Alors que le monde se rassemble autour du sujet à Montréal dans le cadre de la COP15, Bernard Lavallée se penche sur l’effritement de la biodiversité dans nos assiettes. Avec un nouvel ouvrage qui en explore les causes et les répercussions concrètes, et à sa manière habilement digeste, le nutritionniste lance un cri d’alarme qui nourrit la réflexion et donne envie de protéger ce qui peut encore l’être.

« Comme nutritionniste, si j’avais à résumer ma carrière en deux mots, ce serait “mangez diversifié” », affirme Bernard Lavallée avec une recommandation qui résiste à toute tendance alimentaire. Le conseil est incontournable du point de vue non seulement de la nutrition et de la santé, mais aussi de l’environnement, souligne-t-il. « On a besoin de champs mixtes, d’une diversité d’écosystèmes et d’une diminution de la pression actuellement exercée sur certaines espèces. »

Sur les milliers d’espèces qui ont déjà nourri l’humanité, seule une poignée figure essentiellement sur nos menus aujourd’hui : neuf plantes et cinq animaux.

L’époque est paradoxale, observe le nutritionniste. Si, dans les pays industrialisés et quand on en a les moyens, on peut souvent avoir accès à une plus grande diversité d’aliments que les générations précédentes, cette diversité est en chute libre à l’échelle planétaire.

Un peu partout sur Terre, on mange les mêmes choses, on s’homogénéise. L’éventail des aliments disponibles se resserre de plus en plus.

Bernard Lavallée

Une disparition des espèces à vitesse grand V

La planète a connu des extinctions de masse, notamment celle des dinosaures. Elle fait maintenant face à la sixième disparition massive d’espèces vivantes qui la peuplent. Et la cause serait l’humain qui dévore littéralement ses ressources naturelles. « On a pris des écosystèmes très diversifiés qu’on a transformés en champs et en pâturages qui, eux, sont très peu diversifiés en biodiversité », explique Bernard Lavallée.

Le taux d’extinction se situe normalement autour d’une espèce tous les 1 à 10 ans, phénomène contrebalancé par la naissance d’une nouvelle espèce. Le taux d’extinction est actuellement de 100 à 1000 fois plus élevé, selon les études.

Des saveurs d’autrefois
  • De vastes colonies de tourtes voyageuses peuplaient autrefois les forêts d’Amérique du Nord. Perçue comme une manne inépuisable, la tourte s’est éteinte avec sa dernière représentante au zoo de Cincinnati en 1914.

    ILLUSTRATION SIMON L’ARCHEVÊQUE, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

    De vastes colonies de tourtes voyageuses peuplaient autrefois les forêts d’Amérique du Nord. Perçue comme une manne inépuisable, la tourte s’est éteinte avec sa dernière représentante au zoo de Cincinnati en 1914.

  • L’iva annua, grande annuelle dont les semences pouvaient mesurer jusqu’à 9 millimètres, a autrefois été consommée par plusieurs populations autochtones d’Amérique du Nord, avant d’être reléguée au statut de mauvaise herbe.

    ILLUSTRATION SIMON L’ARCHEVÊQUE, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

    L’iva annua, grande annuelle dont les semences pouvaient mesurer jusqu’à 9 millimètres, a autrefois été consommée par plusieurs populations autochtones d’Amérique du Nord, avant d’être reléguée au statut de mauvaise herbe.

  • Pendant des milliers d’années, le châtaignier d’Amérique a dominé les forêts d’Amérique du Nord et nourri les populations locales et leurs cochons. Un champignon originaire d’Asie a eu raison du colosse aujourd’hui considéré comme étant fonctionnellement éteint.

    ILLUSTRATION SIMON L’ARCHEVÊQUE, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

    Pendant des milliers d’années, le châtaignier d’Amérique a dominé les forêts d’Amérique du Nord et nourri les populations locales et leurs cochons. Un champignon originaire d’Asie a eu raison du colosse aujourd’hui considéré comme étant fonctionnellement éteint.

