Les deux dernières années auront posé de sérieuses entraves aux célibataires. Couvre-feu, bars fermés, plexiglas, rassemblements restreints, télétravail… Sans parler de la contagion qui plane et des regards inquiets de nos visages masqués. Or, selon les experts, un engouement pour les rencontres « en vrai » sera la grande tendance à suivre, en ces temps nouveaux où l’on apprendra à vivre avec la COVID-19.

Lorsque tout a basculé, en mars 2020, le président-fondateur de Speed Dating Montréal, Philippe Parent, s’est vu contraint de totalement repenser le concept de son entreprise qui, on s’en doute, devenait nettement incompatible avec les consignes invitant à la distanciation physique.

« Du jour au lendemain, les rapprochements sont devenus illégaux. Pas le choix : on s’est adaptés ! », rapporte ce spécialiste de la chimie interpersonnelle, qui précise que de nombreux célibataires de sa connaissance ont eu le sentiment de « payer le gros prix ». « Plusieurs se sont sentis désemparés, seuls et confinés… Ils se sont alors tournés vers les applis de rencontre. »

Maya (prénom fictif), professionnelle montréalaise dans la fin de la quarantaine, fait partie de cette cohorte. Depuis un an, elle explore ce que peut lui offrir Facebook Rencontres, même si son rapport avec ce type d’interactions la laisse au mieux perplexe, au pire déçue.

« Je ne sais pas si cela est dû à la pandémie ou bien à mon âge, mais une fois sur deux, quand je fais un match, les hommes ne répondent pas. De toute façon, c’est tellement rare que j’aie le goût de m’éterniser sur ce genre de plateforme et faire de l’épistolaire… », raconte celle qui avoue que ses efforts sur le site de rencontre ne sont jamais allés plus loin qu’une rencontre par téléconférence. La pandémie, un hiver rigoureux et les longues heures de télétravail… Tout cela amène Maya à cultiver une solitude confortable et assumée.

Ça me semblait facile, autrefois, de rencontrer. Alors que ces jours-ci, même s’il existe une multitude d’options technologiques, cela me semble plus compliqué. Peut-être que ce n’est simplement plus ma priorité.

Maya, professionnelle montréalaise dans la fin de la quarantaine

Laurence Desjardins, sexologue, a observé cette même fatigue des rencontres en ligne chez sa clientèle. Elle rapporte que l’effervescence qui a accompagné l’émergence des applis de rencontre, il y a sept ou huit ans, s’est estompée au profit d’une certaine lassitude face à l’écran.

« Les gens se rendent compte de la charge émotive, de la game qu’impliquent de telles interactions. Derrière l’écran, il y a une personne, un cœur, des sentiments, et cela devient de plus en plus réel. Quand tu joues avec les sentiments d’une personne et qu’en retour, cette personne joue avec tes sentiments, il y a une lourdeur qui s’installe. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Laurence Desjardins, sexologue

De plus, c’est difficile d’accumuler les rejets, ça frappe l’ego, l’estime de soi. On est vite remplacé, sur de telles applis.

Laurence Desjardins, sexologue

Quand les applis tombent à plat

Le speed dating, depuis deux ans, est aussi passé sur Zoom. Une migration qui a engendré son lot de défis, mais aussi une poignée d’avantages, concède Philippe Parent. « La clientèle âgée de 40 ans et plus est très à l’aise avec les rencontres en Zoom : cela peut se faire sans trop d’efforts ni besoin de sortir de chez soi. Et surtout, sans danger de contamination. »

En revanche, dit le président de Speed Dating Montréal, les plus jeunes (les 25-35 ans) préfèrent les rencontres en personne.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Philippe Parent, président de Speed Dating Montréal

Quand la pandémie sera derrière nous, je vais probablement y aller en hybride, avec une version en ligne et le retour des rencontres en personne.

Philippe Parent, président de Speed Dating Montréal

S’il est permis de croire à un nouvel engouement pour les rencontres qui se font dans les soupers d’amis, les pique-niques au parc, les blind dates organisés, il ne faut pas pour autant rêver d’un retour soudain de la drague en chair et en os, comme à la belle époque de Cruising Bar avec Michel Côté, avertit Philippe Parent. Mais ici et là, on voit toutefois poindre quelques timides invitations à renouer avec d’autres célibataires au moyen de concepts comme des meetup.

Deux ans de pandémie plus tard, la sexologue Laurence Desjardins remarque chez ses clients un vif désir de reprendre une vie normale. « Les célibataires sont tannés d’être seuls et depuis deux ans, cette solitude s’est fait sentir de manière évidente », exprime celle qui constate que ces temps d’isolement ont aussi engendré une certaine gêne sociale.

On a perdu une certaine humanité, en cette ère où on ne sait plus prendre le téléphone pour se parler.

Laurence Desjardins, sexologue

Prôner la spontanéité

Selon Joan Paiement, présidente-fondatrice d’Intermezzo, une agence de rencontre pour professionnels, la pandémie n’a pas mis en dormance les aspirations sentimentales. Bien au contraire. « Nous n’avons jamais été aussi occupés. Pris à la maison, en télétravail, les gens veulent rencontrer plus que jamais. On l’a senti. Et ça continue », témoigne cette entremetteuse de profession, qui observe un grand désintérêt à l’égard des applis de rencontre, chez sa clientèle.

« Par notre expérience, on sait pertinemment qu’il y a une grande différence entre les rencontres en ligne et celles en face à face. Les probabilités de rencontrer en ligne sont très faibles. Avec les applis, les gens se textent, se racontent leur vie, sans s’être jamais vus. Cela ne favorise pas le développement d’une relation. »

Les gens se tournent-ils vers les agences comme Intermezzo après avoir été échaudés par les applis et sites de rencontre ? « C’est presque juste ça qu’on reçoit. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Joan Paiement, présidente-fondatrice d’Intermezzo

Nous avons plein de monde désabusé, beaucoup de femmes qui sont tombées sur des hommes mariés, qui ont menti sur leur âge, leur taille, leur poids. De plus en plus de jeunes, aussi, veulent du sérieux : ils en ont assez des Tinder et Bumble.

Joan Paiement, présidente-fondatrice de l’agence Intermezzo

Dans un contexte où une vaste majorité est rouillée socialement, Laurence Desjardins prône la spontanéité, la légèreté et l’authenticité. « Je dis souvent à mes clients que c’est bien beau, les applis, mais qu’il faut aussi se parler en vrai, aborder les gens, ne pas avoir peur d’avoir l’air trop intéressé. Vous trouvez quelqu’un de joli ? Allez lui dire bonjour ! Il faut laisser derrière nous cette game, cette distance. Ne pas avoir peur d’avoir l’air trop humain. Parce que nous sommes des humains ! »