Les adolescents du Québec sont privés d’école depuis deux mois et demi. Pour meubler leur ennui, pourquoi ne pas les initier au bénévolat ? Notre journaliste Marie Allard a tenté l’expérience avec son fils Adrien, 12 ans.

Le Québec compte plus de 400 000 élèves du secondaire, dont plusieurs trouvent le temps long depuis la fermeture des écoles.

Le jeudi 21 mai, Adrien, 12 ans, s’est pourtant levé de bon matin. De sa propre initiative, il a enfilé une chemise – alors qu’il ne porte que de vieux t-shirts depuis deux mois.

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Les locaux ont été décorés la veille. « Beaucoup d’organismes font des activités de cabane à sucre d’habitude, mais cette année, plusieurs ont annulé, fait valoir Vincent Morel. On s’est dit qu’on ferait une cabane à sucre ici. »

Bénévole au PAS de la rue, un organisme qui accueille les personnes sans domicile fixe ou en grande précarité âgées de 55 ans et plus, la journée de l’adolescent allait sortir de l’ordinaire. Enfin. Tandis que résonnait en boucle dans des haut-parleurs Le frigidaire, chantée par Tex Lecor, Adrien a servi des repas de cabane à sucre aux usagers du centre de jour du PAS, sur le boulevard René-Lévesque à Montréal. Avec sa mère (l’autrice de ses lignes), puisque les jeunes bénévoles doivent être accompagnés.

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Notre journaliste Marie Allard et son fils Adrien Valiente-Allard, 12 ans, ont servi de la tarte au sucre accompagnée de crème glacée lors d’un repas spécial de cabane à sucre, organisé au PAS de la rue.

Service essentiel, le PAS de la rue n’a pas fermé pour cause de pandémie de COVID-19. Au contraire, « on a eu beaucoup de nouveaux », dit Vincent Morel, directeur général de l’organisme. Des gens qui se retrouvaient avec peu à faire, dans un centre-ville quasi désert. Tout a été adapté pour les recevoir en limitant la propagation du virus. Des parois transparentes ont été installées à l’accueil et au comptoir de la cuisine; les petites tables bistro ont été remplacées par des grandes; et tout – poignées de portes, chaises, tables, téléphones, etc. – est désinfecté chaque heure.

Serveurs masqués

Servir soupe aux pois, fèves au lard, œufs, jambon et marinades avec un couvre-visage et des gants de plastique rend l’expérience particulière, même si la chaleur humaine (et la chaleur tout court !) était de la partie. Les employés du PAS de la rue ont mis la main à la pâte – le directeur adjoint, Luis-Carlos Cuasquer, était en cuisine, tandis que les intervenants s’étaient transformés en serveurs – et ils ont vite intégré Adrien dans l’aventure.

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On prépare les couverts qui seront utilisés le lendemain, avec le coordonnateur Mathieu Morin.

En parlant fort pour être compris à distance, des hommes venus manger ont raconté comment ils occupaient leurs étés, à 12 ou 13 ans. L’un passait ses journées à ramasser des clams avec ses amis sur la plage de Carleton-sur-Mer, en Gaspésie. L’autre allait à vélo travailler chez un maraîcher, à Beauport. On repense à Tex Lecor : « Moi qui avais des belles îles, des buttes et des sillons; Me v’là perdu en ville, tout seul dans des millions; J’vis sur les autobus, au Pizza King du coin; Les gens me parlent pas plus que si j’étais un chien. »

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Depuis 2011, le PAS de la rue occupe de beaux locaux lumineux, boulevard René-Lévesque Est à Montréal.

Première expérience

C’est la veille qu’Adrien a découvert le PAS de la rue. Sa mission, le mercredi 20 mai : préparer et décorer les locaux avec les employés, dont le coordonnateur Mathieu Morin. Première surprise : Adrien a été étonné par la beauté des lieux, dont l’entrée est égayée par des tulipes multicolores. Une de ses craintes non nommées, celle de se retrouver dans un endroit glauque, venait de s’envoler. À 12 ans, il n’avait pas encore eu de vraie expérience de bénévolat…

Il n’est pas le seul. L’un des défis du milieu « a trait au recrutement et à la rétention des bénévoles », selon la Stratégie gouvernementale en action bénévole 2016-2022, du gouvernement du Québec. La Presse n’a pas trouvé de statistiques sur l’implication des jeunes ados de 12 à 14 ans. Par contre, 66 % des Canadiens de 15 à 19 ans ont fait du bénévolat en 2013, d’après Statistique Canada. Un taux élevé, qui s’explique en partie par le bénévolat « obligatoire » exigé par les écoles ou comme travaux communautaires.

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Faire quelque chose de positif ensemble, c’est aussi une belle façon d’améliorer une relation parent-enfant.

