(Paris) « Je n’ai jamais aussi bien dormi : le club échangiste du rez-de-chaussée qui me pourrit la vie avec sa musique est fermé ! ». Assignés à résidence, de nombreux citadins des villes confinées retrouvent les joies d’une vie au ralenti.

Partout, les métropoles mondiales ferment bars, restaurants, écoles, universités, stades, musées. Italie, Espagne, France, Belgique ont décrété un confinement total qui oblige chacun, même les plus agités, à se recentrer sur la sphère privée ou sa richesse intérieure.

S’ouvre alors - pour ceux épargnés par la maladie ou l’angoisse qu’elle ne touche un proche - un champ inespéré de possibles : dormir, rêver, trainer, lire, aimer...

La lecture est évidemment le loisir privilégié, qu’on se promette d’attaquer Proust, ou Ulysse, le monument de James Joyce, avec les films et les séries. Mais le temps libre redessine aussi l’interaction sociale et familiale.

À Madrid, Monica appelle sa mère tous les jours, une habitude qu’elle « avait perdue ». À la frontière suisse, Emira couve sa nouvelle histoire d’amour avec un écrivain. À Gavardo, en Lombardie, Alessandra et sa famille réapprennent à « vivre ensemble » et à jouer aux cartes. À Bruxelles, Anna profite avec bonheur d’un congé de maternité prolongé.

Guillemette n’apprécie pas seulement le silence retrouvé, avec la fermeture de la boite sous son appartement parisien. Elle s’est lancée avec sa fille de 10 ans dans le jardinage : menthe, marjolaine et romarin ont été semés sur le rebord des fenêtres grâce aux graines offertes par la fleuriste voisine.

Gym et jeux

« Par précaution, j’avais fait le plein de jeux de société... C’est l’avantage des pessimistes : on a toujours un coup d’avance ! et je me surprends à aimer cette “slow life” ».

Lorenzo, qui court d’habitude le monde de Kaboul à Dacca pour y développer des stratégies anticorruption, relève ses manches et teste de nouvelles recettes : « Hier, risotto aux asperges — c’est la saison — et poulet safran-thé vert. C’est super : on trouve tout dans les magasins et on a le temps ! ».

Pour surveiller sa ligne dans son deux pièces, il a téléchargé un guide du sport en cellule de prison. « Je me serais bien enfermé avec une moitié, mais bon : seul, c’est bien aussi ! » ajoute ce célibataire récidivant, qui va enfin pouvoir dévorer un énorme pavé, The Nature of Paleolithic Art.

Pour Elmira et Matt, cette mise aux arrêts domiciliaires agit comme un précipité érotique : le couple australo-irlandais, qui réside de part et d’autre de la frontière franco-suisse et travaille à Genève, s’est rencontré récemment : « On a choisi de s’enfermer ensemble chez moi (côté français au bord du lac Léman) et d’apprendre à mieux se connaître » dit-elle. « On cuisine, on lit, on rit et on passe beaucoup de temps au lit ! ».

Pour Yann, visionner l’intégrale des films avec Ginger Rodgers avec sa copine « permet de s’abstraire de la situation anxiogène et de plonger dans un autre univers ». Ce fonctionnaire européen à Bruxelles redécouvre aussi les plaisirs du bricolage : réparer son vélo ou des objets dans la maison, « ça permet de sentir qu’on a un contrôle sur son environnement immédiat, à défaut de contrôler le virus ».

Triathlon en chambre

« Dans cette situation, vous réalisez la capacité d’adaptation de l’être humain, sa résilience » : Monica s’entrainait quotidiennement trois à quatre heures pour participer à un Ironman, triathlon long format. « Enfermée dans 60 m2 », elle refuse de lâcher et continue en utilisant tous les objets de la maison pour se renforcer, même les cruches d’eau, court et roule à vélo dans son salon, sur place grâce à un système de rouleaux.

« Je pensais devenir folle, sans voir personne. Mais on réalise combien de gens nous aiment et s’inquiètent, et avec les amis, on organise des apéros vidéo via WhatsApp ».

Carolina, également madrilène, avoue qu’elle a fait plus de masques de beauté en quatre jours que dans toute sa vie. Surtout, « en discutant avec ma fille de 8 ans, je découvre plein de choses que je n’avais jamais remarquées en courant tout le temps. Et pour le couple, ce n’est pas mal non plus de reconnecter ».

Emmanuela, jeune retraitée romaine, constate que beaucoup en profite pour faire du vide chez eux. « On prend juste le temps de réfléchir, de regarder autour de soi ».

Enfermé avec ses parents, son fils Leo, 25 ans, trouve surtout les soirées longues. « L’autre soir, il m’a dit, je vais finir par tenter ma chance avec toi, maman... je commence à te trouver belle ! Heureusement, il a de l’humour ».