse

Du côté de ses parents, la pandémie leur a fait prendre conscience qu’ils vieillissaient et qu’ils voulaient profiter de la vie, explique Éloïse. Ils ont planifié les voyages qu’ils feraient une fois vaccinés… et leur voyage prévu cet été tombait en même temps que des anniversaires significatifs, ce qui a chagriné Éloïse.

« J’avais l’impression d’être abandonnée », résume Éloïse, qui a confronté sa mère cet été, lasse de ce climat de guerre froide qui prévalait.

Jeanne non plus n’a pas exactement eu des retrouvailles de rêve avec sa belle-famille, cet été. Le conjoint de Jeanne est un scientifique à l’esprit cartésien, tandis que son frère se présente comme « médium ». Le premier est vacciné, le second défend des positions anti-vaccins, allant jusqu’à remettre en question l’intégrité des gens vaccinés sur les réseaux sociaux. Bref, leur façon de voir la crise (et le monde) sont opposées, résume Jeanne.

Au milieu des vacances, lorsque confrontée par sa belle-sœur, Jeanne lui a dit franchement ce qu’elle pensait… « Avec peut-être trop d’honnêteté, convient la Montréalaise. Et on a terminé les vacances chacun de notre bord. »

Fatigue psychologique

Est-ce que la distance de la dernière année nourrit les chicanes de famille ?

« Ce n’est pas nécessairement la distance, mais peut-être plus les prises de conscience », répond Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. La pandémie a permis à de nombreuses personnes de prendre conscience de ce qui compte vraiment pour elles, souligne-t-elle. Des positions se sont campées, des griefs se sont développés.

La chicane, explique la psychologue, est généralement le fruit d’une mauvaise compréhension (« on a de la misère à se mettre à la place de l’autre »), d’une mauvaise communication (« on ne prend pas le temps de s’écouter et de dire les choses comme il faut ») ou encore d’une charge émotive trop grande.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

LE facteur le plus contributif, c’est probablement l’état psychique dans lequel les gens se trouvent. C’est extraordinaire de pouvoir se retrouver, mais si ça se passe dans un contexte où on est fatigué psychologiquement, on va être plus interprétatif, plus irritable, moins tolérant, moins patient.

Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

Le seuil de tolérance de Charlotte a rarement été aussi bas que lors des grandes retrouvailles avec sa famille, en France, cet été. Charlotte attendait pourtant ces vacances avec impatience, elle qui avait accumulé beaucoup de fatigue pendant les mois précédents. Comme le veut la tradition, la famille a loué une maison au bord de la mer, dans le sud de la France.

« Malgré le fait que nous nous trouvions dans un endroit paradisiaque et que j’avais une envie immense de les revoir tous, au bout de quelques jours, j’ai saturé », résume la Montréalaise d’adoption. Trop de monde, trop de bruit, trop peu d’écoute. Il n’y a pas eu de chicane à proprement parler, mais plutôt une accumulation de « micro-tensions », dit-elle.

« Je crois que je me suis habituée au calme et au silence, dit Charlotte. Et j’ai l’impression aussi que ma famille et moi avons un peu perdu en compétences sociales. »

Amélie et son père, qui n’habitent pas la même région, ne se sont pratiquement pas parlé depuis le début de la crise sanitaire. L’hiver passé, au téléphone, Amélie a senti que son père se moquait de son respect des règles sanitaires. La jeune femme reproche aussi à son père, ouvertement antimasque, d’avoir tenté de dissuader des membres de sa famille de se faire vacciner et d’avoir mis sa grand-mère à risque par ses comportements.

« Mon père a toujours été ésotérique et déconnecté des sentiments des autres. La crise a exacerbé des côtés de lui que je n’aimais déjà pas », dit Amélie.

Pistes de solution

Les chicanes de famille ne sont pas toutes facilement réconciliables, surtout celles qui datent de longtemps, convient Christine Grou. Parfois, dit-elle, il suffit d’un prétexte pour qu’une chicane latente s’exprime. La psychologue insiste néanmoins sur une chose : il faut croire au processus de réparation.

La première étape, dit-elle, c’est de prendre du recul pour ne pas nuire davantage, puis de faire un examen de conscience. Est-ce qu’on souffre de cette chicane (« et, en général, les gens souffrent des chicanes de famille ») ? Si oui, est-ce qu’on change quelque chose ?

« C’est très noble d’être capable de dire à l’autre qu’on est allé trop loin ou encore qu’on a été blessé par ce qui a été dit, mais qu’on ne veut pas rester là-dessus. Il n’y a pas de honte à revenir vers l’autre », dit-elle.

Éloïse, la mère des jeunes enfants qui s’est sentie abandonnée par ses parents, a été capable d’ouvrir le dialogue avec sa mère, cet été, pour lui dire comment elle se sentait. Sa mère a fait de même.

« À la fin, on a fini par se comprendre et se pardonner mutuellement », conclut-elle.