(Houston) « Regardez, on finit toujours par s’en sortir. Cinq millions de non et un oui ! » s’exclame Dina Jacobs, une personne transgenre avec 57 ans de carrière en tant que drag queen, pour résumer les revers de sa vie et le bout du tunnel qu’elle aperçoit enfin.

Cette femme d’origine hawaïenne montre le deux-pièces qu’elle pourra dorénavant louer pour moins de 500 dollars par mois dans la première résidence du Sud des États-Unis pour seniors LGBTQ (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers).

Inauguré jeudi dernier, le centre Law Harrington compte 112 appartements et quelques espaces communs (bibliothèque, parc à chiens…).

Implanté à la lisière du Third Ward, un arrondissement de Houston en pleine gentrification, il vise d’une part à aider les personnes âgées les plus fragiles à rester dans leur quartier et d’autre part à assurer un accueil positif aux LGBTQ.

« Beaucoup n’ont pas d’enfants qui pourraient leur apporter une aide intergénérationnelle. Ils peuvent aussi avoir des problèmes de ressources, parce que ceux qui sont sortis du placard ont pu souffrir économiquement, se faire renvoyer », explique Annise Parker l’ancienne maire de Houston présente jeudi à l’inauguration.

C’est elle qui, il y a environ huit ans, a ramené d’une visite dans un centre similaire de Los Angeles l’idée de créer cette résidence ici.

La salle commune, où elle coupe le ruban inaugural, porte d’ailleurs son nom : « Ce n’est pas grâce au travail que j’ai fait en tant que maire », précise-t-elle en riant, « mais parce que ma femme Kathy et moi avons réalisé une donation conséquente ! »

Un environnement positif

Conçue par un architecte issu du quartier, la résidence à la tour arc-en-ciel est la plus grande des États-Unis à revendiquer l’accueil d’un public de personnes âgées LGBTQ.

Elle porte le nom de Charles Law et Gene Harrington, deux militants de Houston défenseurs des droits des homosexuels, morts du sida en 1993 et 2002.

C’est l’association Montrose Center, spécialisée depuis 1978 dans l’accompagnement des LGBTQ de Houston, qui a mené le projet et réuni les 26,5 millions de dollars nécessaires.

« Quand j’ai révélé mon homosexualité, ma famille, au Texas, a eu beaucoup de mal à l’accepter », explique Kennedy Loftin, son responsable développement. « Je n’avais plus d’endroit où dormir. Ce moment bref d’insécurité en termes de logement m’a fait me rendre compte à quel point il est important de s’occuper de nos anciens ».

« C’est un des seuls endroits où les couples seniors de même sexe, les personnes transgenres ou d’autres membres de la communauté LGBTQ peuvent vivre leurs vieux jours dans un environnement sûr et positif », poursuit Kennedy Loftin.

Autre avantage, ils auront accès à une clinique gérée par Legacy Community Health Services, une structure « ouvertement pro-LGBTQ », explique sa dirigeante Katy Caldwell.

Une nécessité d’après elle car « les personnes âgées LGBT vont moins chez le docteur parce qu’ils y ont été mal traités par le passé, ils y ont subi des discriminations. Ils ont peur d’y mentionner les personnes qu’ils aiment, de venir avec elles recevoir des soins ».

« Personne n’était là pour eux »

Les habitants du quartier pourront aussi accéder au centre de soin.

Dépendante des maigres subsides de la sécurité sociale, Dina Jacobs ne s’attarde pas sur son passé médical difficile.

Après avoir fièrement montré sa nouvelle penderie assez grande pour toutes ses robes de scène, tout juste évoque-t-elle avec retenue quelques-uns des accrocs de son parcours, qu’il s’agisse d’un manager texan peu scrupuleux ou de ses débuts à Honolulu.

« À Hawaii », dit-elle, « on se faisait taper dessus tout le temps dans les années 60. Juste parce que nous étions nous-mêmes ».

Elle ne peut s’empêcher de penser aux militants LGBTQ qui n’ont pas pu terminer leur vie dans la dignité.

Ce type de centre « aurait dû être réalisé bien avant parce que beaucoup de personnes sont mortes dans les rues. Ce n’est pas juste. Quand ils se sont battus pour les droits de tous, personne n’était là pour eux. Et maintenant que nous récoltons le fruit de leurs luttes, ils ne sont plus là pour en profiter ».

Le soir venu, devant le tout Houston gay, dans une robe décolletée à paillettes, enfin elle oublie vraiment tous les non de sa vie en interprétant Diana Ross qui chante le tube de la comédie musicale The Wiz, le bien nommé Home.