Un petit coup-de-poing américain en forme de chat aux oreilles tranchantes, un pic briseur de vitres à la couleur vive, un couteau dissimulé dans une clé : ce sont des porte-clés d’autodéfense, parfois de véritables armes blanches. Ils font fureur sur les réseaux sociaux et ils gagnent en popularité auprès des jeunes femmes québécoises.

Sur Instagram et TikTok, les vidéos qui mettent en vedette différents objets d’autodéfense sont particulièrement populaires. On peut y voir une jeune fille se brosser les cheveux avec un peigne qui renferme un couteau, ou encore une internaute présenter son petit Taser recouvert de paillettes. Les entreprises qui en vendent se retrouvent par dizaines sur les réseaux sociaux.

« Il y a une grande tendance maintenant pour ce produit », dit Diana Adam, à la tête de l’entreprise Asteri Shop, qui vend des porte-clés d’autodéfense. « Je pense que c’est parce que la situation dans le monde est très instable. Surtout à Montréal, au cours des derniers mois, il y a eu des fusillades assez régulièrement. »

Sur la page Instagram d’Asteri Shop, on peut voir des vidéos où l’entrepreneure perce des melons d’eau à l’aide de coups-de-poing américains en forme de chat. Elle montre aussi comment briser des vitres à l’aide d’un petit outil.

La Montréalaise de 27 ans a ouvert sa boutique en ligne pour offrir des objets aux femmes qui souhaitent se sentir davantage en sécurité dans les rues.

Depuis janvier dernier, Diana Adam vend environ 500 porte-clés par mois. Parmi son stock : une alarme personnelle, un vaporisateur qui repousse officiellement les chiens et son fameux petit cou-de-poing américain félin. Elle vend près de 90 % de ces produits à des Canadiennes, et le reste à des Américaines.

Vendus rapidement

Marylou Bienvenue a aussi commencé à confectionner et à vendre des porte-clés d’autodéfense il y a quelques mois, après avoir subi un incident lié à de la violence conjugale. « J’aurais préféré avoir quelque chose pour me défendre puis m’aider à ce moment-là », confie-t-elle en entrevue avec La Presse. Elle a été surprise que ses premiers porte-clés se vendent rapidement.

« J’en avais vu de [sociétés américaines] qui en faisaient, sur TikTok beaucoup. Mais c’était cher, comme 80 [dollars américains] sans l’expédition et tout. Je me disais qu’il doit y avoir une manière plus cheap d’en avoir », raconte-t-elle.

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Marylou Bienvenue a commencé à confectionner et à vendre des porte-clés d’autodéfense il y a quelques mois.

La jeune femme a donc commandé différents outils pour en confectionner et les vendre sur ses réseaux sociaux. Elle propose notamment un sifflet, une lampe de poche et un pic briseur de vitre.

Marylou a reçu plusieurs commentaires positifs de ses clientes, qui se disent plus en sécurité depuis l’obtention de ce produit.

« Ce n’est pas normal d’avoir peur »

Vivianne Proulx, 29 ans, est l’une des clientes de Marylou Bienvenue. « Je vis des petits incidents de harcèlement de rue, et des fois, c’est un peu angoissant », explique-t-elle à La Presse. Elle trimbale maintenant dans son sac un pic briseur de vitre, un sifflet, une alarme personnelle et une petite lampe de poche.

Vivianne raconte s’être déjà fait suivre jusque chez elle et avoir reçu des avances non sollicitées. « Tu ne peux pas vraiment savoir comment les gens vont réagir quand tu vas leur dire : “Non, je ne suis pas intéressée » », évoque-t-elle.

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Vivianne Proulx, 29 ans, s’est procuré un porte-clés d’autodéfense.

« Il y a beaucoup de misogynie [dans la société], il y a beaucoup de féminicides aussi. Je pense que ça vaut la peine que les femmes aient au moins quelque chose sur soi pour se défendre lors d’une situation fâcheuse », renchérit-elle.

Sandrine Gauthier s’est pour sa part tournée vers Amazon pour acheter un porte-clés. Elle s’est procuré un pic briseur de vitre, un sifflet et une alarme personnelle dans laquelle se trouve une lampe de poche.

C’est après s’être fait suivre par deux hommes dans les transports en commun que Sandrine a pris la décision d’acheter ces produits.

« Le fait d’avoir un porte-clés, c’est bien, mais en même temps, c’est triste d’en acheter un parce que je ne devrais pas avoir [besoin de ça] pour me défendre », dit Sandrine. « Ce n’est pas normal d’avoir peur de se promener en 2021 », ajoute-t-elle.

Est-ce que c’est légal ?

Ces petites armes si faciles à trouver sont-elles légales au Québec ? Oui et non, répond un expert.

Si certains porte-clés d’autodéfense vendus en ligne sont considérés comme des armes prohibées, d’autres ne le sont pas.

Les couteaux dissimulés dans des peignes ou dans des clés sont illégaux. « Tout appareil d’une longueur inférieure à 30 cm, qui ressemble à un objet inoffensif, mais qui est conçu pour dissimuler un couteau ou une lame » est prohibé, précise la loi.

En ce qui concerne les vaporisateurs contre les chiens, « tout produit que l’on peut se procurer en vente libre et destiné comme répulsif contre les animaux [habituellement les chiens et les ours] est légal », précise la Sûreté du Québec. Toutefois, le fait de transporter du gaz poivre sur soi est illégal.

Les petits coups-de-poing américains en forme de chat ne semblent pas être des armes prohibées, car ils sont en plastique, indique l’avocat Louis Belleau. Un coup-de-poing américain doit être en métal pour être interdit.

Quant aux pics briseurs de vitre, ils n’apparaissent à première vue pas comme des armes prohibées.

Toutefois, « n’importe [quel objet] qui est neutre en soi, si vous l’utilisez pour agresser quelqu’un, ça va être considéré comme une arme. Vous pouvez être accusé d’agression armée », précise MBelleau. Ainsi, une personne qui en attaque une autre avec un manche à balai ou un tuyau pourrait être accusée d’agression armée.

Qu’en est-il de la légitime défense ? « Si ce n’est pas considéré comme une défense excessive, votre défense de légitime défense va prévaloir. Mais si vous utilisez l’objet et que vous commettez une agression plus grave que ce qui est nécessaire pour repousser celle dont vous voulez vous défendre, à ce moment-là, vous pouvez être reconnu coupable de voies de fait, et possiblement de voies de fait armées », explique l’avocat.

Le Service de police de la Ville de Montréal « ne peut isoler spécifiquement les saisies qui auraient été faites en lien » avec les porte-clés d’autodéfense et n’a pas précisé si ce type d’objet était au cœur de ses préoccupations.