Prétentieux, antipathiques, socialement malhabiles ou carrément asociaux… La télé et le cinéma ont souvent brossé un portrait peu flatteur des personnes considérées comme étant intelligentes. Même à l’école, les stéréotypes liés à l’intelligence semblent avoir la vie dure.

Les exemples de personnages intelligents ne manquent pas, au petit comme au grand écran. Mais le premier qui lui vient en tête, c’est immanquablement celui de Ross, dans la série Friends, admet Stéfany Boisvert, professeure à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) : un universitaire « maladroit, pas à l’aise pour courtiser les femmes ».

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Le personnage de Ross Geller, joué par David Schwimmer, dans la série Friends

La comédie de situation The Big Bang Theory, qui a été diffusée de 2007 à 2019, a connu un grand succès en suivant les tribulations de quatre amis physiciens extrêmement brillants, mais qui provoquaient l’hilarité par leur incompétence sociale.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

La bande d’amis de la série The Big Bang Theory

Et que dire du personnage de Christian Bégin dans Les mecs, un professeur d’université prétentieux, note Stéfany Boisvert, ou encore du spécialiste des communications dans la série Épidémie, qui joue avec un accent « un peu forcé » pour montrer son niveau d’éducation supérieur et qui apparaît comme étant complètement déconnecté de la réalité ?

La télévision et le cinéma grand public, en particulier les productions comiques et la publicité, ont bien souvent fait leurs choux gras de ce type de personnages ayant un niveau d’études élevé et une intelligence dite supérieure à la moyenne.

Je pense que ça va avec une vision assez conformiste que les créateurs et créatrices se font de leur public cible. Évidemment, ça ne veut pas dire que le public auquel ils s’adressent est nécessairement toujours en accord avec une telle vision stéréotypée, mais ça veut dire qu’ils pensent que cette vision risque de le satisfaire.

Stéfany Boisvert, professeure à l’École des médias de l’UQAM

Et parmi la vaste majorité de ce public, justement, se trouvent peu de téléspectateurs bardés de diplômes des cycles supérieurs, si l’on se fie aux statistiques et aux cotes d’écoute, ajoute la professeure.

Un double stéréotype ?

Stéfany Boisvert observe également un stéréotype de genre associé à l’intelligence, la figure de l’intellectuel universitaire étant plus souvent associée aux hommes qu’aux femmes. Et lorsqu’on représente une femme intelligente, elle sera souvent « très maladroite, avec des goûts très discutables en matière de mode et perçue comme étant indésirable du point de vue des normes culturelles de la beauté ».

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Le personnage de Laney Boggs, incarné par Rachael Leigh Cook, dans le film She’s All That

« Le meilleur exemple est le film pour adolescents She’s All That, illustre la professeure, avec ce revirement de situation où la jeune fille, qui se faisait présenter comme hyper timide, malhabile, mais très intelligente, a ce moment à la Cendrillon où elle est métamorphosée, et le personnage principal se rend compte à quel point elle est jolie et désirable. »

De la fiction à la réalité

Mais il n’y a pas qu’à la télé que les stéréotypes perdurent. Carl Beaudoin, chercheur en éducation et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke et à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), s’est penché dans sa thèse de doctorat, en 2020, sur les stéréotypes auxquels adhèrent le personnel enseignant et les élèves du secondaire, notamment en ce qui a trait à l’intelligence. Ses recherches montrent notamment qu’encore aujourd’hui, on s’attend à ce que les filles soient plus douées en français qu’en mathématiques ou en sciences, des domaines où les garçons sont réputés avoir plus de facilité.

Consultez sa thèse de doctorat

Ce type de stéréotype, souligne-t-il, peut aller jusqu’à influencer le sentiment de compétence des élèves et mener à ce qu’on appelle une prophétie autoréalisatrice. « Si les garçons se disent, par exemple, que cette discipline est associée aux filles, ils vont moins bien réussir ; ça s’autoréalise, en quelque sorte, à cause de la question d’identification au sexe. »

Même la personnalité des adolescents peut s’aligner sur tous ces stéréotypes qu’on associe à l’intelligence.

De manière un peu inconsciente, l’élève va chercher à correspondre à cette identité qu’on lui appose. Ça peut rapidement devenir comme une prison […] ; il l’intègre et ça devient son identité.

Katia Bissonnette, psychologue

Déconstruire les stéréotypes

Les stéréotypes sont pourtant une façon tout à fait normale pour le cerveau de « classer les choses » pour faciliter notre perception du monde et de notre environnement, nuance la psychologue. « C’est comme une façon de simplifier la réalité. Il se forme des catégories automatiquement, et les principales sont à peu près toutes faites vers l’âge de 7 ou 8 ans. Ça devient des genres de croyances. »

C’est lorsqu’on commence à porter des jugements de valeur négatifs sur l’ensemble d’une catégorie – en présumant, par exemple, qu’une personne est asociale parce qu’elle est très brillante – que ces stéréotypes deviennent des préjugés qui peuvent potentiellement mener à la discrimination, souligne la psychologue – comme le fait d’exclure de son équipe sportive quelqu’un de brillant en classe. Voilà pourquoi, pour déconstruire les stéréotypes et les généralisations, il faut favoriser les mélanges entre « groupes » pour qu’un contact individuel s’établisse, estime Katia Bissonnette.

Carl Beaudoin remarque par ailleurs que les élèves issus de milieux économiquement plus faibles vont avoir tendance à adhérer davantage à certains stéréotypes, par manque de connaissances et d’information. D’où l’importance, selon lui, d’avoir des modèles forts dans la société.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Farah Alibay, ingénieure à la NASA

« On parle beaucoup de l’ingénieure à la NASA Farah Alibay. Ça va probablement aider beaucoup de jeunes filles à s’intéresser aux sciences et peut-être même à avoir une carrière comme ingénieure », croit-il.

« Les jeunes sont très sensibles aux modèles et aux témoignages, ajoute la psychologue Katia Bissonnette. Ce qu’ils voient à la télé et chez les stars, ça les atteint beaucoup. Juste le fait de savoir que c’est possible d’être autrement et de faire sa place dans le monde adulte d’une manière qui est différente, ça ouvre les portes à autre chose. »