Des amis qui, sans qu’ils soient amoureux, décident d’avoir un enfant. De futurs parents qui font connaissance sur un site de rencontre. Des projets qui impliquent aussi parfois plus de deux parents. Non, le couple n’est plus l’unique modèle sur lequel repose la famille. Voici la coparentalité.

D’abord un terme utilisé pour désigner la collaboration entre des parents séparés ou divorcés, la coparentalité s’impose de plus en plus pour nommer un nouveau modèle familial qui n’est lui-même pas homogène. La coparentalité, c’est un couple homosexuel qui se tourne vers un tiers pour avoir un enfant. C’est aussi un couple hétérosexuel qui, ne pouvant avoir d’enfant ensemble, intègre une troisième personne au projet. Ou encore deux célibataires qui mettent leur génétique en commun pour réaliser leur rêve d’être parents.

Bref, c’est avoir un enfant dans le cadre d’une relation platonique. C’est d’ailleurs le terme utilisé par l’Américaine Rachel Hope, pionnière de la coparentalité, qui a eu un enfant avec un ami gai, il y a de cela presque 30 ans, et un deuxième avec un homme différent. Elle en a tiré l’essai Family by Choice – Platonic Partnered Parenting (Famille par choix – partenariat parental platonique), paru en 2014.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Patrick Tremblay, coadministrateur du groupe Facebook Coparentalité Montréal

Aujourd’hui, des sites internet mettent en relation les personnes intéressées par une telle démarche. Aucun n’est établi au Québec, mais les sites français Co-Parents.fr et Coparentalys comptent parmi leurs milliers de membres des Québécois. Ici, le groupe Facebook Coparentalité Montréal, créé en 2017 dans le but de favoriser les rencontres, réunit plus de 160 membres, hommes et femmes, de toutes orientations sexuelles. Le groupe est dynamique. Chaque membre est invité à se présenter aux autres et à décrire son projet.

Le désir d’être père

Coadministrateur du groupe depuis quelques mois, Patrick Tremblay y a fait quelques rencontres, de même que par l’entremise du site Coparentalys auquel il est inscrit. « Ça fait environ une dizaine d’années que c’est en moi, que je sais que je veux être père, raconte-t-il. Je me suis toujours dit que je voulais avoir cette chance de transmettre ce que j’ai appris dans la vie. Et ce que j’ai gagné dans ma vie, j’aimerais que ça puisse aller à quelqu’un un jour. »

En couple avec une femme qui ne peut avoir d’enfant, il a décidé, en accord avec celle-ci, de faire des démarches pour en rencontrer une autre qui pourrait être la mère de son enfant. Même si son amoureuse compte être présente dans la vie de l’enfant, c’est surtout son projet à lui. « Elle aimait l’idée de me voir heureux avec un enfant et de participer à ça, confie-t-il. Mais il faut intégrer l’idée. On se rend compte qu’émotionnellement parlant, ce n’est pas si évident que ça. »

Depuis un an, Patrick Tremblay a rencontré quelques femmes avec qui il a passé du temps et fait diverses activités. Apprendre à connaître son futur coparent est essentiel.

C’est là qu’on voit comment la personne réagit aux imprévus, dit celui qui, le jour de notre rencontre, devait voir une femme pour la troisième fois. Les valeurs aussi, c’est un des points les plus importants. On veut mesurer comment l’autre prévoit d’éduquer l’enfant, discuter de comment on va réagir si on découvre, pendant la grossesse, que le bébé est porteur d’une maladie.

Patrick Tremblay, coadministrateur du groupe Facebook Coparentalité Montréal

Des sujets qui ne sont souvent pas discutés en profondeur à l’intérieur des couples, remarque-t-il.

Une famille à trois

Karine Messier Newman et sa conjointe de l’époque, déjà mères adoptives de cinq enfants, ont fréquenté en ami le père de leurs deux cadettes pendant trois ans avant de se lancer en 2015. « On a exploré les cliniques de fertilité, mais j’avais un malaise, se rappelle Karine Messier Newman. C’était trop chic, trop pas naturel. Ça ne nous convenait pas. On a commencé à regarder pour un donneur connu. Mais on rêvait aussi à la présence d’un père. Et trouver un ami qui veut avoir des enfants avec toi, c’est compliqué. » Son ex-conjointe a alors rencontré, lors d’un programme de langues en Colombie-Britannique, un Montréalais, gai, souhaitant prendre part au projet.

