L’art de la drag n’est plus réservé aux hommes qui incarnent des archétypes de la féminité. De plus en plus de femmes se transforment en drag queens ou en drag kings. Certaines drags conservent leur barbe. D’autres n’ajoutent ni faux seins ni fausses hanches. Un éclatement des codes qui suscite autant de réprobation que de réjouissances.

Depuis 2017, Wendy Warhol démontre que la drag n’est pas réservée aux hommes qui se déguisent en femmes. « À mes débuts, on m’a souvent dit que je n’étais pas une vraie drag queen, parce que je ne suis pas un homme, dit-elle. Ces commentaires venaient surtout des gens de la vieille école ou des jeunes qui connaissent surtout l’émission RuPaul’s Drag Race, où l’on voit seulement des hommes et, depuis peu, des femmes trans qui font de la drag. »

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La drag queen Wendy Warhol

Si ces paroles l’ont blessée, elle n’a jamais abandonné. Elle continue de mystifier les spectateurs qui mettent du temps avant de réaliser qu’une femme se cache derrière ce maquillage. « Je le prends comme un compliment. Ça prouve qu’ils ont regardé mon art et non qui j’étais sous mon personnage. C’est ça l’important. »

Quant à ceux qui se disent encore déçus de découvrir qu’elle est une femme, elle répond qu’ils font preuve de misogynie. « Dans la société, y compris au sein de la communauté LGBTQ+, les femmes doivent travailler plus fort pour avoir le même respect. Cela dit, les mentalités tendent à évoluer. Plusieurs personnes m’ont dit que j’avais changé leurs perceptions des femmes qui font de la drag. »

Drag kings en vogue

D’autres femmes prennent plaisir à incarner les archétypes de la masculinité. C’est le cas de Mélodie Noël Rousseau, qui se transforme depuis 2018 en Rock Bière : « un homme qui aime partir un feu avec une canisse de gaz, qui sent le cuir et le parfum de char neuf ».

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Mélodie Noël Rousseau, alias Rock Bière

Sur scène, la comédienne brûle les planches sur les airs de Gerry Boulet, Daniel Boucher et La Chicane. Malgré son énergie contagieuse, son maquillage recherché et son talent pour le jeu, ses numéros suscitent encore la perplexité.

Je suis souvent confrontée à une salle qui se demande ce qui se passe, puisque les gens sont habitués au classique de l’homme qui se transforme en femme. Les gens doivent apprivoiser le concept, avant d’apprécier ma performance.

Mélodie Noël Rousseau

Soir après soir, elle se démène pour prouver la valeur de son art. « Comme mon personnage est plus petit physiquement et qu’il y a encore peu de drag kings, je dois fournir le double d’efforts pour montrer que j’ai ma place. Je dois aussi trouver comment rendre flamboyante la masculinité. Je veux faire bonne impression, question de défricher le chemin pour les autres. »

Les membres du public ne sont pas les seuls à conquérir. Plusieurs décideurs du milieu sont eux aussi réticents. « Certains ne savent pas que les drags kings existent, alors que d’autres sont frileux à nous engager, même quand on a fait nos preuves », explique celle qui présentera en novembre 2021 la pièce de théâtre Rock Bière : Le documentaire dans un théâtre montréalais qui sera dévoilé sous peu.

Diversifier les codes

Peut-on être un homme et pratiquer l’art de la drag sans raser sa barbe et sans agrémenter son apparence d’une fausse poitrine ou de fausses hanches ? Absolument, selon Gabriel Germain, qui se définit comme une créature de la drag sous les traits de Gina Gates, depuis 2017. « Plusieurs clients des bars où je performe disent aux propriétaires qu’ils n’ont pas envie de voir une drag à barbe et sans seins, mais quand ils me voient en action, ils changent leur fusil d’épaule, dit-il. Le type de drag n’enlève rien au talent qu’on a. Tout est dans l’assurance et dans la performance. »

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Gabriel Germain, alias Gina Gates

Quand il entend dire que les drags qui conservent leur barbe sont paresseuses, il a une réponse toute prête.

Entretenir ma barbe, la styliser et la maquiller avec de la peinture à barbe me prend plus de temps ! Par ailleurs, mon maquillage est excentrique et très complexe. Plusieurs drags me disent qu’elles n’arriveraient pas à le reproduire. Donc, je suis loin d’être paresseux.

Gabriel Germain

Il a également l’habitude de répliquer gentiment à ceux qui prétendent que les drags sans faux seins brisent l’illusion. « Dans la vie, des femmes n’ont pas de seins. Tous les corps de femmes sont valides. Selon moi, la présence ou l’absence de seins n’enlève rien à la féminité. Je peux être très féminin, selon la façon dont je présente mon corps, ma gestuelle et ma posture. »

Malgré les réticences rencontrées, il sent une ouverture grandissante par rapport aux différentes formes de drag. « Il y a dix ans, la personnification féminine prédominait, même s’il y avait d’autres styles. Aujourd’hui, on a migré vers quelque chose de plus artistique et diversifié : glamour, camp, club kid, etc. Il y a un rayon infini de styles. »

Selon Mélodie Noël Rousseau, la drag évolue au rythme de la société. « La jeune génération est fluide et déconstruit le genre, ce qui a des répercussions dans la drag, dit-elle. Je trouve ça chouette de voir leur ouverture. Ça nous permet de nous éduquer sur différentes réalités. »

Dans le futur, le public pourra-t-il voir des gars qui se transforment en drags kings, c’est-à-dire qu’ils personnifient des archétypes de la masculinité traditionnel? « C’est sûr que ça s’en vient, répond la comédienne. Ça va être le fun à voir! »

Gabriel Germain pourrait être l’un d’eux. « Un jour, j’aimerais faire un numéro de drag king et le pousser au maximum, un peu comme les femmes qui se transforment en drag queens en cherchant des moyens d’être le plus extravagantes possibles dans leur maquillage, leur costume et leur attitude. Peu importe ton genre, l’idée est d’explorer un personnage et d’aller pratiquement à l’opposé de soi. »