Cela fait déjà plus de deux semaines. Deux semaines de vies bousculées, chamboulées, isolées, par-dessus le marché. Comment garder un semblant de normalité quand tout fout le camp ? Entre la surdose d’informations et le déni total, comment trouver l’équilibre ? Analyse, trucs et suggestions pour joindre l’agréable au confinement, en quatre temps.

La routine

Pas forcément facile, ces jours-ci, de trouver la motivation de se lever, s’habiller ou se brosser les dents. Pour quoi et pour qui se coiffer, faire à manger ou se ramasser, quand on est confiné ? Même le café a un drôle de goût. Dans un appel à tous, lancé la semaine dernière, des dizaines (et des dizaines !) de lecteurs nous ont généreusement envoyé leurs trucs et astuces, pour garder un semblant de normalité malgré leur quotidien secoué. 

Julie Prud’homme, ex-éducatrice et coach de sport, ne manque pas d’imagination. L’intervenante de milieu propose aux jeunes familles de diviser la semaine en deux. Du lundi au mercredi, c’est désormais la « semaine », et du jeudi au dimanche, la « fin de semaine » (« un week-end de quatre jours ! »). D’un côté, on se lève à heure fixe, on s’habille, on fait des balades en auto, on invente des collations « loufoques » et autres occupations diverses. De l’autre, on se lève tard, on paresse, on joue à des jeux vidéo ou on écoute des films. Qui dit mieux ? « Soyons solitaires, mais solidaires », résume-t-elle avec philosophie.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Rose-Marie Charest, psychologue et conférencière

En ces temps si particuliers, où les exigences en matière de distanciation sociale et de confinement changent et se durcissent de jour en jour, ce genre de routine est fondamental, fait aussi valoir la psychologue et conférencière Rose-Marie Charest. « Il est très important de garder tout ce qu’on peut qui se rapproche de la normalité et de la routine. » Et ce, même si vous habiller ou manger à heures (plus ou moins) fixes vous semble bien futile. « Parce que la routine a quelque chose de rassurant, poursuit-elle. Un horaire permet de se sentir en sécurité et d’avoir le contrôle sur sa journée. » Et cela ne vaut pas que pour les enfants.

La routine, bis

Parce que les adultes, eux aussi, ont besoin d’être rassurés. De se sentir en sécurité. La preuve : de nombreuses personnes plus âgées nous ont écrit pour nous faire partager leur horaire, souvent assez chargé merci. 

Monique Beaulieu, par exemple, se lève, se douche, déjeune (et lit sa Presse !), avant de suivre une série d’exercices précis : rotation du tronc dans la cuisine, étirements assis dans le salon, sans oublier sa dizaine de montées et descentes des marches des escaliers. Elle passe ensuite au « social » (virtuel) puis à la planification des repas. Après le lunch : marche, jeux de société, ménage (une pièce par jour), puis souper, télé, lecture et détente. « Et demain, un autre jour… » 

À noter, si la solitude des personnes âgées en ces jours de confinement est un réel danger, beaucoup ont aussi écrit pour nous dire que cet isolement forcé ne les bousculait finalement pas trop. « Ça ne change pas grand-chose à ma vie normale », confirme Jean-Marc Pineau, qui ne bouge d’ordinaire pas trop de chez lui. Peut-être certains sont-ils quelque part mieux armés, psychologiquement parlant, que leurs compatriotes plus socialement actifs et sorteux. 

Cela étant dit, s’il faut se fier aux messages reçus, les chiens des Québécois n’auront jamais été autant sortis, ni les cours d’activités physiques en ligne aussi religieusement suivis, que ces dernières semaines. Sans parler des cours de piano, de saxophone ou, pourquoi pas, de langues étrangères. Et savez-vous quoi ? C’est une excellente nouvelle.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les Hardy-Robichaud : Frédéric (le père) et Xavière (la mère) en compagnie d’Héloïse et d’Alexis

Mot d’ordre : plaisir

Parce qu’à nouveau, Rose-Marie Charest est formelle. S’il faut certes garder une certaine « routine », il faut aussi y insuffler une bonne dose de « plaisir », question de ne pas « tomber dans la morosité » en ne faisant que s’informer. 

