Les amateurs de Scrabble manquent de mots pour dire leur déception. L’application sur laquelle ils jouent au célèbre jeu de lettres depuis des années va disparaître le 5 juin, pour être remplacée par une nouvelle version hautement décriée. Certains appellent même la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, à intervenir.

Créée en 2008 par Electronic Arts (EA), l’application Scrabble permet aux amateurs d’affronter l’ordinateur et, surtout, d’organiser des parties virtuelles entre amis sur une plateforme de jeu en tous points identique à la planche du jeu originale. Peu importe la langue choisie, les lettres sont les mêmes, leur valeur est identique et les mots valides sont dictés par le dictionnaire officiel du Scrabble… Ce jeu sobre et efficace avait rallié des dizaines de millions d’utilisateurs depuis sa mise en ligne.

Or, voilà que les propriétaires de la franchise, Hasbro et Mattel, ont décidé de s’allier à un autre géant du divertissement numérique, Scopely, pour offrir « une nouvelle version mise à jour ». Cette version ne plaît pas à tous, tant s’en faut.

« On dirait que la nouvelle version est faite pour des gens qui ont 4 ans d’âge mental, s’exclame Josée Hétu. J’ai des petits-enfants et ça ressemble aux jeux auxquels ils jouent ! L’application est truffée de pop-up sans lien et d’icônes enfantines et insignifiantes. En plus, ce n’est pas du tout convivial. L’ancien jeu l’était beaucoup plus et j’ai quand même payé 11 $ pour ce jeu-là, pour pouvoir me débarrasser des publicités. » Si la possibilité était offerte, la résidante de Sainte-Rose, à Laval, se dirait même prête à payer un abonnement annuel pour garder le jeu tel quel.

CAPTURE D’ÉCRAN DE L’APPLICATION

Interface de l’application Scrabble qui va disparaître le 5 juin

CAPTURE D’ÉCRAN DE L’APPLICATION

Interface de l’application Scrabble GO

« Ce Scrabble GO nous empoisonne la vie, estime Monique Kingsbury-Lajeunesse. Il faut gagner des prix, des diamants. Il y a trop de publicités. Et la musique… C’est vraiment désagréable ! » À 83 ans, cette résidante de Lorraine joue au Scrabble depuis des années sur sa tablette électronique.

Je joue contre mes amies, qui ont entre 75 et 86 ans. Le gouvernement parle de l’importance de rester stimulé et là, on avait quelque chose pour nous stimuler. Ce Scrabble était un de nos meilleurs désennuis.

Monique Kingsbury-Lajeunesse

Muriel Corbeil, aussi de Sainte-Rose, abonde dans le même sens. « Je joue tous les jours au Scrabble sur ma tablette depuis au moins quatre ans. Scrabble GO, je l’ai essayé deux ou trois fois ; chaque fois, j’ai perdu patience et j’ai supprimé l’application ! Le jeu est franchement très compliqué pour une femme de 77 ans, comme moi, qui n’est pas très techno. On nous bombarde de publicités, de jeux, de plein de choses dont on n’a pas besoin. »

Diane Bureau, de Longueuil, a remué ciel et terre pour garder l’application originale, qu’elle utilise deux heures par jour, « même en voyage ». Elle a écrit à Marguerite Blais, la ministre des Aînés et des Proches aidants, pour lui demander de l’aide. Elle a aussi écrit au réseau de la FADOQ et à Hasbro. Elle a reçu deux accusés de réception et un message automatisé pour toutes réponses.

« Je sais qu’un jeu, ce n’est pas grand-chose, mais en période de confinement, c’est très important. Je joue avec des gens qui sont en rémission de cancer, des gens qui vivent dans des résidences. C’est pertinent en ce moment. »

J’espérais que le gouvernement provincial pourrait faire une petite demande à ceux qui détiennent l’application Scrabble. Une lettre du gouvernement aurait plus de poids que si c’est juste moi qui fais la demande.

Diane Bureau

Un mouvement mondial

Le mouvement de contestation n’est pas que québécois. Partout dans le monde, des critiques fusent, et ce, peu importe la langue utilisée pour jouer. Une pétition en ligne (en anglais) a d’ailleurs été déposée sur le site Change.org pour que l’ancienne application reste valide. Plus de 3770 signatures avaient été récoltées la semaine dernière.

Plusieurs personnes se demandent pourquoi elles ne peuvent simplement pas conserver l’usage d’une application pour laquelle elles ont payé. La Presse a tenté d’obtenir des réactions du géant Hasbro, mais sans succès. 

Une partie de la réponse est probablement du côté des sommes importantes que Hasbro et Mattel pourront empocher avec cette nouvelle version. À l’origine, il suffisait de payer une fois (autour de 6 $ pour un téléphone intelligent et de 12 $ pour une tablette électronique) pour avoir droit à la version HD ou Premium, sans publicité. Avec Scrabble GO, il faudra débourser 6,50 $ par mois pour adhérer au Club Scrabble et mettre fin aux publicités qui polluent l’expérience de plusieurs.

« Ce n’est pas du tout la même chose. Et tout le monde ne pourra pas se payer ça », déplore Monique Kingsbury-Lajeunesse. 

Il est aussi possible de payer pour obtenir des pièces et des diamants, qui permettront à leur tour de jouer à d’autres jeux de lettres ou d’avoir de l’aide pour trouver le meilleur mot possible. 

À la fin du mois d’avril, l’agence Reuters a rapporté que depuis son lancement, le 5 mars, Scrabble GO avait été téléchargé plus de 10 millions de fois et avait engrangé jusque-là la rondelette somme de 1,2 million de dollars US en achats intégrés de la part des usagers.