À 18 ans, Milo Brunelle est devenu le plus jeune propriétaire de stand de l’histoire des Marchés publics de Montréal. À la barre des Pops, il est le fier héritier de son père, mort d’un cancer du cerveau en novembre dernier.

Selon Milo Brunelle, il est tout simplement impossible d’être malheureux en mangeant un popsicle. À son stand du marché Jean-Talon, il n’y a jamais de clients insatisfaits. Que des visages souriants. Ceci ne sera donc pas une histoire triste. Malgré une année éprouvante, l’héritier des Pops a encore du bonheur à vendre.

« J’ai fait mes impôts une fois et, là, je me retrouve à gérer une entreprise. Je pense qu’il y a eu un glitch dans la matrice ! », rigole Milo Brunelle.

Midi au marché Jean-Talon. Ce dimanche-là, il fait canicule. Derrière son étalage de popsicles colorés, Milo règne en maître.

Littéralement.

Cette année, il a signé les papiers pour reprendre Les Pops, le fabricant artisanal de popsicles du marché Jean-Talon. C’est son père, Stéphane Brunelle, qui l’a mis sur pied, il y a de cela 15 ans.

Milo n’avait alors que 3 ans, mais son père lui a raconté l’histoire des dizaines de fois.

PHOTO FOURNIE PAR MILO BRUNELLE

Stéphane Brunelle, derrière le stand Les Pops au marché Jean-Talon, en 2007

« C’était vraiment sorti de nulle part. Mon père était chef accessoiriste au cinéma, il a étudié en enseignement de l’éducation physique. Mais il adorait se tenir occupé. Un été, il a proposé son idée de popsicles au marché Jean-Talon, sans jamais en avoir fait lui-même », se souvient Milo.

Pendant une semaine, son père a travaillé jour et nuit pour concevoir un popsicle – un seul –, le « Pop Fraise », qui est toujours en vente aujourd’hui. Contre toute attente, son produit est accepté. Le garage familial est reconverti en atelier, un congélateur s’y ajoute chaque été. Milo grandit le bout du nez gelé.

« J’accompagnais mon père au marché, je le regardais travailler. Je le dépannais quand un employé s’absentait […] Lui et moi, on avait une relation en or. On se disait : “Je t’aime” tous les jours. Il me soutenait dans tout ce que je faisais », confie le jeune homme.

Sa gorge se serre. On en arrive à l’été dernier.

Début août, son père montre d’importantes pertes d’énergie. Son état s’aggrave vite. Diagnostic : cancer du cerveau. Probablement le même qu’il a vaincu en 2015. Mais cette fois-ci, il n’y survivra pas.

La relève

Août, c’est la haute saison du popsicle. Avec les vacances scolaires et la chaleur estivale, quelqu’un doit prendre en charge Les Pops, et vite. « Dans ma tête, ça allait de soi que ce serait moi », dit Milo. Il se rend au stand tous les matins, jusqu’aux premières couleurs de l’automne, lorsqu’il faut rentrer les congélateurs pour l’hiver.

Pendant ce temps, il veille sur son père, qui dépérit à vue d’œil.

En novembre, le stand bouclé, il lui reste une dernière tâche à accomplir, la plus difficile. « Mon père connaissait toutes les recettes dans sa tête. Comme il n’était pas très techno, je lui ai demandé d’écrire les recettes à la main. Je les ai toutes, sauf une », raconte Milo.

Guanabana, la recette mystère. Son père s’est éteint le 13 novembre 2020, avant de la lui transmettre.

Il avait 56 ans.

L’héritage

« Mon père ne se plaignait jamais. J’essaie d’apprendre de lui, de sa fougue, de sa joie de vivre. Il était toujours positif et très, très travaillant », souffle Milo.

Tel père, tel fils. En pleine fin de session au cégep du Vieux Montréal, Milo reprend les rênes de l’entreprise.

Première étape : joindre tous les partenaires d’affaires de son père pour leur expliquer la situation. Puis, s’occuper de la paperasse, gérer la caisse, embaucher des employés. « Ça, c’est particulier, parce que tous mes employés sont plus vieux que moi ! », s’exclame Milo.

Le 22 mai, il a officiellement ouvert la saison 2021 du stand Les Pops.

« Au début, c’était difficile. Si j’avais un problème avec mon congélateur, j’étais clueless et je devais appeler cinq personnes. Mais la prochaine fois que ça arrivera, je saurai quoi faire. »

Milo prend déjà du galon. Cet été, par exemple, il a conclu une vente avec une école primaire pour la fin de l’année scolaire.

Mon père n’avait pas le temps de pousser l’entreprise. Juste de la maintenir, c’était le maximum qu’il pouvait donner. Moi, j’ai vu son potentiel. J’ai plein d’idées pour la suite.

Milo Brunelle

Comme inventer de nouvelles recettes – « matcha-framboises, tu en penses quoi ? » –, étendre les points de vente et déléguer la production à un atelier externe.

« La vie est belle »

13 h. Tandis que le soleil poursuit sa course, les congélateurs des Pops fondent à vue d’œil. C’est une bonne journée.

« La vie est belle », dit simplement Milo. Après tout ce qu’il a traversé, c’est ce qu’il retient de la dernière année.

« Ce qui est prédominant dans ma réflexion, après la pandémie et le deuil de mon père, c’est qu’il faut profiter de chaque jour, parce qu’il peut arriver n’importe quoi, n’importe quand. Il y a de la douleur dans la vie de tout le monde. Ça fait partie de la vie. Il faut s’accrocher aux petits plaisirs. »

Comme un popsicle, par un jour de canicule.