On célèbre officiellement le Mois de l’histoire des Noirs en février depuis maintenant 25 ans au Canada. Les enjeux des communautés noires ont-ils évolué en un quart de siècle ? Et quelle est la pertinence du Mois de l’histoire des Noirs, aujourd’hui ? Discussion avec quatre personnes d’horizons variés.

Que représente le Mois de l’histoire des Noirs pour vous ?

Nadège Milord (N.M.) : Le Mois de l’histoire des Noirs est une bonne occasion de se rappeler l’histoire des Canadiens noirs, qui fait partie de l’histoire du Canada, mais dont on ne parle pas du tout. Mais c’est aussi une occasion pour moi, en tant que femme qui s’identifie comme Noire, de célébrer la culture et d’être fière d’être Noire.

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James Oscar, 50 ans, chercheur en anthropologie et sociologie à l’Institut national de la recherche scientifique et critique d’art 

James Oscar (J.O.) : J’ai 50 ans. Donc, j’ai vu le début du Mois de l’histoire des Noirs, je me rappelle tout ça. Je ne prends pas ce mois-là trop au sérieux. Je trouve que c’est bien pour les gens qui ne connaissent pas l’histoire des Noirs. C’est un peu « black lives 101 ».

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Balarama Holness, 37 ans, fondateur de Montréal en action, diplômé de l’école de droit de McGill

Balarama Holness (B.H.) : Audre Lorde, une poète, a dit que les personnes noires portent sur leurs épaules la tâche d’éduquer les gens sur leur humanité. Le Mois de l’histoire des Noirs est un moment où les personnes racisées, surtout, ont ce fardeau-là d’apprendre aux personnes blanches et autres l’histoire des Noirs. Mais ce n’est pas juste pour célébrer et éduquer. Pour moi, c’est surtout un moment où on peut faire avancer des enjeux clés et engager la population.

Vous soulevez qu’il y a des lacunes dans la façon dont l’histoire des Noirs est enseignée et connue, au Québec et au Canada.

N.M. : On a tous des âges différents, mais je pense que même si on n’est pas tous allés à l’école au même moment, on a tous eu à peu près les mêmes cours d’histoire et n’avons pas entendu parler de la contribution de la communauté noire.

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Evans Chuba, 15 ans, étudiant, athlète, membre du projet Bout du Monde, visant à favoriser l’accès aux espaces québécois (culturels, politiques, médiatiques, etc.) à de jeunes personnes noires

Evans Chuba (E.C.) : Il y a la réalité qu’on veut nous montrer [à l’école] et il y a la vraie réalité. La vérité sur la façon dont les Noirs ont été maltraités et comment ils ont contribué à la modernisation de la société. Il faudrait nous sensibiliser aux différentes communautés qui ont fondé Montréal. Il y a beaucoup de choses qu’on devrait nous apprendre, mais il y a une dimension qu’on ne nous montre pas.

J.O. : Le cursus scolaire est très important, mais il faut aussi éviter le problème de simplement ajouter un évènement à l’Histoire. Le plus important, c’est de parler de comment fonctionne la production des connaissances, comment fonctionne le pouvoir dans notre société. On devrait agrandir la vision de l’Histoire, enseigner comment fonctionnent les discours et pourquoi on n’a jamais entendu parler de Marie-Josèphe-Angélique [esclave noire accusée sans preuve d’avoir provoqué l’incendie de Montréal et exécutée sur la place publique en 1734], qu’est-ce qui fait qu’on n’a jamais entendu son nom.

Que retenez-vous du mouvement de protestation de la dernière année et du fait qu’elle se soit passée en ligne pour beaucoup de monde ?

N.M. : Dans la dernière année, j’ai eu énormément de conversations, comme je n’en avais jamais eu, sur le racisme. Je trouvais ça un peu épuisant de devoir porter cette charge-là d’expliquer à mes amis ma réalité, mais j’ai aussi trouvé ça encourageant et ça m’a rendu optimiste. Toutefois, ça s’est essoufflé tranquillement, mais sûrement. J’ai l’impression que c’est juste une autre mode sur les réseaux sociaux qui va passer et mourir un peu. Et qui va resurgir quand on aura un autre Noir qui se fera tuer à la télé.

