« Nez coule ! » Ce ne sont pas loin d’être les premiers mots qu’il a prononcés, après « papa », « maman » et « Manchester United » (le club de soccer auquel il a été biberonné). « Oh ! Nez coule ! » fut peut-être sa première phrase complète. Une interjection, un nom, un verbe. Pourquoi s’embarrasser de déterminants, de compléments et d’adjectifs ?

« Nez coule ! Nez coule ! » Oui, mon chéri. Voici un mouchoir. Lorsque les muqueuses étaient trop récalcitrantes pour que le mouchoir soit efficace, on se rabattait sur un procédé rebutant d’une redoutable efficacité, un mécanisme de succion traumatisant autant pour le parent que pour l’enfant que j’ai rebaptisé « la pompe à morve ».

La pompe a été remisée depuis longtemps, mais son nez, lui, coule en quasi-permanence depuis sa naissance. Une champlure de sécrétions qui n’est fermée que quelques semaines par année, surtout l’été.

PHOTO ANDREW VAUGHAN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

« Il n’y a pas de risque à prendre si on veut que les écoles restent ouvertes, écrit notre chroniqueur. S’il y a une leçon à tirer de la première vague, c’est qu’il vaut mieux prévenir que guérir. »

Inévitablement, avec la rentrée des classes, le nez de mon ado s’est remis à couler cette semaine. Assez pour que, compte tenu du contexte actuel, on lui suggère de rester à la maison. Son front et ses joues me semblaient plus chauds que d’ordinaire, au toucher. J’ai ressorti un autre instrument de torture de sa petite enfance : le thermomètre. La première mesure donnait plus de 38 degrés, mais les subséquentes étaient plus rassurantes.

Il ne semblait pas faire de fièvre, ne toussait pas, n’avait pas de maux de gorge. Mais il était bien congestionné : les yeux bouffis, le nez rouge, l’énergie dans les talons, la boîte de mouchoirs à portée de main. J’ai attendu 24 heures, comme le recommande la Santé publique, puis comme son état ne s’était pas amélioré, je me suis rendu à la clinique afin de m’assurer qu’il s’agissait bel et bien que d’un banal rhume. Quitte à passer pour un précautionneux.

J’ai eu de la chance. À la clinique, il n’y avait quasi personne. J’ai mis plus de temps à comprendre la nécessité d’enfiler un nouveau masque à l’entrée, après m’être désinfecté les mains, qu’à attendre de consulter une infirmière. J’étais venu m’assurer que Fiston n’avait pas besoin de test.

Avant que j’aie eu le temps d’expliquer qu’il ne présentait à ma connaissance qu’un symptôme pouvant être lié à la COVID-19, on frottait déjà un coton-tige surdimensionné dans ses cavités nasales. « C’était pas si pire », a résumé Fiston, se rappelant peut-être la pompe de son enfance.

Ce que je n’avais pas bien mesuré, c’est l’impact du test. Heureusement, j’ai reçu la confirmation du résultat négatif dans les 48 heures, alors qu’il peut s’écouler jusqu’à cinq jours avant l’obtention d’une réponse. Si je n’avais pas eu de nouvelles dans les délais prescrits, il m’aurait fallu écrire un courriel à covid19.cdd_cde.ccomtl@ssss.gouv.qc.ca, en croisant les doigts pour ne pas oublier un « c » ou un « d »…

Selon l’outil d’autoévaluation des symptômes de la COVID-19 du gouvernement du Québec, j’aurais probablement pu renvoyer Fiston à l’école dans les 24 heures. Mais qui a envie d’un voisin de pupitre qui renifle et se mouche constamment, alors que rôde le coronavirus, dans une classe sans fenêtre au sous-sol d’une école secondaire ? J’ai craint que Fiston ne soit stigmatisé pour un éternuement inopiné. Et que nous ne passions pour des parents irresponsables et négligents.

Que faire en de pareilles circonstances ? Je suis convaincu de ne pas être le seul parent à se poser la question ces jours-ci, et pour qui cela soulève des questions d’éthique. D’un côté, on ne veut surtout pas que nos enfants deviennent des vecteurs de transmission du coronavirus alors que les écoles viennent enfin d’ouvrir. De l’autre, on se dit que si on fait tester nos enfants pour la COVID-19 chaque fois qu’ils ont le rhume, ils ne seront pas souvent à l’école et leur entourage pourrait passer une bonne partie de l’hiver en quarantaine préventive, en attente de résultats.

La prudence est bien sûr de mise. Dans le doute, on s’abstient. Mieux vaut rater des cours que de provoquer une éclosion. Il n’y a pas de risque à prendre si on veut que les écoles restent ouvertes. S’il y a une leçon à tirer de la première vague, c’est qu’il vaut mieux prévenir que guérir.

Après trois jours de congé forcé, Fiston est donc retourné à l’école avec une fin de rhume et un résultat de test négatif. Aurait-on dû le garder à la maison plus longtemps ? Est-ce que son rhume ne risque pas d’être transmis à des camarades de classe, provoquant un cycle d’inquiétude chez d’autres parents qui se poseront les mêmes questions que nous ?

En revanche, si j’attends que son nez ne coule plus du tout (ce qui, je le répète, n’est pas dans sa nature), combien de jours d’école ratera-t-il ce mois-ci, le mois prochain, dans l’année scolaire ? Quelle matière n’arrivera-t-il pas à assimiler, en conséquence, alors que rien n’est en place pour s’assurer qu’il ne prenne pas de retard ?

Dans ces circonstances exceptionnelles, demandait cette semaine Fiston, ne serait-il pas utile de laisser les profs se filmer en classe, avec un téléphone cellulaire par exemple, afin que les élèves contraints de rester à la maison puissent suivre leurs cours à distance, sans risquer de contaminer leurs camarades ? Parce qu’à voir ces jours-ci les ados se rassembler en grappes, sans masque, à la sortie des écoles, il y a certainement lieu de s’inquiéter pour la suite.

Pendant qu’on se pose toutes ces questions, des élèves font des paris sur la date du reconfinement et de la fermeture des écoles. Si l’on veut que « ça aille bien », il faudra trouver des réponses.