C’est aussi le mot d’ordre de plusieurs lecteurs : on s’informe, oui, mais peut-être à heure fixe, dans des moments choisis, mais pas à longueur de journée. Profitez-en, il y en a dont c’est le métier. De votre côté, c’est le moment ou jamais de vous découvrir de nouveaux talents, de nouvelles passions ou pourquoi pas de nouveaux rituels. « Moi, je n’ai jamais été trop jeux de société », confie la psychologue, qui se découvre ici de nouveaux champs d’intérêts. 

Elle n’est pas seule. On ne compte plus les lecteurs qui ont mentionné jouer au scrabble, aux cartes, à la bataille navale et à d’autres jeux oubliés. Dans le salon, comme en ligne. « Dans le meilleur des mondes, oui, on vit de l’anxiété, oui, on vit du stress, mais cela va aussi forcer notre créativité. » Ce que nombre de lecteurs ont visiblement saisi. 

Beaucoup en profitent ces jours-ci pour faire le grand ménage du printemps, repeindre le sous-sol, décaper leurs meubles ou, pourquoi pas, redécouvrir les joies du ping-pong (intérieur, en solo, contre un mur). Une lectrice s’est mise à l’aquarelle (dès 4 h du matin), une autre, Nadine Carola, a commandé le plus grand casse-tête du monde sur Amazon, avec, tenez-vous bien, plus de 40 000 morceaux. Des heures de plaisir en perspective avec ses filles. « Ça permet de parler et d’évacuer le stress », confie-t-elle.

Apprivoiser sa solitude

C’est un fait : ces moments de confinement obligés forcent une proximité jusqu’ici inégalée. Or, qui dit proximité (en couple ou en famille), dit irritabilité et, forcément, risques de conflits. Vous l’aurez sans doute déjà remarqué. 

Pensez-y : jamais n’avez-vous passé autant de temps à ne rien faire avec votre enfant, votre coloc, encore moins votre conjoint. Sans sortie, ni activité, ni rien. D’où l’importance, suggère Rose-Marie Charest, d’intercaler des moments de bonheur (préparation des repas en gang, réaménagement du condo, ou tri des photos), « en se laissant des moments de solitude », dit-elle. Certains appellent ça leur « quartier général », tant physique que (faute d’espace) mental. Des moments pour ralentir, se retrouver et faire quelque chose pour soi. Seul avec soi. 

Xavière Hardy, écrivaine, avec depuis peu deux jeunes enfants à temps plein chez elle, se ménage 30 minutes par jour pour écrire de la poésie. « Ça me garde une bulle de création salutaire dans cette avalanche d’information anxiogène », dit-elle. Et cette « bulle » est essentielle. Peut-être même carrément bénéfique. Question de perspective. 

Bien des lecteurs ont choisi de le prendre positivement, comme nous le répète quotidiennement notre directeur national de santé publique, Horacio Arruda. C’est le cas de France Rainville : « Merci la vie pour ces moments qu’elle me donne gratuitement, dit celle qui s’est du coup remise à la méditation. J’ai du temps ! Alors je le remplis. Avant je manquais de temps ! » Même son de cloche de la part de Pauline Lafrenière, qui a appris, des suites d’un cancer en 2008, l’importance salvatrice de ralentir, de lâcher prise et surtout de respirer. « On marche au lieu de courir. On cuisine au lieu d’aller au resto. On se fait un café soi-même et ça coûte tellement moins cher. On prend le temps d’être, et non pas seulement de faire… », conclut-elle. À méditer.

Un immense merci à tous les généreux et créatifs lecteurs qui ont répondu par dizaines, tout le week-end dernier, à notre appel à tous pour partager leurs astuces en ces jours si particuliers.