Dès la deuxième semaine de classe, à la fin août, l’école de Fiston a décidé que ses élèves de cinquième secondaire resteraient à la maison une journée sur deux. Trois jours de cours en classe, trois jours de cours à distance, et on reprend le cycle. Un mois et demi plus tard, je constate que pour lui – et ses amis, me dit-il –, ce n’est pas la catastrophe appréhendée par plusieurs.

Les élèves ont réduit leur risque d’être en contact avec des camarades potentiellement contaminés par la COVID-19. Jusqu’à cette semaine, il n’y avait d’ailleurs pas eu de cas signalé au collège. Les cours en ligne sont assez rodés depuis le printemps pour être efficaces. Tout n’est pas parfait, sans doute – la bulle-classe a ses limites –, mais cette décision d’aller au-devant des problèmes, en les attaquant de front, me semble avoir été sage et responsable.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les adolescents sont plus susceptibles de développer des symptômes d’anxiété et de dépression en raison des mesures de confinement imposées par la COVID-19, même à la fin de la pandémie, selon une étude publiée à la fin juillet par le Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry.

Je m’inquiète davantage pour son frère qui, tous les jours, se harnache d’un sac à dos énorme comme s’il partait en trek dans l’Himalaya. Avec ce petit sursaut typique des randonneurs, afin de s’assurer que le poids est bien réparti sur ses épaules. J’ai toujours peur qu’il tombe à la renverse comme une tortue en peine, gesticulant au-dessus de sa carapace. Il n’a pas de tablette électronique, pas de casier désigné, et transporte tous ses livres et cahiers au quotidien, de la maison à l’école. À ce rythme, je me demande si son dos tiendra jusqu’à Noël. Ou si je devrai l’inscrire à l’hiver au cours Lumbago 01.

Ce qui me rassure, c’est que mes fils fréquentent l’école. Que ce soit un jour sur deux ou à temps plein. S’il fallait que les écoles ferment de nouveau comme au printemps, et que tous les cours soient donnés à distance, je serais bien en peine pour eux. Et inquiet, surtout, pour le plus jeune.

À 14 ans, a-t-on la maturité et l’autonomie nécessaires pour étudier efficacement, à temps plein, de sa chambre ? À cet âge-là, on a besoin d’un minimum de structure. Surtout pas de passer plus de temps devant un écran.

Je mesure d’autant plus la chance que mes fils ont de fréquenter l’école en chair et en os en constatant à quel point certains cégépiens en arrachent. S’il y a un « sacrifice générationnel », comme le craignait en début de semaine l’Association des pédiatres du Québec, il est probablement davantage là qu’au secondaire. Une mère me racontait qu’elle a dû se rendre aux urgences avec son fils cette semaine. Il vient d’entamer le cégep et souffre de troubles anxieux. Déjà que l’époque est anxiogène, il ne trouve rien pour le rassurer, ni camarades de classe à côtoyer ni professeurs à rencontrer. Il se sent abandonné à lui-même, à ses travaux et examens, inquiété par ses résultats et son avenir, sans possibilité d’exutoire par le sport, notamment. Il ne voit personne et passe ses journées devant un écran. Comment trouver la motivation nécessaire pour étudier tout en restant serein ?

Les adolescents sont plus susceptibles de développer des symptômes d’anxiété et de dépression en raison des mesures de confinement imposées par la COVID-19, même à la fin de la pandémie, selon une étude publiée à la fin juillet par le Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry. La détresse psychologique causée par le confinement chez les jeunes fait également l’objet d’études en cours au Québec. D’où l’importance de leur offrir le cadre le plus propice à la réussite scolaire.

Quantité d’élèves ayant terminé leur secondaire de peine et de misère, à distance, en juin dernier – avec ou sans difficultés d’apprentissage – se demandent comment ils vont réussir au cégep cette année. Certains sont plus résilients, d’autres plus démotivés. Tous étudient de la maison, peu importe la couleur de la zone où ils habitent. Plusieurs y trouvent leur compte, notamment parce qu’ils perdent moins de temps dans des déplacements (ce qui sera un avantage indéniable à l’hiver). Ils sont tout autant à regretter l’absence de vie sociale étudiante, inestimable moteur de motivation scolaire.

« Les meilleurs étudiants vont bien s’en sortir – avec, sans ou malgré leurs profs –, les plus faibles risquent de frapper le mur plus rapidement que d’ordinaire (motivation moindre, pas de sentiment d’appartenance, encadrement ou dépistage plus délicat à effectuer), croit l’auteur Simon Roy (Ma vie rouge Kubrick), qui enseigne au collégial depuis 25 ans. Les autres, eh bien, c’est là qu’on va voir si le système à distance fonctionne pour vrai. Le facteur détermination sera primordial. »

La situation n’est pas plus simple pour plusieurs profs. La gestion technologique est énergivore, les séances Zoom ne sont pas toujours efficaces et la charge de travail est forcément plus lourde.

« Je vois des étudiants qui s’enferment, refusent d’ouvrir leur caméra pour toutes sortes de raisons inexpliquées et qui, plus important, ne prennent pas la parole, m’explique Simon Leduc, lui aussi auteur (L’évasion d’Arthur ou la commune d’Hochelaga) et prof de cégep. Je ne sais donc pas comment les aider autrement – parce que quand je les lis, je vois leurs lacunes – qu’en ralentissant le rythme habituel des apprentissages pour revenir sur des notions importantes. Sinon, avec mes collègues, le constat, c’est qu’on passe beaucoup plus de temps à travailler sur des contenants que des contenus. »

Ce que les profs ne disent pas, sans doute parce qu’ils y sont habitués, c’est qu’il n’est pas si facile d’enseigner à des jeunes dont le degré de motivation est variable. Dans un groupe, il y a ceux qui vous écoutent avec intérêt et ceux qui, affaissés sur leur pupitre à demi endormis, attendent que la cloche sonne. Je le constate chaque fois que je m’adresse à un groupe scolaire.

J’en ai fait pour la première fois l’expérience virtuelle cette semaine, invité dans la séance Zoom d’une classe d’université d’une cinquantaine d’étudiants. Ceux qui intervenaient étaient éloquents, leurs questions particulièrement pertinentes, j’avais le sentiment d’avoir su capter leur attention… jusqu’à ce qu’inopinément, mon écran se fixe en gros plan sur un étudiant errant. Il bayait aux corneilles devant un fond d’écran multicolore. Je n’avais pas le loisir, comme dans une classe, de diriger mon regard vers un étudiant plus concentré. Il a fallu que je balaie mon écran du doigt pour retrouver un public moins distrait ainsi que le fil de mes idées.

J’ai aussitôt eu une pensée pour ce prof de droit, dont j’ai oublié le nom et la matière, qui nous donnait en soirée un cours sur les sûretés et hypothèques. Je m’y présentais une fois sur deux, la tête ailleurs. Ce n’était pas idéal, évidemment. J’ose croire que ce ne fut pas catastrophique.