Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier

C’est l’histoire de la fermeture d’une épicerie de quartier qui a produit un désert alimentaire, mais aussi une impressionnante chaîne de mobilisation communautaire et citoyenne.

Récemment, les résidants du quartier Youville étaient invités à un barbecue pour discuter d’un besoin de base : se nourrir à proximité de chez soi. Vous ne connaissez pas Youville ? Méconnu, le quartier de l’arrondissement d’Ahunstic-Cartierville est enclavé de l’autoroute 40 au chemin de fer de la gare Sauvé, entre le parc Henri-Julien et la rue Saint-Hubert.

Si Youville est situé entre deux eldorados de commerces de proximité – Villeray et la rue Fleury –, la fermeture du Marché Tradition en janvier dernier a créé une onde de choc pour le voisinage. Du jour au lendemain, c’est devenu impossible d’aller faire son épicerie à pied, à moins de marcher 20 minutes. « Il faut penser aux gens à mobilité réduite, aux aînés, aux familles monoparentales et à ceux qui n’ont pas de voiture », fait valoir Marie-Josée Dupuis, membre du Comité citoyen Youville.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Marie-Josée Dupuis

« C’est beaucoup d’organisation et ça complique les choses », se désole Emmanuelle Lapointe-Rioux, qui était au barbecue avec ses filles de 7 et 8 ans, et qui travaille sur des quarts de 12 heures. « Quand je manque d’œufs et de lait, je paie le fort prix au dépanneur. » Et si une voiture partagée à temps partiel avec le père de ses enfants lui permet d’aller au Costco, elle a perdu une bonne partie de ses provisions lors de l’épisode récent de verglas.

Pour sa part, Marie-Josée Dupuis traîne un gros sac pour faire des emplettes près de son travail au centre-ville. La fin de semaine, elle se rend en Communauto à la Fruiterie 440 d’Anjou. Elle ne peut plus s’adonner à ce qui est un avantage de la vie urbaine : faire ses courses au jour le jour. « Chacun a ses stratégies, mais il faut penser à tous les portefeuilles », souligne-t-elle.

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L’ancien Marché Tradition de la rue Lajeunesse

L’ancien Marché Tradition ne payait pas de mine au 9150, rue Lajeunesse, mais c’était un commerce essentiel. Une pétition est en cours afin que Sobeys, qui loue la bâtisse, informe son ancienne clientèle de la suite des choses, que ce soit une fermeture ou des rénovations.

Sobeys est un citoyen corporatif. On veut que l’entreprise nous informe de ses intentions. Les employés ont appris la fermeture sans préavis. C’était assez dramatique.

Marie-Josée Dupuis, résidante du quartier

Or, Anne-Hélène Lavoie, porte-parole chez Sobeys, nous a confirmé que la fermeture sera définitive. « Après évaluation et analyse, compte tenu des coûts importants liés à la bâtisse et aux équipements, la décision de ne pas rouvrir le magasin a été prise », a-t-elle indiqué par courriel.

Autonomie alimentaire

Lors du barbecue, il y avait des représentants de plusieurs organismes et initiatives citoyennes. Céline Pelcé, par exemple, venait faire connaître un collectif d’achat communautaire dont elle fait partie avec d’autres familles du Mile End. « On achète en gros, donc on fait des économies, explique-t-elle. On a développé un outil informatique et un guide. »

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Le message annonçant la fermeture affichée sur la porte.

Nous avons aussi jasé avec Tania Sharkey, directrice générale des Marchés Ahuntsic-Cartierville (MAC), un organisme d’économie sociale qui veut rendre accessibles – physiquement et économiquement – les fruits et légumes frais et locaux au plus grand nombre.

Les MAC mènent plusieurs projets, dont le marché à la sortie du métro Sauvé (de juin à novembre), ainsi qu’un circuit mobile dans les parcs et les résidences pour aînés situés dans des zones avec peu d’offre alimentaire.

Dès la fermeture du Marché Tradition, Tania Sharkey a tendu la main au Comité citoyen Youville.

La revitalisation de la rue Lajeunesse

« Quand nous avons lancé le comité, nous étions surtout mobilisés autour des enjeux de mobilité. Il n’y avait pas de REV encore et la rue Lajeunesse était une piste de course sans arbres », raconte Marie-Josée Dupuis.

La fermeture du Marché Tradition est venue nuire au projet de revitalisation de la rue Lajeunesse, qui avance néanmoins lentement mais sûrement.

La buvette La jeune espiègle a ouvert l’an dernier, alors que l’organisme Solon a inauguré l’Espace des possibles, un espace communautaire où il y a un tas d’activités, comme le barbecue auquel nous avons assisté, ou encore des ateliers de réparation de vélo.

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Daphné Le Templier, de l’organisme Solon

« Il y a beaucoup de locaux vacants rue Lajeunesse, mais nous sommes impliqués avec l’arrondissement dans la création d’une association commerciale mixte avec des citoyens et des commerçants », indique Daphné Le Templier, coordonnatrice de projets de transition socioécologique chez Solon.

En attendant l’ouverture de commerces de proximité comme une simple boulangerie, les projets citoyens se multiplient dans Youville depuis quelques années. L’an dernier, un jardin collectif a été inauguré à l’angle des rues Louvain et Millen. C’est sans compter le projet de Station Youville qui transforme depuis deux ans le débarcadère de l’école primaire Christ-Roi en place publique éphémère estivale. Au programme : marché, cuisine de rue, cinéma en plein air, activités pour enfants, camion de crème glacée, etc. « Nous n’étions pas sur le circuit culturel des parcs. Il n’y a même pas de crémerie dans le quartier », lance Marie-Josée Dupuis.

À quel entrepreneur de sauter sur l’occasion ?

Le quartier Youville en dates

  • 1929 : Construction de l’église de Saint-Alphonse-d’Youville au 590, boulevard Crémazie Est (aujourd’hui dans l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension).
  • 1960 : Inauguration de l’autoroute Métropolitaine (40) qui a scindé en deux la paroisse et qui a extrait le quartier Youville de Villeray.
  • 2017 : Andrée-Anne Laberge et Julie Tremblay fondent un groupe pour raviver le sentiment d’appartenance du quartier Youville. Un logo est créé.
  • 2021 : Des citoyens font naître la Station Youville, une place publique estivale éphémère située en face de l’école Christ-Roi.