(Copenhague) La proposition était intrigante : « emprunter un humain » pour 30 minutes. Lors d’un passage récent à Copenhague, on tombe sur la « Menneskebiblioteket », une bibliothèque humaine où l’on veut favoriser les échanges entre différentes personnes afin de combattre la discrimination.

L’idée de ce projet est celle de quatre amis, dont le Danois Ronni Abergel. L’homme de 48 ans, né d’une mère danoise et d’un père marocain, s’est demandé à la fin des années 1990 comment combattre les préjugés.

Il travaillait à l’époque pour l’organisme Stop the violence Copenhague, qu’il avait lui-même cofondé en 1993 à la suite de la mort d’un ami, poignardé par des inconnus. Voyant que la violence chez certains groupes de jeunes était toujours présente dans sa ville, il a voulu agir.

M. Abergel a réfléchi. Il s’est souvenu que dans sa jeunesse, il pouvait être violent. « Je me battais parfois dans la cour d’école. Un peu avec mes amis. Mais beaucoup avec les personnes que je ne connaissais pas. Et je me suis dit : la meilleure façon de baisser la tension entre les gens, c’est de faire en sorte qu’ils se connaissent », dit-il.

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Ronni Abergel a lancé la première édition de la Bibliothèque humaine en 2000.

Lui vient alors l’idée de permettre à des gens de différents horizons de se rencontrer et de discuter. En 2000, une première édition de la Bibliothèque humaine est créée. Ronni Abergel trouve une douzaine de « livres ». Des humains aux parcours atypiques ou ayant tout simplement un profil intrigant.

« On a identifié 14 piliers qui peuvent faire qu’une personne sera victime de préjugés. Ça peut être son identité de genre, sa santé mentale, son métier... S’ils ont une histoire de vie liée à ces 14 piliers, on peut les publier », explique en entrevue M. Abergel.

Le test du policier

La première édition de la Bibliothèque humaine dure un week-end. L’évènement réunit 25 livres humains, dont un policier, une personne obèse, un homme entièrement tatoué du visage, un vendeur de drogue du quartier de Christiania à Copenhague... « Il y a eu 1100 prêts durant l’évènement qui a duré quatre jours », raconte M. Abergel.

Durant l’évènement, un policier a été « emprunté » par un groupe de trois jeunes d’extrême gauche. M. Abergel se souvient que la tension était forte au départ, mais que celle-ci a baissé au fil de la conversation.

Vers la fin de la rencontre, un autre ami du groupe de jeunes est arrivé. Choqué de voir ses amis parler avec un policier, il a menacé et insulté ce dernier. « Ce sont finalement ses amis qui l’ont calmé et lui ont demandé de ne pas parler comme ça au policier. À ce moment, j’ai su que la Bibliothèque humaine, ça fonctionnait », dit Ronni Abergel.

Au fil des évènements, l’organisation a grossi. La Bibliothèque humaine prête désormais des livres humains quelques jours par semaine à son siège social de Copenhague. Elle organise aussi des séances spéciales dans des écoles et des entreprises.

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Le « livre » Nikolaï Hasselbalch

Au cours du passage de La Presse, Nikolaï Hasselbalch, 49 ans, était sur place. L’homme qui a été opéré pour une tumeur cancéreuse au cerveau en 2017 aime raconter son expérience. « J’ai été paralysé du côté gauche. J’ai dû tout réapprendre. J’aime parler avec les gens et montrer qu’il peut y avoir une vie après le cancer », dit-il.

Un concept qui fait des petits

Le profil des livres humains aujourd’hui disponibles à la « Menneskebiblioteket » est variable et diversifié. « Il y a un rabbin homosexuel. Une personne avec le syndrome d’Asperger. Une enfant adoptée... », énumère M. Abergel.

Le concept a fait des petits. Plusieurs autres villes d’Europe et d’ailleurs dans le monde ont reproduit le concept de la Bibliothèque humaine qui ne se veut « ni politique ni religieuse ».

Louer un « livre » à la Bibliothèque humaine est gratuit. « Mais quand je fais des évènements dans de grandes entreprises, je facture la totale. Les sociétés me surnomment “Ronni from the hood” [Ronni des bois] », rigole M. Abergel, qui a trimbalé sa Bibliothèque humaine dans des entreprises comme Google et Heineken.

Selon M. Abergel, alors que la société est plus polarisée que jamais, un projet comme la Bibliothèque humaine devient essentiel. « Tout le monde est divisé actuellement. On n’a qu’à penser au politique, à la vaccination... On a beaucoup de travail à faire pour aider le monde à s’entendre, dit-il. Je pense que notre concept peut aider. Parce qu’on offre un espace neutre de discussions. Tourner ton dos aux gens que tu n’aimes pas n’aide en rien. »