Les mariages de filles et de garçons mineurs au Canada ne sont pas que des cas isolés : plus de 3600 certificats de mariage ont été délivrés pour eux entre 2000 et 2018, la plupart pour des adolescentes. Et ce chiffre n’inclut pas toutes les unions de fait qui passent sous le radar, et qui sont tout aussi nuisibles pour ces jeunes, estiment des chercheuses qui ont mesuré l’ampleur du phénomène.

Plus précisément, ce sont 3687 enfants de 14 à 17 ans qui se sont officiellement mariés durant cette période, est-il rapporté dans une récente recherche de l’Université McGill. Et la très grande majorité était des filles (85 %).

Ces chiffres ne reflètent même pas le total, car certaines provinces n’ont pu remettre de données pour la totalité de la période sous étude, est-il noté.

Au Québec, ils ont été près de 600 adolescents âgés de 16 et 17 ans à se marier entre 2000 et 2018.

Des chercheuses de l’Université McGill, Alissa Koski et Shelley Clark, ont mis en lumière cette situation peu connue. Leur étude, publiée dans la revue Population and Development Review, est la première à recenser la fréquence des mariages d’enfants au pays.

Un travail de moine pour les deux chercheuses qui ont décortiqué plusieurs bases de données, dont les chiffres du recensement et les registres de l’état civil de toutes les provinces et tous les territoires – et corrélé leurs résultats.

C’est en Alberta et au Manitoba que les mariages en bonne et due forme ont été les plus nombreux.

Aussi, les enfants nés au Canada sont un peu plus susceptibles de se marier que ceux nés à l’étranger, ont constaté les chercheuses.

Depuis 2015, il faut avoir au moins 16 ans pour se marier au Canada, et l’accord des parents est nécessaire. Mais avant cela, chaque province avait ses propres règles, et certaines le permettaient même dès l’âge de 14 ans.

Le Québec se distingue à ce chapitre : les jeunes de 16 et 17 ans doivent obtenir l’autorisation d’un juge pour se marier.

À ce sujet, les chercheuses veulent briser un mythe. Le mariage de mineurs ne ressemble pas à cette idée romantique que l’on peut se faire d’une jeune fille qui épouse son petit ami de l’école secondaire après leur remise de diplômes. En fait, il s’agit le plus souvent d’une jeune fille qui est mariée à un homme qui est généralement plus âgé, un modèle conforme à ce qui se pratique ailleurs dans le monde, précisent-elles. Le plus souvent, la différence d’âge était de cinq ans, mais elle allait jusqu’à 20 ou 30 ans de plus, a souligné Mme Koski.

Unions de fait

« Les mariages formels ne sont que la pointe de l’iceberg », a déclaré en entrevue Alissa Koski, coauteure de l’article et professeure adjointe au Département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill. L’autre auteure, Shelley Clark, est titulaire de la Chaire de sociologie James-McGill.

Car avec le temps, les choses ont changé : il y a désormais plus de mineurs canadiens en unions de fait que mariés. Les Nations unies incluent d’ailleurs les unions de fait dans leur définition de « mariage d’enfants ».

Il est toutefois plus difficile de cerner l’ampleur du phénomène – sans le bénéfice des certificats de mariage –, mais en décortiquant les données des recensements, Mme Koski a relevé pour une seule année (2016) un total de 2160 unions de fait impliquant un jeune de moins de 18 ans.

Pourquoi ce changement ? « Nous ne pouvons le savoir avec certitude », a répondu Mme Koski.

Mais elle émet toutefois deux hypothèses : puisque les mariages impliquant des enfants sont de plus en plus mal vus, et perçus comme nuisibles, il est possible que plusieurs se tournent vers l’union de fait pour éviter la réprobation.

Une autre possibilité découle des conséquences d’une politique canadienne : durant la période à l’étude, il est devenu impossible de parrainer un époux ou une épouse d’un autre pays ayant moins de 18 ans.

Une forme d’hypocrisie, juge Mme Koski : vous pouvez vous marier ici avec une fille de 16 ans, mais vous ne pouvez parrainer une épouse de 16 ans.

Les unions de fait peuvent être tout aussi dommageables que les mariages en bonne et due forme, préviennent les chercheuses. À vrai dire, elles offrent souvent une moins bonne protection sociale, juridique et économique. Au Québec, par exemple, les personnes en union de fait n’ont pas droit à la pension alimentaire ni au partage des biens en cas de rupture.

Les Nations unies ont identifié le mariage d’enfants comme l’un des indicateurs les plus importants de l’inégalité entre les sexes dans le monde, parce que ses conséquences sur la santé et le développement personnel touchent un nombre disproportionné de filles.

Pour les chercheuses, le fait de se marier si jeunes est associé à toutes sortes de conséquences négatives : elles sont plus à risque de vivre de la violence conjugale et de contracter des ITS. Elles risquent aussi d’avoir des enfants en bas âge et seront ainsi plus susceptibles d’abandonner l’école jeunes, et leurs opportunités économiques en seront d’autant réduites.

Elles en subiront les conséquences pour le reste de leur vie.

Alissa Koski et Shelley Clark

Mme Koski déplore que le mariage d’enfants retienne l’attention dans les pays en voie de développement, mais pas pour un pays bien nanti comme le Canada.

Pourtant, le gouvernement canadien déploie des efforts de politique étrangère, et alloue des fonds pour que le mariage d’enfants cesse ailleurs dans le monde.

Sur la page web d’Affaires mondiales Canada, on peut lire que « chaque année, on estime que 12 millions de filles âgées de moins de 18 ans sont forcées de se marier. […] Nous informons les gens sur les effets dévastateurs des mariages d’enfants, précoces et forcés. Nous travaillons dans des pays en développement avec des filles, leur famille, leur collectivité et avec les gouvernements en vue d’éliminer cette pratique néfaste. »

Pendant ce temps, il se pratique en toute légalité au Canada, note Mme Koski.