Deux fillettes, aujourd’hui âgées de 3 et 5 ans, sont nées de cette entente. « Je le dis un peu à la blague, mais avoir des enfants avec un ami, c’est extraordinaire ! », lance Karine Messier Newman. « Il n’y a pas les mêmes fondements. C’est plus facile parce qu’il n’y a pas le même type d’émotions entre les deux adultes. Et vu qu’on est ami, on ne pourra jamais casser. » Précisons que les deux autres coparents ont demandé de conserver l’anonymat dans le cadre de ce reportage.

Avant d’entreprendre la conception, les trois futurs parents ont défini le rôle de chacun dans un contrat écrit, prévu pour deux enfants. Ils ont ainsi déterminé qui portera les enfants, qui seront les parents légaux (les deux mères), les langues parlées avec les enfants (leur père est hispanophone), le choix des prénoms. Un contrat qui n’a cependant aucune valeur légale. « Au-delà du contrat, ça permet de te rêver comme parent, remarque Mme Messier Newman. Des fois, je le relis et c’est juste très beau. Tu sens que l’enfant est au cœur de tout ça. »

Même s’il ne figure pas sur l’acte de naissance – la triparentalité n’étant pas reconnue au Québec (voir écran suivant) –, le père a toujours été présent dans la vie de ses filles. Bien qu’une heure et demie de route les sépare, il les voit toujours une fin de semaine sur deux. Karine Messier Newman ne cache pas que, comme dans toutes les familles, il y a parfois des désaccords et des tensions.

On ne vit pas dans un monde de bisounours. Tu rajoutes un parent qui l’est au même titre que les deux parents dits principaux. C’est une différence à respecter dans l’histoire de tes enfants. Tu ne peux pas dire : on ne voit plus papa. Et le papa vient avec tout son environnement, sa famille. Tu multiplies le nombre de personnes. Ça demande une certaine ouverture et il faut que tu tripes à cette ouverture-là.

Karine Messier Newman

De l’ouverture, ce n’est pas ce que Patrick Tremblay a rencontré lorsqu’il a dévoilé son projet de coparentalité sur sa page Facebook personnelle. Ce sont plutôt des émojis fâchés et des critiques qui l’attendaient, du genre : « Voyons donc qu’on fait ça à un enfant. Ça n’a pas de bon sens de le faire vivre dans ses valises toute sa vie. » « C’est comme si parce que ce n’est pas comme ce qu’on connaît, c’est nécessairement mauvais », déplore-t-il.

S’il se dit prêt à emménager avec sa partenaire temporairement, lors de la grossesse si nécessaire et après l’accouchement, ensuite, ce sera la garde partagée. Certains coparents optent pour la colocation, mais il est à l’aise avec l’idée d’être très présent une semaine sur deux pour son enfant et défend son choix.

Je ne crois pas que ça puisse être néfaste de quelconque façon pour l’enfant. Quand il arrive chez l’un, il y a deux parents qui le couvrent d’amour, quand il arrive chez l’autre, c’est la même chose.

Patrick Tremblay

Les coparents ont souvent un avantage sur bien des couples séparés : la communication.

« Les parents ont souvent beaucoup, beaucoup parlé à l’avance de plusieurs choses, ce que les parents hétérosexuels ne font pas », souligne Isabel Côté, chercheuse et professeure agrégée au département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais. « On sait que lorsque des familles se séparent, ça n’a pas nécessairement un impact négatif sur les enfants. Ce qui a un impact, ce sont les conflits. »

Quelle différence ?

Membre du partenariat de recherche Familles en mouvance, Isabel Côté s’intéresse à la façon dont les enfants issus de familles sortant du modèle biparental classique représentent la leur. Lors d’une étude récente menée au Québec et en France, elle a été surprise de constater que oui, les enfants considéraient que leur famille était différente, mais pas pour les raisons qu’on aurait imaginées. Pour l’un, la principale distinction était qu’il ne pouvait manger de la crème glacée que la fin de semaine. Pour l’autre, c’était qu’il ne pouvait pas jouer à tel type de jeux vidéo. « Après, ils pouvaient dire oui, ma famille est un peu différente parce que j’ai deux mamans et un papa, relate Isabel Côté, mais c’était comme un élément parmi d’autres. Il n’y avait pas d’enjeu pour eux parce que ce sont des enfants qui ont des mots pour parler de leur réalité. »

Comme pour la fille de Karine Messier Newman qui, à 5 ans, a fait un exposé oral à la garderie qui, selon sa mère, allait à peu près comme suit : « Moi, j’ai deux mamans, elles ne sont plus ensemble, elles sont séparées. J’ai un papa qui m’aime, mais le plus important, c’est que je vais avoir un chien, un Leonberg. » Ça, c’est différent !