Longtemps décrite comme une créature sans défense, écrasée sous le joug masculin, la femme préhistorique n’était probablement pas confinée aux seules tâches domestiques. Qui était Lady Sapiens ? Un essai paru récemment la dépeint comme puissante, respectée et essentielle à la survie du groupe.

Essai, mais aussi documentaire et expérience de réalité virtuelle, Lady Sapiens – Enquête sur la femme au temps de la Préhistoire a recours à de récentes découvertes et à l’ethnographie pour redresser l’image qui a été construite de la femme sapiens ayant vécu au Paléolithique supérieur, soit entre 40 000 et 10 000 ans avant aujourd’hui. Bien que nombre d’inconnues demeurent, il y a fort à parier que la femme préhistorique était loin du personnage frêle, vêtu d’une simple peau de bête, qui se fait traîner par les cheveux par un homme dans Les trois âges de Buster Keaton (1923).

Une femme invisibilisée

« La préhistoire apparaît comme discipline autour de 1860 et les préhistoriens ont plaqué leur modèle de société et leur mode de vie sur ceux de la préhistoire. Cela a provoqué une invisibilisation de la femme », souligne Marylène Patou-Mathis, préhistorienne et directrice de recherche au CNRS français, citée dans le livre.

La découverte, dès 1884, de statuettes féminines aux formes voluptueuses (les « Vénus ») a aussi contribué à confiner la femme dans une figure de fécondité, selon Jennifer Kerner, enseignante en préhistoire à l’Université Paris Nanterre et coautrice de l’ouvrage, avec Thomas Cirotteau et Éric Pincas.

« Ce rôle-là, qui est peut-être d’ailleurs un rôle qu’elle avait, a pris toute la place et on l’a complètement invisibilisée de toutes les autres activités sans même réfléchir au fait qu’elle pourrait en avoir d’autres », expose-t-elle, en entrevue. Jusque dans les années 1970, où des chercheuses ont ouvert le débat sur la place de ces femmes dans les activités quotidiennes. Depuis, des progrès technologiques comme la microtomographie qui permet d’établir le sexe d’un squelette à partir de l’empreinte négative laissée par la cochlée, petit organe de l’oreille interne, ont permis d’en apprendre plus sur les occupations de nos ancêtres féminines.

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Jennifer Kerner, enseignante en préhistoire et coautrice de l’essai Lady Sapiens – Enquête sur la femme au temps de la Préhistoire

Une pourvoyeuse essentielle

Bien qu’on ne puisse affirmer avec certitude que les femmes de cette époque aient pris part activement à la chasse, il ne fait pas de doute, pour Jennifer Kerner, qu’elles aient été de grandes pourvoyeuses de nourriture, que ce soit par la cueillette ou par la transformation de céréales en farine. « On a retrouvé, sur le site d’Ohalo [en Israël], un squelette de femme qui porte des traces d’usure sur les genoux et les chevilles qui sont caractéristiques de l’activité de va-et-vient sur une meule posée au sol, meule qu’on a retrouvée sur le site. »

Une autre activité qu’on sait certainement pratiquée par les femmes à cette époque, ajoute-t-elle, est l’art. Et si la fresque de Lascaux avait été peinte par une femme ? On l’ignore. « Mais on ne peut pas non plus affirmer que ce sont les hommes ! », note la préhistorienne Sophie Archambault de Beaune, dans cet essai pour lequel elle a été conseillère scientifique.

Une femme à la stature forte

Physiquement, la femme préhistorique est différente des reconstitutions historiques présentées dans les musées. Il y a 10 000 ans en Europe de l’Ouest, les Européens avaient la peau foncée et les yeux bleus. Des analyses d’ossements ont aussi montré une robustesse des membres supérieurs, ce qui laisse croire que Lady Sapiens était musclée et athlétique.

Une femme de pouvoir ?

On sait aujourd’hui que Lady Sapiens était une femme d’action. Mais, peut-on envisager qu’elle ait aussi été une femme de pouvoir ? La Dame de Cavillon, découverte dans les grottes de Baousse Rousse en Italie, apporte une piste de réponse. Morte à l’âge de 37 ans, elle a été inhumée avec des objets précieux pour l’époque : un poinçon en os de cheval, deux fines lames taillées dans du silex et une coiffe tressée de coquillages et bordée d’une centaine de canines de cerfs. Son corps a été également recouvert d’ocre rouge. « Cette sépulture nous dit que cette femme a été suffisamment respectée pour qu’on lui fasse une sépulture merveilleuse, fait remarquer Jennifer Kerner, mais ça ne dit pas quelle était son activité. Elle pouvait être chamane, prêtre, femme de chef ou cheffe elle-même. »

Peut-on pour autant conclure à une égalité des sexes ? « Selon moi, on ne pourra jamais trancher cette question », affirme Mme Kerner. « On peut discuter [de la domination masculine] à partir du Néolithique parce qu’on a beaucoup plus de squelettes et de vestiges disponibles et là, on voit, sur les os, que les femmes sont en mauvaise santé, qu’elles ont des carences alimentaires. Et les hommes, eux, ont beaucoup moins de problèmes de santé. »

Des limites et des critiques

Lady Sapiens, sorti en France l’automne dernier, a fait l’objet de critiques. Un groupe de préhistoriens et d’anthropologues ont signé un texte, publié sur le site du Monde, dénonçant le caractère partial et sensationnaliste de la démarche.

Jennifer Kerner répond que, par son format, le documentaire a certes dû évacuer quelques nuances, mais que le livre est moins péremptoire. « Il y a des choix scientifiques qui ont été faits par Sophie Archambault de Beaune. Évidemment, quand on fait des choix de cette manière, on tisse un fil rouge, on a un discours. » N’y a-t-il pas un risque que les interprétations soient teintées par l’esprit du temps comme cela s’est produit au XIXsiècle ? C’est inévitable, selon elle, lorsqu’on écrit un ouvrage de vulgarisation.

« Il y a une critique du livre publiée sur le site Babelio qui dit : “Après deux siècles de patriarcat, s’il faut pousser un petit peu le curseur pour faire prendre conscience que la femme était au moins un peu importante quand même, eh bien, c’est un moindre mal.” J’ai trouvé ça intelligent. »

Le documentaire Lady Sapiens sera diffusé le 8 mars sur les ondes d’ICI Explora.

Lady Sapiens – Enquête sur la femme au temps de la Préhistoire

Lady Sapiens – Enquête sur la femme au temps de la Préhistoire

Éditions Multimondes

256 pages