En Belgique, un reporter vedette décide de devenir une femme. Elle raconte son histoire dans un éclairant livre-témoignage.

Changer de sexe à l’âge de 60 ans n’est pas chose courante. Changer de sexe quand on est un journaliste « sérieux » l’est encore moins.

C’est pourtant ce qu’a fait Baudouin Van Spilbeeck en effectuant son coming out le 29 janvier 2018, à la télévision.

Cela se passait sur les ondes de la chaîne de télé flamande VTM, son employeur. À 19 h 37 bien précises, le reporter vedette déclare en ondes qu’il effectuera désormais ses reportages en femme, sous le nom de Bo.

Bo Van Spilbeeck.

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Le journaliste Baudoin Van Spilbeeck avant son changement de sexe

Pour le public qui le suit depuis 30 ans de par le monde, du Rwanda à la Bosnie, de Fidel Castro à Yasser Arafat, la surprise est de taille.

Mais contrairement à ce qu’appréhendait le journaliste, la première réaction en est une d’enthousiasme.

« Le téléphone a explosé. J’ai eu des centaines de messages. Jusqu’au premier ministre belge », dit Bo en souriant.

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La journaliste Bo Van Spilbeeck après son changement de sexe

Mains larges, forte carrure, perruque blonde et robe à fleurs sous un gilet jaune moutarde, elle nous rencontre à Paris, où elle accompagne la sortie en français de son autobiographie. Elle n’avait pas au départ l’intention d’écrire son histoire. Mais un an après sa sortie du placard, la reporter a compris que son témoignage pouvait servir de « mode d’emploi ».

Mode d’emploi pour ceux et celles qui, comme elle, sont nés dans le mauvais corps. Mode d’emploi pour le grand public, « qui cherche à comprendre le phénomène ».

Dans Appelez-moi Bo, traduction d’Eindeliijk vrouw (Aussitôt femme, en néerlandais), Van Spilbeeck raconte tout : le doute, le mal-être, l’obsession grandissante de la féminité, ses craintes, puis son coming out tardif et le processus de transition qui a suivi, jusqu’à la grande opération. Parcours très intime, qu’elle expose sans pudeur.

À la question « pourquoi avoir attendu si longtemps » avant de se révéler, la réponse est simple : « Je croyais, plus jeune, que j’aurais tout perdu. Je pensais me retrouver dans une mansarde isolée, perdre ma femme, mes enfants, mon emploi, être rejetée par la société. Ça a mis du temps. La peur m’a quittée quand j’ai vu un changement dans la société, dans les mentalités. »

À ce chapitre, Bo Van Spilbeek doit une fière chandelle à l’internet. Pendant des années, ses rares sources d’information sur le sujet se limitaient aux rayons des bibliothèques, qui n’étaient pas très pourvues.

Lorsqu’arrivent YouTube et les réseaux sociaux, la journaliste comprend enfin qu’elle n’est pas « seule au monde ». Elle découvre la Canadienne Gigi Gorgeous, la femme pilote Charlie Martin, la mannequin Andrea Pegik, l’ancienne cycliste Philippa York (jadis Robert Millar, meilleur grimpeur du Tour de France 1984).

Le déclic final a lieu lorsque l’ex-champion olympique Bruce Jenner devient officiellement Caitlin, à l’âge de 65 ans. Beaudoin, qui en a alors 55, comprend alors qu’il n’est jamais trop tard. « J’avais peur d’avoir loupé ma chance, et je me suis rendu compte que tout n’était pas perdu. »

Un soulagement

Bo Van Spilbeeck, c’est l’histoire d’une transition heureuse. Si les mauvaises langues de l’extrême droite l’ont traitée de freak, la grande majorité des Flamands l’ont accueillie soit avec indifférence, soit avec une surprenante bienveillance… à commencer par celle avec qui elle est mariée depuis 30 ans et avec qui elle a eu deux enfants.

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Comment je suis devenue Bo, de Bo Van Spilbeeck

La plus grande surprise vient toutefois de ses employeurs, qui l’ont soutenue « à 1000 % », dit-elle, allant jusqu’à orchestrer la campagne de communications accompagnant son coming out. « Ils m’ont dit : “Tu étais un bon journaliste en homme, je ne vois pas pourquoi tu ne serais pas un bon journaliste en femme” », se réjouit encore Bo.

Elle n’aurait pas pu, de toute façon, être plus longtemps « déguisée en homme ». Car la situation « devenait insoutenable ». D’un point de vue logistique, d’abord, mais surtout psychologique.

Difficile de décrire cette « dysphorie de genre » qui affecte les transgenres. Mais pour Bo, il est évident que cette « insatisfaction » se situait d’abord dans de la tête.

C’est la sensation qu’on a un corps qui ne correspond pas à ses sentiments et à son esprit… Pendant un certain temps, m’habiller en femme pouvait compenser, mais cela devenait de moins en moins satisfaisant.

Bo Van Spilbeeck

D’où, ultimement, la volonté d’avoir recours à l’opération. « J’en étais venue à un point où garder mon sexe d’homme aurait été impensable », dit-elle.

Quel impact sur l’orientation sexuelle, maintenant que Baudouin est devenu Bo ? Elle n’esquive pas la question, bien que la réponse soit aussi ambiguë que son identité.

« Je n’ai pas spécialement d’attirance pour l’un ou l’autre, dit-elle. Mais je ne vais pas dire que les hommes me laissent indifférente. Ils me considèrent différemment et moi, je me comporte différemment. Ma femme ? La nature de notre relation aussi a changé. Je ne suis plus un homme et elle n’est pas lesbienne, donc il faut se redécouvrir. Nous sommes en cours de route, mais pas encore arrivés à destination. »

On croit comprendre qu’il y aura là un vrai défi. Peut-être pourra-t-elle s’y attaquer, une fois passé l’ouragan médiatique qui l’emporte depuis janvier 2018. Il est vrai que la fluidité des genres n’a jamais été aussi acceptée, du moins dans le monde occidental. Mais il reste encore beaucoup à faire pour éduquer le grand public. D’où l’importance, dit-elle, de faire partager son expérience sur la place publique, même si cela doit se faire aux dépens de sa vie privée et professionnelle.

« J’étais consciente que je deviendrais un modèle, mais je n’étais pas consciente que ce serait à ce point-là, conclut-elle. Eh bien, tant mieux si ça aide. Quand je fais des conférences, c’est le message que je passe aux parents, aux enseignants, aux directeurs d’école, aux cadres ou aux directeurs d’entreprises : “Soutenez vos enfants, vos élèves ou vos employés s’ils se sentent mal dans leur peau. Et surtout, ne les discriminez pas…” »

Comment je suis devenue Bo. Bo Van Spilbeeck. Les Arènes. 329 pages.