Remplacer les adultes qui retournent travailler

Tout a changé depuis mars. Le milieu scolaire n’envoie plus de stagiaires, tandis que les bénévoles de 70 ans et plus restent à la maison. Des adultes au chômage les ont remplacés, « mais avec le retour au travail partout au Québec, c’est sûr qu’on va compter sur les étudiants pour pallier » les besoins, dit Marilyne Fournier, directrice générale du Réseau de l’action bénévole du Québec.

Au PAS de la rue, les adolescents sont normalement présents par l’entremise d’activités intergénérationnelles.

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« En temps habituel, on accueille de 60 à 70 personnes dans notre centre de jour, indique Vincent Morel. Là, on limite à 22, 23 personnes. » Un local voisin est utilisé pour répondre à la demande, tout en espaçant les usagers.

Nos usagers aiment rencontrer des jeunes. Des fois, ils vont simplement jouer au ping-pong ensemble, d’autres fois, il y a des activités d’art ou de discussion.

Vincent Morel, directeur général du PAS de la rue

Organisés en collaboration avec l’organisme de loisirs Les chemins du soleil, ces échanges sont actuellement suspendus. Mais le PAS de la rue est ouvert à recevoir d’autres tandems parent-adolescent, prêts à s’engager pour plus d’une journée de bénévolat.

Possibilités de réussite

« Une implication bénévole peut être une occasion de connaissance et de dépassement de soi, en donnant au jeune des possibilités de réussite, de développement, de réalisation et de reconnaissance, lit-on dans Cap sur les jeunes bénévoles, un guide publié par le Réseau de l’action bénévole du Québec en 2011. Le jeune pourra également développer des liens avec un adulte significatif qui n’est ni un parent, ni un professeur, ni un employeur. »

C’est un âge où on peut découvrir l’implication sociale. Si on commence à faire du bénévolat, ça peut rester longtemps après.

Vincent Morel, directeur général du PAS de la rue

Ça va bien aller… le ventre plein

Pour Adrien, l’expérience – positive et valorisante, quoique courte – s’est conclue en s’attablant devant une généreuse assiette. « C’est meilleur qu’à la cabane à sucre », a-t-il assuré, ravi de manger après trois services.

Espérer que « ça va bien aller », c’est plus facile quand on a quelque chose à faire et le ventre plein. Qu’on soit un adolescent privilégié de 12 ans ou un homme en situation précaire de 62 ans. Comme le chantait Tex Lecor : « Tant qu’il m’restera quequ’chose dans l’frigidaire; J’prendrai l’métro, j’fermerai ma gueule pis j’laisserai faire; Mais y a quequ’chose qui m’dit qu’un beau matin; Ma Rosalie, on mettra du beurre su’ not’ pain. »

Bénévolat à la popote roulante du Patro Le Prévost
  • Le coronavirus donne faim – sans même avoir besoin de l’attraper. À la popote roulante du Patro Le Prevost à Montréal, « on prépare actuellement 2000 repas par semaine », dit Daniel Côté, directeur du développement de ce centre communautaire de Villeray. Avant la pandémie, le Patro en préparait… cinq fois moins. Jeudi 28 mai, Adrien, 12 ans, a fait sa deuxième expérience de bénévolat à la popote roulante – avec sa mère, l’autrice de ces lignes.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Le coronavirus donne faim – sans même avoir besoin de l’attraper. À la popote roulante du Patro Le Prevost à Montréal, « on prépare actuellement 2000 repas par semaine », dit Daniel Côté, directeur du développement de ce centre communautaire de Villeray. Avant la pandémie, le Patro en préparait… cinq fois moins. Jeudi 28 mai, Adrien, 12 ans, a fait sa deuxième expérience de bénévolat à la popote roulante – avec sa mère, l’autrice de ces lignes.

  • Être bénévole (et journaliste) donne des privilèges, comme celui de visiter les cuisines de la popote roulante. La taille de la conserve de saumon – de 1,81 kg ! – utilisée par le cuisinier Aissa Yacine a impressionné Adrien. « On est passés de trois à sept employés en cuisine, avec une équipe de jour et une de soir, pour des raisons de distanciation et de production », indique Daniel Côté.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Être bénévole (et journaliste) donne des privilèges, comme celui de visiter les cuisines de la popote roulante. La taille de la conserve de saumon – de 1,81 kg ! – utilisée par le cuisinier Aissa Yacine a impressionné Adrien. « On est passés de trois à sept employés en cuisine, avec une équipe de jour et une de soir, pour des raisons de distanciation et de production », indique Daniel Côté.

  • Tous congelés en raison du coronavirus, les plats sont livrés soit à des organismes qui les redistribuent, soit aux portes. En temps normal, le tarif est de 5,50 $ le repas chaud et de 2,75 $ le repas congelé. C’est gratuit depuis le début de la pandémie. « On a les clients de la popote régulière et on a augmenté notre bassin avec des gens orientés chez nous par le CLSC », explique Daniel Côté.