E.C. : Les réseaux sociaux sont un très bon levier pour mettre en lumière des problèmes. Si l’évènement de George Floyd n’était pas devenu viral, il y aurait eu moins d’aide à la cause. Il n’y aura jamais 100 % des gens, ou même 80 % des gens, qui vont s’investir réellement. Mais si 20 % de gens aident et contribuent, c’est déjà ça. […] Au-delà de tout ça, il faut aussi prendre les choses en main. Il faut inciter les gens à créer des entreprises noires, à faire partie du système. Ça va créer une richesse générationnelle. Si on est toujours en mode survie, on ne donne rien aux prochaines générations. Plutôt que d’attendre que la société corrige ses enjeux et ses erreurs, il faut inciter les jeunes à changer la culture qui dit que tu ne peux pas être cultivé parce que tu es Noir. C’est sûr qu’il y a aussi des préjugés qui nous arrêtent, des privilèges qu’on n’a pas, mais on doit continuer à faire l’effort.

L’impact de la COVID-19 sur les communautés noires est un des sujets qui sont abordés dans les activités du Mois de l’histoire des Noirs de Montréal en action.

N.M. : Il faut se rappeler que les personnes racisées, les migrants qui viennent au Canada, sont souvent des travailleurs essentiels, ils sont aux premières lignes de ce combat qu’on est en train de mener contre la COVID-19. Quand on dit qu’on vit les effets de la COVID-19 de façon disproportionnée, c’est pour ça. Montréal-Nord est l’épicentre de la COVID-19 au Canada, ce sont des faits.

B.H. : Et ces personnes-là en première ligne ne sont pas juste dans le système de santé. Elles sont aussi là quand tu vas chercher ta nourriture, quand tu prends l’autobus. Les situations de logement réduisent les chances d’appliquer la distanciation physique. Tous ces facteurs entrent dans l’équation. Le gouvernement provincial a décidé de ne pas faire de collecte de données pour mieux comprendre ces enjeux-là. Alors l’organisme Colors of COVID a créé une application qui va permettre aux personnes racisées de donner leurs données reliées à la COVID-19.

> (Re)lisez le texte d’Isabelle Hachey sur le sujet

Entre ce Mois de l’histoire des Noirs et le précédent, il s’est passé beaucoup de choses. Que souhaitez-vous pour l’année à venir, politiquement, socialement ?

N.M. : À mon échelle personnelle, je voudrais que les gens restent à l’écoute, qu’ils restent réveillés et gardent ce désir de vouloir comprendre et de vouloir changer les choses. Pour que quand on sera rendu le 1er mars, ils n’aient pas oublié l’année qu’on a passée. Parce que pour nous, c’est une réalité 12 mois par année, pas seulement 28 jours. Je souhaite que les gens continuent à avoir de l’empathie.

E.C. : Je veux des changements dans deux systèmes : le système scolaire, qu’on pourrait remodeler pour qu’il soit plus à l’écoute des jeunes et dont on pourrait remodeler le curriculum ; je voudrais aussi un changement dans le système policier. Je pense qu’on doit donner une meilleure formation aux policiers. Il faut qu’ils puissent reconnaître quand ils sont en situation de contrôle, quand la personne face à eux n’est pas une menace, quand ils doivent désamorcer la situation.

B.H. : Il y a de la place pour la compassion, l’écoute et l’apprentissage, mais il reste qu’on a des institutions et des personnes qui sont en train de nous marginaliser et de nous opprimer. Il faut rester vigilants et travailler pour vraiment démocratiser nos espaces. […] Il faut des personnes qui peuvent faire un rapprochement, qui ont cet amour et cette compassion-là, c’est essentiel. Mais il faut aussi des gens pour brasser la cage, comme on dit en bon québécois, pour s’assurer que les choses avancent.

J.O. : Dans les années 1990, on a vécu la même chose. Il y avait une résurgence du mouvement après les émeutes pour Rodney King, comme avec George Floyd. On a eu une montée de trois, quatre ans, mais le système nous a écrasés de nouveau. Je l’ai vu. Donc il faut continuer d’avancer. Il faut aussi avoir des relations plus consolidées dans notre communauté. Il faut continuer de garder un registre. Par exemple, regarder les musées à Montréal et se demander s’ils ont déjà eu quelqu’un en position de pouvoir ou un conservateur qui vient des minorités visibles en 160 ans. Il faut continuer à avoir une carapace [thick skin] et à ignorer les gens qui construisent un narratif d’homme noir violent. On doit aussi reconnaître qui sont vraiment nos alliés. Et la dernière chose, c’est de prendre en main notre patrimoine. On y a le droit et il le faut.

La conversation a été éditée par souci de concision.