Donnons-nous aux garçons la chance d’exprimer tout ce qu’ils ressentent ? Dans son nouveau livre Colère, peur et joie : accompagner mon garçon dans ses émotions, la docteure en psychopédagogie et professeure Marie-Claire Sancho guide les parents dans le développement émotionnel de leur enfant avec une foule de conseils pratiques et d’exemples tirés du quotidien. Nous lui avons posé quelques questions.

Est-ce qu’on a encore tendance à minimiser l’importance des émotions chez les garçons ?

Oh oui ! Je l’ai observé à l’école, en préparant ma thèse [de doctorat en psychopédagogie]. Les enseignants que j’ai filmés réagissaient plus négativement aux émotions des garçons que des filles — qu’elles soient positives ou négatives. On utilise des distractions, on les ignore, on porte peu attention à leurs émotions depuis qu’ils sont tout petits. J’avais une clip d’une petite fille qui venait voir l’enseignante avec un mal de ventre ; cinq minutes après, c’était un petit gars, et la réaction de l’enseignante n’était pas la même ! […] On élève les hommes en leur disant de cacher leurs émotions ; la seule émotion qui est possible, c’est la colère, parce que ce n’est pas une émotion de vulnérabilité. Et ce qu’on va voir, souvent, chez les garçons, c’est que quand ils sont tristes, ils vont être en colère.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La Dre Marie-Claire Sancho

Vous écrivez que l’une des raisons qui vous ont poussée à adopter un angle masculin dans le livre est « l’énorme fossé » entre les filles et les garçons sur le plan des habiletés émotionnelles. Qu’est-ce qui explique cette différence ?

Il y a deux dimensions dans la compétence émotionnelle : comment on agit avec les autres et comment on calme ses propres émotions. [Selon une étude], à 4 ans, celle des filles était déjà nettement meilleure que celle des garçons. Les garçons vivent les mêmes émotions, mais ils ne les comprennent pas. Et ils ne les expriment pas de façon appropriée parce qu’on leur a implicitement envoyé le message qu’ils n’avaient pas le droit à ces émotions — que ce soient les parents, les éducatrices, les enseignants, des coachs… Tout petits, nos garçons comprennent qu’ils vont devoir mettre une carapace, à cause des attentes sociales ; à un moment donné, ils ne pourront plus pleurer, montrer leur peur… il va falloir qu’ils soient tough. C’est encore féminin d’être émotif, comme si la société n’avait pas encore fait ce tournant.

Pourquoi est-il si important de valoriser une saine gestion des émotions ?

On ne donne pas à la compétence émotionnelle la place qu’elle devrait avoir, quand on sait à quel point cette variable est primordiale pour qu’une personne soit bien. Comment ça se fait que les garçons se tuent cinq fois plus quand les filles ont plus d’idées suicidaires ? Parce qu’elles en parlent, parce qu’on leur a appris à aller chercher de l’aide. Mais quand on apprend à un petit garçon : « Sois autonome, sois courageux, t’es fort, t’es capable », ça ne vient pas un peu semer l’idée que s’il vit un jour de la peur ou de la détresse, il va la garder pour lui ? Les hommes qui font des féminicides, à la base, c’était des petits bébés qui ont été socialisés et ils se retrouvent paralysés, coincés, bloqués dans leurs émotions.

Existe-t-il des pistes de solution ?

Je verrais des cours à l’école, une demi-heure par semaine de gestion des émotions tout au long du primaire et du secondaire — présenter des cas, faire des scénarios… On a oublié ce qui est le plus important pour le développement de l’enfant : ce qui va faire qu’il va réussir plus tard, qu’il va avoir des relations interpersonnelles saines, des promotions, c’est la gestion émotionnelle. Il faut conscientiser les enseignants, mais aussi présenter aux garçons des modèles qui sont habiles émotionnellement — pas toujours le garçon ou l’homme qui est mal à l’aise dans ses émotions, qui parle moins… Quelles sont les valeurs implicites qu’on lègue à nos petits garçons ? Est-ce qu’on est réellement dans une société qui valorise l’homme émotionnel qui parle, qui a de la peine, qui a peur ? On dirait qu’on n’est pas encore prêts à laisser nos garçons vivre leurs émotions comme il faut. J’ai bien l’idée de « on le fait pour nos filles ». On a appris à nos filles à s’affirmer, on a brisé des frontières, mais on a oublié que les garçons aussi ont un traitement différent et en subissent les conséquences. Au moins, dans notre discours, ça a changé ; avant, on ne s’intéressait pas à ces sujets.

Colère, peur et joie — Accompagner mon garçon dans ses émotions

Colère, peur et joie — Accompagner mon garçon dans ses émotions

Fides

156 pages