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    Tous congelés en raison du coronavirus, les plats sont livrés soit à des organismes qui les redistribuent, soit aux portes. En temps normal, le tarif est de 5,50 $ le repas chaud et de 2,75 $ le repas congelé. C’est gratuit depuis le début de la pandémie. « On a les clients de la popote régulière et on a augmenté notre bassin avec des gens orientés chez nous par le CLSC », explique Daniel Côté.

  • C’est le départ des livraisons ! On charge le coffre de la voiture de Ghislaine Jobin, bénévole depuis quatre ans. Tous les bénévoles âgés de 70 ans et plus ont dû cesser les livraisons, puisqu’ils sont davantage à risque de mourir des complications de la COVID-19. « Là, on a des bénévoles beaucoup plus jeunes, des professeurs, des comédiens, des gens de Tennis Canada, énumère Daniel Côté. C’est vraiment très diversifié. »

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    C’est le départ des livraisons ! On charge le coffre de la voiture de Ghislaine Jobin, bénévole depuis quatre ans. Tous les bénévoles âgés de 70 ans et plus ont dû cesser les livraisons, puisqu’ils sont davantage à risque de mourir des complications de la COVID-19. « Là, on a des bénévoles beaucoup plus jeunes, des professeurs, des comédiens, des gens de Tennis Canada, énumère Daniel Côté. C’est vraiment très diversifié. »

  • Arrivés dans le stationnement du centre d’hébergement La Traversée, boulevard Crémazie Est, on place les repas dans un chariot de supermarché. D’autres livraisons sont réservées à des intervenants de Tandem Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension. « Ils sont plus habiles que nous pour percevoir les signes qui montrent que les gens sont en détresse », fait valoir Daniel Côté.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Arrivés dans le stationnement du centre d’hébergement La Traversée, boulevard Crémazie Est, on place les repas dans un chariot de supermarché. D’autres livraisons sont réservées à des intervenants de Tandem Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension. « Ils sont plus habiles que nous pour percevoir les signes qui montrent que les gens sont en détresse », fait valoir Daniel Côté.

  • Ghislaine Jobin laisse les repas dans l’entrée du centre La Traversée, où une employée les distribue. Avant la pandémie, la bénévole donnait les plats en mains propres à chacun. « C’était mon bonbon de la semaine, dit Ghislaine Jobin. Ça me manque beaucoup. » Dans un autre immeuble visité, Michèle, une bénéficiaire de la popote roulante, est sortie accueillir Ghislaine Jobin. « C’est un ange sur pattes ! s’est-elle exclamée. J’espère que la popote roulante va continuer, c’est un service essentiel. »

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Ghislaine Jobin laisse les repas dans l’entrée du centre La Traversée, où une employée les distribue. Avant la pandémie, la bénévole donnait les plats en mains propres à chacun. « C’était mon bonbon de la semaine, dit Ghislaine Jobin. Ça me manque beaucoup. » Dans un autre immeuble visité, Michèle, une bénéficiaire de la popote roulante, est sortie accueillir Ghislaine Jobin. « C’est un ange sur pattes ! s’est-elle exclamée. J’espère que la popote roulante va continuer, c’est un service essentiel. »

  • De retour au Patro, il faut préparer la suite. Après un bon lavage de mains, on trie les plats – cigares au chou, raviolis au porc, couscous aux légumes, tofu général Tao, etc. « Produire 8000 repas par mois nous coûte 19 000 $ de plus que d’habitude », calcule Daniel Côté. Le Patro a reçu des subventions de Centraide, des dons privés et plus de denrées de Moisson Montréal. Tennis Canada a prêté un camion et Communauto a mis une de ses voitures électriques à la disposition de la popote roulante.

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    De retour au Patro, il faut préparer la suite. Après un bon lavage de mains, on trie les plats – cigares au chou, raviolis au porc, couscous aux légumes, tofu général Tao, etc. « Produire 8000 repas par mois nous coûte 19 000 $ de plus que d’habitude », calcule Daniel Côté. Le Patro a reçu des subventions de Centraide, des dons privés et plus de denrées de Moisson Montréal. Tennis Canada a prêté un camion et Communauto a mis une de ses voitures électriques à la disposition de la popote roulante.

  • Avec Dianne Bleau, animatrice communautaire, on prépare des sacs contenant 10 portions. « Mettez-en deux de chaque recette, pour que les couples mangent la même chose », conseille-t-elle. On place ensuite les sacs dans un grand congélateur, en attendant les prochaines livraisons. « C’est très bien organisé, constate Adrien. C’est bien de redoubler d’efforts, parce qu’il y a plus de gens qui en ont besoin. »

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    Avec Dianne Bleau, animatrice communautaire, on prépare des sacs contenant 10 portions. « Mettez-en deux de chaque recette, pour que les couples mangent la même chose », conseille-t-elle. On place ensuite les sacs dans un grand congélateur, en attendant les prochaines livraisons. « C’est très bien organisé, constate Adrien. C’est bien de redoubler d’efforts, parce qu’il y a plus de gens qui en ont besoin. »

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