  • L’engouement pour la banane Gros Michel s’est répandu à la fin du XIXe siècle en raison de son goût aromatique et de sa pelure épaisse qui permettait au fruit de supporter les voyages en bateau. C’était avant qu’il ne soit affecté par un champignon et qu’on le délaisse au profit d’autres variétés… aussi produites en monoculture et tout aussi vulnérables.

    ILLUSTRATION SIMON L’ARCHEVÊQUE, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

    L’engouement pour la banane Gros Michel s’est répandu à la fin du XIXsiècle en raison de son goût aromatique et de sa pelure épaisse qui permettait au fruit de supporter les voyages en bateau. C’était avant qu’il ne soit affecté par un champignon et qu’on le délaisse au profit d’autres variétés… aussi produites en monoculture et tout aussi vulnérables.

  • Représenté sur la monnaie cyrénaïque, dans l’actuelle Libye, et exporté autour de la Méditerranée, le silphium a jadis été populaire comme épice et pour ses vertus thérapeutiques. Sa cueillette excessive et son incapacité à se régénérer assez rapidement pour la demande pourraient expliquer sa disparition.

    ILLUSTRATION SIMON L’ARCHEVÊQUE, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

    Représenté sur la monnaie cyrénaïque, dans l’actuelle Libye, et exporté autour de la Méditerranée, le silphium a jadis été populaire comme épice et pour ses vertus thérapeutiques. Sa cueillette excessive et son incapacité à se régénérer assez rapidement pour la demande pourraient expliquer sa disparition.

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Aujourd’hui, la très grande majorité de tous les mammifères sur terre sont les humains et leurs animaux d’élevage. Dans les océans, le portrait n’est guère mieux. « Environ 90 % des stocks de poissons sont surpêchés ou pêchés à pleine capacité, ce qui veut dire qu’on pêche plus rapidement que le taux de renouvellement. Comme on l’a fait pour les écosystèmes terrestres, on risque de vider les océans de leur biodiversité sauvage pour les prochaines générations, déplore le nutritionniste. Parmi ces espèces qu’on laisse aller, il y a des aliments qui contiennent un bagage génétique et des propriétés qu’on ne connaît pas encore et dont on a besoin pour le futur. »

Et l’avenir ?

Si rien n’est fait, l’avenir n’augure rien de bon sur le plan de la nutrition, craint Bernard Lavallée. Autour d’un million d’espèces sont actuellement menacées de s’éteindre et pour certaines, la fin se présentera dans les prochaines décennies.

Le portrait a de quoi démoraliser. C’est d’ailleurs avec une nostalgie avouée pour le nombre incalculable de saveurs perdues que le nutritionniste nous présente certains aliments qui ont déjà été au menu.

Parce qu’au-delà des chiffres et du rationnel, je voulais parler de l’émotif… que les gens connaissent ces aliments, qu’ils apprennent leur histoire et connectent avec eux.

Bernard Lavallée

L’auteur va toutefois au-delà du spleen pour explorer les pistes de solution. « Je pense qu’on a individuellement une part de responsabilité et un certain pouvoir pour arrêter l’hémorragie. » Puisqu’une grande partie de la demande en ressources ne sert pas à nourrir les humains, mais les animaux et produits animaliers qu’ils consomment, diminuer notre consommation de viande, encourager l’alimentation végétale et réduire le gaspillage de ces ressources sont parmi les avenues explorées par l’auteur.

« Mais je pense que la situation est bien plus vaste, ajoute Bernard Lavallée. Elle devrait être une priorité pour les gouvernements, ce qui n’est pas le cas présentement. » Les enjeux de la biodiversité touchent tous les échelons du système alimentaire, dit-il. Force est de constater qu’ils devront s’accompagner d’une diversité de solutions.

À la défense de la biodiversité alimentaire

À la défense de la biodiversité alimentaire

Les Éditions La Presse

272 pages

En savoir plus
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    Surface des continents autrefois couverte d’écosystèmes naturels désormais consacrée à l’agriculture. Près des trois quarts de l’eau douce de la planète sert à irriguer les champs.
    Source : À la défense de la biodiversité alimentaire