Télétravailler, déconfinement, distanciation physique, antivaccin… La pandémie a bouleversé nos habitudes jusqu’aux mots de notre vocabulaire, désormais parsemé de termes en lien avec la COVID-19. Petit tour d’horizon des mots de l’année, alors que Le Robert et Le Petit Larousse illustré présentent leurs nouvelles entrées.

Les évènements majeurs ont un impact sur notre langue et en particulier sur notre vocabulaire. C’est ce que constatent et démontrent Le Robert et Le Petit Larousse illustré, qui sortiront au mois de juin leurs éditions 2022. Et dans la catégorie « évènements majeurs », la pandémie qui chamboule nos vies depuis plus d’un an se classe très haut dans le palmarès de l’histoire moderne. Pas étonnant donc que parmi les 170 nouveaux mots, sens et expressions du Petit Larousse illustré et les 300 du Petit Robert, le lexique lié à la crise sanitaire prédomine.

« La pandémie touche beaucoup de domaines sémantiques. Dans le domaine médical, évidemment, mais aussi dans l’impact que ça a eu sur le travail, les activités, les restrictions sur les gens, nos rapports les uns avec les autres », affirme Julie Auger, professeure au département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal.

Ainsi, nos dictionnaires comportent maintenant des mots dont on ne faisait pas usage il y a tout juste un an, comme aérosolisation, confiné, déconfinement, télétravailler… Une chose à noter, toutefois, rares sont les mots qui n’existaient pas avant 2020. Dans la plupart des cas, il s’agit de termes que des spécialistes emploient, mais que le commun des mortels n’a pas dans son vocabulaire et donc pas dans son dictionnaire.

La création de nouveaux mots, à partir de rien, est « vraiment exceptionnelle », précise Julie Auger. Bien que certains néologismes liés à la COVID-19 soient des inventions complètes (« covidiot », par exemple, qui ne s’est pas taillé une place dans le dictionnaire), le lexique s’est surtout formé à partir de termes existants.

Dans beaucoup de cas, on retrouve des mots qui existaient déjà, mais dont l’utilisation était beaucoup plus limitée. Maintenant, on les retrouve dans la presse, à la télévision, dans l’usage quotidien des gens.

Julie Auger, professeure au département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal

L’évolution des mots

Il arrive aussi que le sémantisme de certains mots évolue. C’est souvent le cas dans le vocabulaire lié à la COVID-19. Par exemple, « aéroporté » ne qualifiait que les troupes de l’armée, mais on parle maintenant de « virus aéroporté ». Le mot « asymptomatique » ne se rapportait qu’à la maladie en tant que telle, alors qu’il peut maintenant être question d’une personne asymptomatique. Lorsque l’on parle de « se masquer », de nos jours, il n’est pas question d’un déguisement, mais d’une protection.

« Souvent, lorsqu’un mot existe, mais qu’il a la possibilité d’avoir un autre sens, on va le faire, note Julie Auger. Un autre mode qu’on utilise pour créer des mots, c’est en faisant appel à des ressources morphologiques, en ajoutant un préfixe ou un suffixe, par exemple. » Ainsi, avec « confiner », on obtient « déconfiner », « reconfiner » et plusieurs variantes.

La locution est aussi courante pour donner un autre sens à un terme déjà existant, souvent pour le préciser. Pensez à la « distanciation » que l’on emploie maintenant souvent avec le terme « physique ». L’« immunité » est maintenant « collective ». L’« état d’urgence » est « sanitaire ». Ces nouvelles associations de mots se retrouvent elles aussi ajoutées dans nos dictionnaires.

Et pourquoi ces mots plutôt que d’autres ? Simplement parce qu’ils sont ceux que l’on emploie couramment. Le terme « télétravailler » n’est pas nouveau, mais il ne figurait pas dans Le Petit Larousse en raison de sa fréquence faible. Tout à coup, dans la dernière année, il est devenu d’emploi général et donc un incontournable pour le dictionnaire.

On a beau avoir une Académie française et un Office québécois de la langue française et des dictionnaires, au bout du compte, ce sont les utilisateurs qui décident quelles sont les utilisations que l’on suit.

Julie Auger, professeure au département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal

C’est d’ailleurs pour une question d’usage que le mot « COVID-19 » est désigné comme ayant les deux genres, féminin et masculin, dans Le Robert. Si le Larousse le désigne comme étant féminin, comme l’ont recommandé l’Académie française et l’Office québécois de la langue française, Le Robert se fie à son utilisation courante. Au Québec, on a rapidement adopté la recommandation préférant le féminin, parce que « l’Office québécois de la langue française est intervenu rapidement », affirme Julie Auger. Les médias, les politiciens et, de ce fait, le reste de la population sont passés au féminin.

Intersectionnalité, téteux et vlog

Heureusement, il n’y a pas eu que le (ou la) COVID-19. Notre vocabulaire et les dictionnaires en sont les témoins. Des personnalités s’étant démarquées pourront désormais trouver leur nom dans le dictionnaire. C’est le cas du bédéiste québécois Guy Delisle et de la danseuse Crystal Pite (dans Le Petit Larousse) ou de l’explorateur originaire de Rimouski Bernard Voyer (dans Le Robert).

Alors que les vlogs, ces blogues vidéo, sont toujours de plus en plus populaires, Le Robert ajoute ce nom cette année. Côté gastronomie, le konjac, le chawarma et le malbec font notamment leur entrée. Pour l’aspect société, les luttes sociopolitiques amènent les termes intersectionnalité, transidentité, appropriation culturelle ou racisme systémique dans les pages du Robert.

Le Larousse ajoute « émoji », « harcèlement de rue » ou « mocktail », notamment. Et pour ses entrées québécoises, on retrouve « échouerie », « bien-cuit », « vigile » et « nounounerie ». Ce dernier terme fait d’ailleurs un peu tiquer la linguiste Julie Auger, qui se demande qui sont les consultants du Larousse ayant décidé d’introduire ce mot. Dans Le Robert, les termes québécois « téteux », « chefferie » ou la jolie expression « avoir vu neiger » s’ajoutent à l’ouvrage. « C’est positif de retrouver tous ces mots, parce que la francophonie n’est pas limitée seulement à la France, elle va bien au-delà », dit Julie Auger.

De nouveaux mots

Le Petit Larousse illustré

CONFINER v. t. Soumettre à un confinement sanitaire : Confiner une population, un quartier, une ville.

DISTANCIATION n. f. Distanciation physique ou sociale, fait de garder une distance de sécurité (un mètre au minimum, selon l’OMS) entre personnes pour limiter le risque de contagion dans un contexte épidémique.

BIEN-CUIT n. m. Discours humoristique prononcé à l’intention d’un invité d’honneur, lors d’une réception, mêlant habilement compliments et moqueries afin d’amuser l’assistance.

Le Robert

COVID n. m. ou f. Maladie infectieuse et contagieuse causée par un coronavirus. Suspicion de COVID-19. Patients atteints du, de la COVID-19. COVID-19, à l’origine de la pandémie qui débuta en 2019.

DÉCONFINER v. tr. Mettre fin au confinement de [qqn.]

INTERSECTIONNALITÉ n. f. Concept associant les aspects qui constituent l’identité d’une personne (sexe, genre, classe, origine ethnique, âge, orientation sexuelle…) aux systèmes de discrimination et de domination.