Ce lundi, c’est la Journée internationale de la lenteur. Mais depuis que cette fête a été créée au Québec, il y a 20 ans, nos quotidiens sont de plus en plus effrénés.

« J’ai l’impression que le monde a accéléré encore plus depuis. » Lorsque Clémence Boucher a fondé la Journée internationale de la lenteur, il y a 20 ans, elle trouvait déjà que le monde allait vite. Pourtant, il n’y avait pas encore de téléphones intelligents, pas encore de réseaux sociaux, pas encore de messages instantanés. Mais tout ça a bien changé.

« C’est assez bien documenté, dans les études, que la majorité des gens rapportent davantage de stress au quotidien et au travail », indique Natacha Godbout, psychologue et professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui s’intéresse depuis quelques années au stress.

« Le stress, c’est à la base notre ami. Il nous mobilise, il nous donne de l’énergie, nous permet de penser plus vite », dit Natacha Godbout. Le problème, c’est que nous sommes aujourd’hui confrontés à des stresseurs du matin au soir, au travail et même à la maison.

On est toujours disponibles, parce qu’on a des cellulaires, on a des courriels, on a des ordinateurs. Si on se ramène en arrière de seulement quelques décennies, on fonctionnait avec des lettres. Imaginez comment ça devait être différent !

Natacha Godbout, psychologue et professeure à l’Université du Québec à Montréal

Un trouble adaptatif

Notre corps ne serait tout simplement pas adapté pour faire face au quotidien moderne, explique Jonathan Bluteau, chercheur en psychoéducation qui s’intéresse aux mécanismes de réponse au stress. « Pendant de 200 000 à 300 000 ans, nous avons évolué dans un environnement relativement fixe, rappelle-t-il. Depuis 100 ou 200 ans, ou même juste depuis l’an 2000 avec la démocratisation de l’internet, notre environnement et notre mode de vie ont complètement changé. »

Le système de réponse au stress de l’Homo sapiens a évolué depuis la préhistoire. À l’époque, le cerveau répondait surtout à des stresseurs physiques, comme la faim et le froid. Aujourd’hui, il serait submergé par une quantité inégalée de stresseurs psychologiques. Les menaces ne sont pas réelles, mais la réponse est la même : le signal de stress est envoyé. Ce décalage serait à l’origine, selon Jonathan Bluteau, de nombreux maux endémiques de notre société, en particulier des troubles anxieux ou dépressifs.

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Jonathan Bluteau, professeur de psychoéducation spécialisé dans les mécanismes de réponse au stress

« Le problème, c’est que le corps n’est pas capable de faire la différence entre les différents stimuli. [Si j’ai des problèmes avec le travail], mon corps va réagir comme s’il y avait un serpent dans la pièce et que je devais affronter tout de suite cette menace », souligne Natacha Godbout. À la longue, les hormones mobilisées pour réagir à ces dangers dérèglent l’organisme. Cela cause différents problèmes comme des troubles digestifs ou de l’insomnie, et peut même entraîner des maux plus importants comme le burn-out ou la dépression.

Résister à la frénésie

Il reste tout de même des irréductibles qui résistent au temps. Bruno Rouyère, artiste, musicien et bédéiste, affirme organiser sa vie de façon à ne pas avoir d’horaire. « Bien sûr, j’ai des deadlines. Mais je m’y prends plusieurs jours à l’avance, pour ne jamais avoir le stress de travailler à la dernière minute », explique-t-il.

Je vois passer les gens qui sont pressés d’aller partout, comme des oiseaux qui volent d’arbre en arbre. Moi, je veux être comme le lézard au soleil.

Bruno Rouyère

Bruno Rouyère vit selon l’horaire qu’il a choisi : d’ordinaire, il se couche à 3 h et se lève à 11 h. Au lieu de faire du « 9 à 5 », il travaille au rythme où lui viennent les idées, ce qui lui permettrait d’être plus créatif. « Tout le monde quadrille son temps pour passer d’une chose à l’autre toute la journée, tout le temps, sans jamais prendre le temps de prendre du recul ou de réaliser ce qu’ils sont en train de vivre, illustre-t-il. En fait, la vie est rendue un véritable film d’horaire. »

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L’artiste et bédéiste Bruno Rouyère

Même si certaines personnes de son entourage ne comprennent toujours pas le rythme qu’il a adopté, il ne changerait rien à son mode de vie. « Se donner le luxe du temps, ça apporte une grande qualité de vie. Ça m’a pris du temps avant de le réaliser. J’ai 57 ans, mais dans les dernières années j’ai vraiment ralenti le rythme. J’essaie de vivre comme une horloge sans aiguilles. »

La professeure Natacha Godbout propose des solutions pour passer à travers les journées stressantes. Elle suggère de se garder de petits moments où l’on fait l’effort de penser à d’autres choses.

« Il faut prendre des pauses, faire s’arrêter le monde de tourner, dit-elle. Ce que je suggère à mes patients, par exemple, c’est de prendre de grandes respirations chaque fois qu’ils démarrent leur voiture. Ça changera rien, prendre une ou deux minutes pour respirer, ça ne mettra personne en retard, mais ça va permettre un temps d’arrêt et de contact avec soi-même. »