Auditions à Paris, rencontres avec le consul de Chine, échanges intercontinentaux: plusieurs institutions artistiques montréalaises ne lésinent pas sur les moyens pour attirer les étudiants étrangers. Grâce à une réputation enviable à l'international, les grandes écoles de ballet, de théâtre et de cirque attirent chaque année des dizaines d'artistes en formation nés dans un autre pays.

Japon, Brésil, Colombie, Mexique, France, Espagne et Corée figurent sur les passeports du tiers des étudiants au programme collégial de l'École supérieure de ballet du Québec. Ces derniers paient 21 000 $ pour suivre les cours de danse et la formation au cégep.

Une somme qui ne semble pas freiner les danseurs: selon la directrice Anik Bissonnette, la popularité de l'école augmente à l'étranger. «En raison du rapprochement de l'école et des Grands Ballets, on reçoit de plus en plus de demandes, car les gens se disent que c'est une compagnie où ils veulent danser, explique-t-elle. On sait comment les former pour les Grands Ballets, où j'ai passé 18 ans.»

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Puisqu'il n'y a pas d'école supérieure de danse classique dans son pays natal, elle a convaincu ses parents de la laisser déménager à Montréal. «Ils aiment beaucoup l'art et ils m'ont toujours soutenue dans mes choix, explique-t-elle. Pour eux, c'est une opportunité afin que je poursuive mon chemin en danse.»

L'ex-danseuse étoile entretient des liens étroits avec des directeurs artistiques et des écoles à travers le monde. «On s'envoie beaucoup de nos élèves. J'en ai moi-même envoyé au Royal Ballet de Londres. On essaie aussi de faire des échanges avec l'École de ballet national de Chine. On ne veut pas se voler les danseurs. Il faut que ce soit d'un commun accord.»


Renommée mondiale

À l'École nationale de cirque (ENC), plus de la moitié des élèves ont grandi hors du Canada. Ils représentent à eux seuls 25 nationalités. L'école organise des auditions à Montréal, Toronto, Vancouver et Paris, en plus de miser sur un bouche-à-oreille plus que positif. «On accepte aussi les dossiers sur vidéos de régions du monde parfois plus défavorisées, comme l'Amérique du Sud ou l'Amérique centrale», explique Éric Langlois, directeur général de l'ENC.

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Ne parlant pas un mot de français à son arrivée, elle a appris la langue de Molière en six mois. «Ça demeure un apprentissage de tous les jours. Mes profs et mes amis m'ont beaucoup aidée. Au début, je travaillais dans une boulangerie et je devais parler aux clients. Ça m'a aidée à perdre mes peurs.»

Âgés de 19 ans en moyenne, les apprentis circassiens paient environ 8000 $ de frais d'inscription, soit près du double de ce que paient les Canadiens et les Français. «L'école et ses enseignants ont une grande notoriété, précise-t-il. Plusieurs des meilleurs candidats au monde viennent chez nous, ce qui augmente inévitablement le niveau des étudiants.»

À l'École nationale de théâtre, 21 des 166 personnes inscrites aux programmes d'interprétation, de scénographie, d'écriture dramatique et de production viennent de l'étranger. À l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal, 80% des étudiants de la cohorte ayant débuté en 2018 ne sont pas québécois, mais ils sont néanmoins nés au Canada.

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Aujourd'hui âgée de 19 ans, elle explique que l'expérience l'oblige à sortir de sa zone de confort au quotidien. «En Colombie, je faisais les choses automatiquement et je ne pensais pas à mon identité. En quittant le pays, je me suis demandé qui j'étais comme Colombienne. J'ai appris à retourner à l'essentiel et à me simplifier la vie. Je comprends maintenant qui je suis et pourquoi je danse.»

En effet, l'institution organise des auditions pancanadiennes, elle contacte les professeurs de chant dans toutes les facultés de musique au pays et publie des publicités dans des magazines spécialisés en chant lyrique, afin de promouvoir la formation de deux ans, qui sert de prolongement - rémunéré - aux études universitaires.

Cela dit, l'Atelier rêve d'organiser des échanges internationaux, avec des institutions européennes en priorité. «C'est intéressant pour les chanteurs d'aller ailleurs pour vivre des expériences différentes, souligne la directrice Chantal Lambert. On veut commencer par des stages ponctuels, en envoyant quelques finissants à l'étranger et en accueillant trois ou quatre chanteurs d'ailleurs. Au cours des prochaines années, on va faire du démarchage pour créer des liens avec les dirigeants de l'étranger.»

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Fauna Natasha Lopera López dit toutefois s'ennuyer de ses parents, qu'elle n'a pas vus depuis deux ans. «Ils me manquent, mais comme je suis une personne indépendante depuis que je suis jeune, ça m'aide beaucoup. Je prends tout ce que la vie me donne au moment présent. Je suis avec des personnes merveilleuses et j'apprends quelque chose que je ne pourrais pas apprendre en Colombie.»


S'adapter à Montréal

Nouveau pays, nouvelle ville, nouvelle culture, nouveau climat et, dans la plupart des cas, nouvelle langue. Les artistes en formation doivent relever plusieurs défis à la fois. «Ce n'est pas évident, reconnaît Anik Bissonnette. Mais ce qu'il y a de formidable, c'est que la danse est un langage universel. Moi-même, en 1988, j'ai passé trois semaines en Russie, dans le pire moment au niveau politique, et je me suis fait des amis incroyables. Ils ne parlaient ni français ni anglais, mais on se comprenait!»

Le corps enseignant encourage les jeunes danseurs à apprendre le français avant l'anglais. «Certains anglophones unilingues arrivent au pensionnat et après six mois, ils parlent français!» L'utilisation de la langue officielle du Québec est également encouragée à l'École nationale de cirque, qui offre des cours de francisation à ses élèves étrangers. «Nous avons le permis pour enseigner en français et en anglais, mais la majorité de la formation se donne en français», affirme Éric Langlois.

L'ENC s'assure aussi de favoriser l'intégration des néo-Montréalais. «La travailleuse sociale à l'école leur donne beaucoup de soutien. Un médecin vient sur place une fois par semaine. Et on offre 55 heures de physiothérapie hebdomadairement. Puisqu'ils sont confrontés à des enjeux de santé et de fatigue pour suivre leur cheminement académique, tout ce qu'on offre les aide.»

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L'expérience est-elle à la hauteur du rêve? «Absolument! Depuis que je suis ici, j'ai le sentiment que ça m'aide à devenir une professionnelle. Chaque fois que je regarde mon passé, mes sacrifices et mes efforts, je comprends que j'ai fait tout ça pour être ici.»