« Pourquoi pas ? » C’est ce que notre journaliste et son mari se sont dit lorsque celui-ci s’est vu offrir un poste à Francfort pour deux ans. Ce serait une belle occasion de faire découvrir l’Europe à leurs enfants de 7 et presque 9 ans, non ? Ils avaient presque tout prévu… sauf une pandémie mondiale.

Cette crise nous a tous bouleversés. Pour ceux et celles qui, comme moi, vivent à l’étranger, l’angoisse s’est démultipliée pendant ces mois de pandémie. En tant qu’expatriée habitant en Allemagne depuis septembre avec mon mari et nos deux enfants de 8 et 9 ans, lorsque les frontières ont fermé, que le monde entier (ou presque) s’est confiné, d’un seul coup, la distance avec Montréal s’est décuplée. La distanciation physique n’était pas de deux mètres, mais celle d’un continent – 5870 km pour être très précise, soit la distance entre Francfort et Montréal.

Est-ce qu’on rentre au pays ou on reste ici ? C’est la grande question que se sont posée beaucoup d’expatriés, des familles et des étudiants, lorsque le monde entier s’est mis sur pause, paralysé. La solitude et l’isolement ont été difficiles, surtout lorsqu’on habite dans un pays où on ne parle pas la langue. Les insomnies ont été nombreuses, tout comme les paquets de chips engloutis. Il y a aussi l’inquiétude pour les parents vieillissants, les scénarios catastrophes qui traversent l’esprit. Et s’il leur arrivait quelque chose ? « Et si nous étions hospitalisés, mon mari et moi ? Qui prendrait soin de nos enfants ? », s’est demandé Aïcha Benmaalla, Belgo-Marocaine expatriée à Francfort depuis septembre avec son mari italien et leurs deux enfants. « On n’a pas de famille ici, on a juste quelques amitiés récentes », dit-elle.

Elle s’inquiète aussi pour ses parents, qui sont toujours confinés à Rabat, au Maroc.

PHOTO FOURNIE PAR AÏCHA BENMAALLA

Aïcha Benmaalla vit à Francfort depuis septembre avec son mari italien et leurs deux enfants.

J’aurais aimé être là pour eux, les savoir près de moi, aller faire leurs courses et les déposer devant chez eux comme l’ont fait beaucoup de mes amis pour leurs parents. Je suis triste d’être loin, c’est lourd, c’est angoissant.

Aïcha Benmaalla, Belgo-Marocaine expatriée à Francfort depuis septembre avec son mari italien et leurs deux enfants

« Que va faire Mamie Jackie ? Elle vit toute seule dans son appartement à Montréal, elle est vieille [elle a 81 ans], il faut l’aider, il faut aller la chercher », ont dit mes enfants, Inès et Romain. La culpabilité d’être si loin a été douloureuse pour nous.

Mais qu’est-ce qu’on fait ici ? Pourquoi s’expatrier et habiter si loin de nos proches, familles et amis ? Dans quel but ? Le goût de l’aventure et des voyages ? « Ça m’a beaucoup fait réfléchir, il y a des moments où je me suis demandé pourquoi je faisais tout ça, pourquoi je ne rentrais pas à la maison tout simplement ? », avoue la Québécoise Catherine Pouliot, directrice des communications à l’agence Edelman. Elle s’est installée à Berlin en octobre dernier après avoir vécu deux ans à Francfort. « J’ai travaillé tellement fort pour être où je suis, j’aime ma vie à Berlin, mais j’ai souffert de solitude. J’ai eu des hauts et des bas, comme tout le monde, mais ç’a a été très dur. J’habite seule et j’avais l’impression d’être encore plus isolée, car je ne maîtrise pas la langue, c’est terrible, surtout qu’il était capital de comprendre toutes les informations. »

PHOTO FOURNIE PAR CATHERINE POULIOT

Catherine Pouliot est directrice des communications pour la firme Edelman, à Berlin.

Parfois, j’avais juste envie de parler français ! Le fait que les Allemands soient si froids, ça n’aide pas non plus et ça me fait hésiter à rester ici.

Catherine Pouliot, Québécoise installée à Berlin depuis octobre dernier

« Heureusement que j’avais mon travail qui m’a servi de bouée de sauvetage », confie Catherine, qui s’est expatriée pour des raisons professionnelles.

Un élément qui a été rassurant, dans mon cas, c’est de savoir qu’il y a toujours eu des vols entre Francfort et Montréal, même au plus fort de la crise. Je le sais, car je vérifiais de temps en temps. Je pouvais donc rentrer si jamais il y avait une urgence.

Ivan Pajolli est brésilien, il vit à Paris depuis janvier 2018 avec sa femme, Laura, qui est française. « La distance n’a jamais été aussi grande, car il est impossible d’aller au Brésil, et on ne sait pas quand on pourra y retourner », dit-il. « Je suis très inquiet pour mes parents et grands-parents, mon grand-père a 95 ans, j’ai bien hâte de le revoir, mais quand ? », s’interroge-t-il. Le couple, qui s’est marié l’été dernier en Bretagne, attend son premier enfant, dont la naissance est prévue le 17 août. « Mes parents devaient venir nous voir cet été en France, mais là, ils vivent toujours confinés à São João da Boa Vista, une ville à 300 km de São Paulo. On ne peut pas faire de projets de voyage. Heureusement, on se voit sur écran. »

L’incertitude plane toujours pour la plupart des expatriés. « On ne peut rien prévoir, la frontière du Maroc est encore fermée, explique Aïcha Benmaalla. On ne veut pas aller au Maroc avec la peur de rester bloqués, et on ne veut pas non plus que mes parents viennent en Allemagne et qu’il leur arrive quelque chose. »

« Ma famille me demande quand je vais venir les voir au Québec, raconte pour sa part Catherine Pouliot. J’attends qu’il n’y ait plus de quarantaine obligatoire [quand on arrive d’Europe, il faut s’isoler 14 jours]. Je suis contente d’être allée à Montréal à Noël, en décembre dernier. »

On a longtemps hésité, mais on attend nous aussi que la quarantaine soit levée.