Zoé, présentée ces jours-ci au Théâtre Denise-Pelletier, se veut une conversation (un duel ?) entre un professeur de philosophie (as du questionnement) et son unique élève (emplie de certitudes). Le contexte est mi-fictif, mi-réel : une grève étudiante, générale et illimitée. Ça vous rappelle quelque chose ? Discussion avec quatre jeunes spectateurs, rencontrés cette semaine.

Mardi après-midi. 13 h 30. On nous avait prévenus : tu vas voir, les sorties scolaires, ça chahute, il y a de l’ambiance, c’est quelque chose. On s’attendait donc à tout, sauf à ça : est-ce parce qu’il s’agissait d’un lendemain de tempête, parce que certains dormaient, ou alors parce que le sujet franchement les captivait (ou tout cela à la fois), toujours est-il qu’à cette représentation-là, on aurait pu entendre une mouche voler. Silence total, pendant l’heure et demie du spectacle. Sans entracte, faut-il le préciser.

Peut-être, tout simplement, que le jeune public réfléchissait. Méditait. Il faut dire que la pièce soulève beaucoup de questions, certaines concrètes, mais surtout existentielles, sur l’éducation, la démocratie, bref, la vie en société : Pourquoi est-il important d’avoir un plan de cours ? Est-ce que la majorité a toujours raison ? Est-ce acceptable de faire des choix sans tenir compte des autres ? Est-ce qu’on est vraiment plus libre quand on est seul ? C’est quoi, finalement, la liberté ? Des questions qui interpellent, quand on a 15, 16 ou 17 ans, on s’en souvient trop bien.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Olivier Choinière, auteur et metteur en scène

Inspiré du printemps érable, l’auteur et metteur en scène Olivier Choinière a voulu exploiter ce contexte de l’injonction à la fois « absurde et extraordinaire » obligeant un enseignant, de philosophie de surcroît, à donner un cours à une seule et unique élève. « C’est d’autant plus particulier que la philosophie est là, à mon sens, pour remettre en question l’ordre établi et développer l’esprit critique », nous a-t-il expliqué dernièrement, en entrevue. Théâtralement, la « contradiction est féconde », disait-il.

Paradoxalement, les jeunes qui assistent ces jours-ci à son spectacle n’ont pour la plupart que de vagues souvenirs des manifestations de 2012. « C’est vraiment loin ! », répondent à l’unisson les quatre élèves de quatrième et cinquième secondaire de l’école Louise-Trichet, rencontrés pour les besoins de ce texte. Pour cause, ils n’avaient à l’époque que 7 ou 8 ans. Le son des casseroles est bien loin.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les quatre jeunes de quatrième et de cinquième secondaire de l’école Louise-Trichet rencontrés par notre journaliste : Kelly Bissonnette, Marguerite Demontigny, Henri Fornés et Sydney Lefebvre.

N’empêche, les grèves sont encore d’actualité. Quoique pour d’autres sujets. « On le voit en ce moment, avec les grèves pour l’environnement », confirme Sydney Lefebvre. Car aujourd’hui comme hier, il y a toujours des « Zoé » qui contestent l’intérêt de manifester. Intérêts individuels et intérêts collectifs sont loin d’être réconciliés.

Zoé est parmi nous

Nos spectateurs en connaissent tous une. « C’est une première de classe », ajoute Kelly Bissonnette. Le genre d’élève « qui ferait tout pour avoir des bonnes notes ».

Pour l’auteur de la pièce, le personnage incarne surtout une « porte d’entrée pour attaquer le néolibéralisme, une société qui fonde tout sur l’individu, et les libertés individuelles ». Et cela, nos jeunes spectateurs l’ont parfaitement saisi.

« Je veux juste avoir mon cours, répète Zoé dans la pièce. Je suis ici pour étudier, pas me remettre en question. » 

Or, se remettre en question, n’est-ce pas là l’essence de la philosophie ? « Le professeur de philosophie pose des questions qu’on n’ose pas nécessairement se poser, des questions un peu dérangeantes », note Marguerite Demontigny. 

Un exemple éloquent : imaginez un train qui file à toute vitesse, propose (en résumé) l’enseignant dans la pièce. Dans une voie : cinq personnes sont attachées sur les rails. Dans une autre : une seule. Qui sauvez-vous ? Et si vous connaissez la personne ? Et si la personne attachée, c’est vous ? « Ça pousse vraiment à la réflexion… »

D’ailleurs, nos quatre jeunes sont d’avis que la philosophie mériterait d’être enseignée au secondaire, question de développer leur pensée critique. 

Notre enseignement est peu centré sur le questionnement. On fait surtout du par cœur. On est dans la conformité. La philosophie, ça permettrait d’équilibrer.

Henri Fornés, élève de l’école secondaire Louise-Trichet

Un commentaire qui devrait plaire à l’auteur, qui a justement voulu faire ici l’éloge d’une matière négligée, dont on aurait bien tort de se priver, tout particulièrement en cette ère de guerres d’opinions toujours plus « polarisées ». Car la philosophie offre des « clés » en matière de réflexion et de « conversation sociale », dit-il. « Le but de la philo, c’est de creuser les questions, dépasser la surface des choses… »

Et en parlant d’aller au-delà de la surface des choses, les jeunes confirment s’être ici sentis interpellés par un discours qui détonne, que ce soit sur le rôle de l’éducation, la cote de rendement (la fameuse cote R) ou la performance à outrance. 

« Qui a dit que ce devait être une course et qu’il fallait arriver avant les autres ? », s’interroge à ce titre le philosophe. La question mérite réflexion. Et la réponse des jeunes est plutôt inspirante, avouons-le. 

« Notre société est tellement axée sur la compétition que même en éducation on cherche toujours à avoir la meilleure note », avance Henri Fornés. « C’est sûr que j’aime avoir de bonnes notes, mais j’aide aussi les autres à en avoir », ajoute Marguerite Demontigny. Pour Kelly Bissonnette : « Tu ne te sentiras jamais aussi bien que si tu aides les autres à s’améliorer. » Quant à Sydney Lefebvre, elle conclut : « On dit souvent que la nature humaine est égoïste, ce n’est tellement pas vrai. L’humain, sans son troupeau, ne vaut rien. » Ou, pour citer une dernière fois la pièce : « On est qui sans les autres ? »

Zoé, une création d’Olivier Choinière, avec Marc Béland et Zoé Tremblay-Bianco, est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 29 février.