Collin Martin est gai, ce qui n’a rien d’exceptionnel. Ce qui est exceptionnel, c’est qu’en 2018, alors qu’il jouait au soccer pour le Minnesota United, dans la MLS (la ligue de l’Impact de Montréal), il était le seul joueur actif des cinq grandes ligues sportives professionnelles en Amérique du Nord – soccer, hockey, baseball, football et basketball – à afficher ouvertement son homosexualité.

Mercredi soir, Collin Martin, 25 ans, désormais un défenseur du Loyal de San Diego dans la USL, a été la cible des insultes homophobes d’un adversaire du Rising de Phoenix, à la fin de la première période de jeu. Il a répété à l’arbitre ce qu’on lui avait dit… et c’est lui qui a été expulsé du match. L’officiel avait compris que c’était Martin qui insultait son adversaire.

L’embrouillamini qui a suivi a donné lieu à une scène particulièrement éloquente. À la mi-temps, l’arbitre s’est confondu en excuses, expliquant qu’il n’avait pas compris le sens de l’insulte et qu’il allait donc revenir sur sa décision. L’entraîneur de San Diego, Landon Donovan, ancien joueur étoile de l’équipe nationale américaine, était dans tous ses états. Au match précédent du Loyal, un autre de ses joueurs avait fait l’objet de propos racistes.

« Ça va au-delà du soccer, a-t-il dit à l’entraîneur du Rising, Rick Schantz.

– Come on, man, n’en fais pas tout un plat ! lui a répondu Schantz.

– Il faut qu’on sorte ça de notre sport !

– Ça n’a rien à voir avec le racisme !

– Ce n’est pas du racisme ! Il le traite de gai ! C’est de l’homophobie !

– C’est de la compétition ! Ça fait combien de temps que tu joues au soccer ? »

Donovan n’en croyait pas ses oreilles. Les mains sur son visage, s’approchant de Schantz, il a clos le débat en lui disant qu’il « valait mieux que ça », que « l’homophobie et le racisme n’avaient pas leur place dans le sport », puis il a averti l’arbitre que si le joueur fautif n’était pas exclu du match, son équipe ne jouerait probablement pas la deuxième demie.

C’est Collin Martin qui a convaincu ses coéquipiers de regagner le terrain après la pause. Le Loyal se battait pour une place en séries éliminatoires et menait 3-1. Il ne voulait pas rater cette occasion. Mais l’entraîneur adverse a refusé de remplacer le joueur qui l’avait insulté et l’arbitre n’a pas davantage voulu sévir. Dès la reprise du jeu, tous les joueurs du Loyal ont posé le genou au sol et ont quitté le terrain par solidarité avec Martin, en pleurs, touché par le geste.

Sous un écran géant affichant le message « I will speak, I will act [Je vais parler, je vais agir] : Black Lives Matter », les joueurs du Rising de Phoenix se sont réunis de leur côté, en caucus. Une image d’une ironie absolue. Les deux équipes avaient prévu de marquer une pause à la 71e minute, pour dénoncer le racisme, en réaction aux évènements du match précédent.

« Même s’ils abandonnaient ainsi tout espoir de participer aux séries alors qu’ils étaient en train de battre l’une des meilleures équipes de la ligue, mes joueurs se sont dit que ça n’avait pas d’importance, qu’il y avait des choses plus importantes dans la vie et qu’il fallait se battre pour ce en quoi l’on croit », a déclaré après le match Landon Donovan.

Jeudi soir, le joueur qui aurait insulté Collin Martin, Junior Flemmings (qui nie tout), a été suspendu temporairement par le Rising de Phoenix, ainsi que l’entraîneur Rick Schantz.

Je regardais la vidéo de l’altercation entre Schantz et Donovan et je me disais qu’il y avait de l’espoir. Même s’il y a quelque chose de profondément hypocrite dans les réactions provoquées par des scènes compromettantes qui ont été filmées (comme c’est le cas, justement, avec le mouvement Black Lives Matter ou la mort dans des conditions révoltantes de Joyce Echaquan). Combien d’athlètes reçoivent régulièrement leur lot d’insultes homophobes sans qu’on en « fasse tout un plat », comme dirait Rick Schantz, archétype du coach de la vieille école.

Heureusement, la culture de la masculinité toxique associée au sport disparaît peu à peu. Les entraîneurs progressistes comme Landon Donovan sont de plus en plus nombreux et influents. Thierry Henry, le coach de l’Impact, en est un bon exemple. Mais le sport, amateur et professionnel, reste gangrené par des valeurs et des mentalités désolantes d’une autre époque.

Cette semaine encore, les propriétaires des équipes de hockey junior majeur du Québec n’ont pas eu le courage de se débarrasser une fois pour toutes des bagarres dans leur ligue. Ils préfèrent encourager des adolescents à se taper dessus à poings nus plutôt que de risquer de déplaire à un public friand de boxe sur glace. Aucun autre sport d’équipe ne tolère des comportements aussi violents.

PHOTO OLIVIER DOULIERY, ARCHIVES REUTERS

« J’ai constaté, en regardant le plus récent débat présidentiel américain en famille, à quel point les codes du sport, et par ricochet la masculinité toxique, influencent ma perception des choses », écrit notre chroniqueur Marc Cassivi.

J’ai constaté, en regardant le plus récent débat présidentiel américain en famille, à quel point les codes du sport, et par ricochet la masculinité toxique, influencent ma perception des choses. Comment, dans un duel, je suis porté à identifier un plus fort et un plus faible, à distinguer un vainqueur, souvent le mâle alpha, aussi méprisable puisse-t-il être.

Il semblait clair pour Fiston et moi que Joe Biden manquait de tonus – surtout au début du débat – et qu’il laissait Donald Trump, par ses attaques mesquines et incessantes, le réduire à cette caricature méprisante de « Sleepy Joe » : hésitant, amorphe, confus. « S’il n’y avait pas de son, et que je n’entendais pas toutes les bêtises que dit Trump, j’aurais l’impression qu’il domine », disait Fiston.

Sa mère n’était pas d’accord. Elle jugeait, avec raison, que Trump se tirait une balle dans le pied avec son comportement de vulgaire intimidateur de cour d’école. Nous analysions le débat comme un combat de boxe. Pas elle. Je me disais que Biden donnait de bons jabs, mais qu’il n’arriverait pas à passer le K.-O. au Grand Orange. Alors que la stratégie de Biden était la bonne : se tenir debout jusqu’à la fin du 12e round.

Avec le recul, j’ai compris que je faisais fausse route. Tout n’est pas un combat de boxe. C’est une conception erronée des rapports de forces héritée de mon éducation sportive. De mon coach de première année bantam « double lettre », disciple de Don Cherry, qui nous encourageait, par exemple, à bien planter l’adversaire dans la bande à chaque mise en échec, pour mieux « envoyer un message »…

Landon Donovan, comme bien d’autres entraîneurs, envoie un tout autre message. Ce qu’il dit, en substance, c’est qu’il faut se défaire de la masculinité toxique et la mettre K.-O. Tant dans le sport et la politique que dans la vie.