En début de semaine, dans ma rue, avaient lieu les célébrations du Lag Ba’omer. Une grande fête hassidique, avec chants yiddish à l’honneur, musique tonitruante diffusée dans des haut-parleurs et jeux de lumière idoine. Le party était pris dans la place.

L’ambiance de discothèque de fête foraine ambulante tranchait avec celle du cérémonial biquotidien des chants liturgiques de la communauté hassidique. Tous les matins et tous les soirs, de mon bureau de fortune qui donne sur la ruelle, j’entends chanter mes voisins hassidim du Mile End.

Je trouve ça beau. Je sais, je sais, pour certains, qui ont des voisins immédiats qui prient et qui chantent quotidiennement, ça peut devenir un irritant. D’autant plus pour ceux – on les appellera les boomers anti-Lag Ba’omer – qui sont allergiques à la religion. Pour certains, c’est les arachides; pour d’autres, c’est les Rachid. Ou dans ce cas-ci, Rachamim (qui veut dire « compassion » en hébreu).

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

« Tous les matins et tous les soirs, de mon bureau de fortune qui donne sur la ruelle, j’entends chanter mes voisins hassidim du Mile End », écrit notre chroniqueur Marc Cassivi.

La monomanie religieuse des polytraumatisés de la Grande Noirceur n’est jamais bien loin et fait peu de cas des circonstances. Mardi soir, alors que Pop Montréal et Martha Wainwright avaient eu l’excellente idée d’inviter des chanteurs hassidiques dans le cadre de l’évènement hebdomadaire Chanter sur les balcons de Montréal, la bande défilante du compte Facebook de l’organisme a été polluée d’inévitables commentaires aux relents antisémites.

J’ai eu envie d’écrire « EN FRANÇAIS, SVP ! », juste pour insister sur l’absurdité de reprocher à des hassidim de chanter en yiddish, mais je me suis retenu. L’ironie est une victime collatérale de la pandémie.

Oui, avant que vous ne fassiez la remarque, j’ai vu la série Unorthodox sur Netflix. Non, je ne l’ai pas trouvée « extraordinaire » (plutôt convenue et caricaturale). Est-ce parce que j’ai vu quantité de films bien supérieurs, documentaires et de fiction, sur les juifs hassidiques d’ici et d’ailleurs ?

Les hassidim sont mes voisins depuis plus de 25 ans. Ils m’intriguent. Ils m’invitent parfois à l’improviste, pour éteindre une lumière ou un appareil électrique dans leur appartement, à la veille du sabbat. La dernière fois, l’automne dernier, j’ai eu droit à une assiette de pâtisseries pour ma peine, de la part d’une famille vivant à l’évidence très modestement.

Comme plusieurs autres voisins, j’ai reçu récemment une livraison à domicile de pâtisseries juives pour nous remercier de notre indulgence envers ces chants et prières quotidiennes en plein air. Ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre, ni des chants ni des pâtisseries. Ces jours-ci, ma rue ressemble à une scène de film et j’ai l’impression (bienvenue) de voyager à l’étranger.

Aussi, avant que vous ne m’en fassiez le reproche, je n’excuse pas le sexisme inhérent à toute religion monothéiste ni les dérives de l’orthodoxie religieuse, quelle qu’elle soit. Je suis en faveur de l’éducation laïque pour tous, sans exception. Mais j’ai beau être athée, je crois à la liberté de religion. Ainsi qu’au droit de porter le hidjab, le dastar, la perruque, le schtreimel ou la kippa. Alerte au cliché : ça ne fait pas pour autant de moi une Licorne qui régurgite des arcs-en-ciel « Ça va bien aller ».

Bref, en début de semaine, le coin de ma rue s’est transformé en boîte de nuit (ou plutôt de soirée). Un contexte à la fois étonnant, exotique, joyeux et festif. Il était environ 21 h 30 lorsque la musique s’est tue et que j’ai entendu la sirène d’une voiture de patrouille et un policier du SPVM appeler, à l’aide d’un porte-voix, mes voisins à respecter les mesures de confinement et de santé publique. J’ai su le lendemain que des constats pour bruit excessif avaient été imposés, mais aucun pour non-respect des règles de distanciation physique ou pour rassemblement illégal.

Depuis deux mois à voir tous les jours mes voisins hassidiques prier dans la rue ou sur leur balcon, beau temps, mauvais temps – ils ne peuvent plus fréquenter la synagogue –, je peux témoigner de visu qu’ils respectent autant que les non hassidiques les règles de distanciation imposées par la Santé publique. C’est-à-dire pas toujours (comme bien de jeunes gens qui pique-niquent dans les parcs), mais la plupart du temps. Quoi qu’en disent les commentateurs qui n’habitent pas le quartier et parlent à tort et à travers en exposant tous leurs préjugés…

Les voisins qui me dérangent le plus ne portent pas de vêtements d’un autre siècle, de longues barbes et des cheveux boudinés. Je les entends eux aussi dans la ruelle, certains soirs. Ils font souvent la fête. Le niveau de décibels de leur musique ne rivalise pas avec des chants yiddish, mais avec des cris et des rires en français (s’il vous plaît). Je trouverais leurs fêtes impromptues sympathiques, si ce n’était du fait qu’elles ont souvent lieu après minuit.

Il y a deux semaines, la fête battait son plein, encore une fois, à 2 h du matin. Impossible de dormir. J’ai essayé de me retenir. Vers 1 h 30, j’ai tenté de me raisonner. Je ne voulais pas ressembler à cet homme de Drummondville qui a dénoncé des octogénaires en couple depuis 15 ans, mais qui n’habitaient pas ensemble, parce qu’ils ont osé se retrouver à la même table (ils ont chacun reçu une amende de 1546 $).

En cette ère de délation, les appels les plus farfelus au 911 (répertoriés à l’émission de Paul Arcand par la chroniqueuse du 98,5 FM Marie-Lau Delainey) me font autant rire que soupirer. Une plainte à la police parce qu’un voisin s’est fait livrer deux pizzas extra larges ou est rentré chez lui avec une douzaine de beignes et « qu’il doit y avoir du monde chez lui ».

Mais à 2 h du matin, ma patience éprouvée par les cris stridents et la musique insupportable des voisins, j’ai cédé. J’ai fait ce que je n’avais jamais fait de ma vie : j’ai appelé la police.

« Bonsoir, je suis désolé de vous déranger avec ça, peut-être que ce n’est pas à vous que je devrais parler, mais il y a un party chez mes voisins de ruelle. J’entends des cris et la musique est vraiment forte…

– Ils sont combien ?

– Euh… Je ne pourrais pas vous dire, mais ils sont sûrement nombreux.

– Une dizaine ? Une vingtaine ?

– Je ne sais pas, franchement. Je vous appelle surtout pour le bruit. Il est tard. J’ai besoin de dormir.

– On va envoyer quelqu’un. »

Je n’ai pas entendu de sirène ni de porte-voix. Le niveau sonore des rires enivrés et de la terrible musique n’a pas baissé d’un cran avant au moins 3 h du matin. Dans la nuit de jeudi à vendredi, alors qu’une nouvelle fête se profilait à minuit et demi, je me suis dit qu’on ne m’y reprendrait plus. La prochaine fois que des cris et de la musique m’empêcheront de dormir à 2 h du matin, si je dis à la police que c’est peut-être un party de juifs hassidiques, est-ce que ça se réglera plus vite ?