Le traditionnel Show du Refuge a lieu la semaine prochaine à la salle Wilfrid-Pelletier. L’intervenant Philippe Lacerte nous raconte le Refuge des jeunes, qui célèbre ses 30 ans cette année, un endroit où les jeunes hommes de 17 à 25 ans peuvent se déposer pour reprendre pied.

La sonnette de l’interphone retentit dans le bureau d’accueil du Refuge des jeunes. L’organisme est fermé cet après-midi pour une réunion d’équipe, comme tous les mercredis. L’étage où sont cordés les 45 lits est vide. La salle commune aussi. Seuls des employés d’entretien s’affairent entre les casiers, les fauteuils tassés dans un coin et la petite cafétéria.

Philippe Lacerte lève la tête et jette un coup d’œil dehors. De son bureau situé près de l’entrée, l’intervenant peut voir qui est à la porte. Il se lève et prend le combiné de l’interphone. Le gars qui attend sur le trottoir, il le connaît. Il l’appelle par son prénom. « Reviens dans 15 minutes, lui dit-il en anglais, je sais ce que tu veux. »

L’intervenant l’avait dit au début de l’entrevue : le Refuge des jeunes fait du cas par cas. Tout le temps. Sa capacité d’accueil limitée est, sur ce plan, un avantage : elle permet une approche personnalisée. « Les intervenants connaissent les jeunes par leur nom, explique-t-il. Ce n’est pas la même chose quand tu arrives dans un grand refuge [pour adultes] où il y a 5 intervenants pour 200 personnes. »

Des jeunes vulnérables

Cerner les gars qui se présentent au Refuge est le premier défi des intervenants. « Il y en a qui vont avoir besoin de parler en arrivant, de ventiler ce qu’ils viennent de vivre et qui les amène ici. D’autres vont être très fermés. Ce n’est pas donné à tout le monde de s’ouvrir sur ce qu’ils vivent et ce qui les mène à la rue, dit-il. On n’est pas intrusifs. »

Le Refuge des jeunes, fondé il y a 30 ans et installé tout près du métro Papineau depuis 2010, a pour mission d’accueillir les jeunes hommes en difficulté ou sans-abri. Comme c’est le cas chaque année, l’argent amassé lors du spectacle de la semaine prochaine est remis à l’établissement dont la clientèle a entre 17 et 25 ans. Ces jeunes-là « n’ont pas toujours brûlé leur réseau », dit Philippe Lacerte, ce qui est souvent moins le cas pour les adultes en situation d’itinérance.

Il y en a qui ont encore des liens avec leur famille. Il y en a qui ont encore des amis qui peuvent les accueillir sur un divan, des gens qui les invitent à droite et à gauche. Et quand ils n’ont plus de place où aller, ils vont venir au Refuge. C’est le dernier recours.

L’intervenant Philippe Lacerte

Passer cette porte, c’est « assumer quelque chose », selon Philippe Lacerte. « C’est souvent minimisé, mais c’est afficher sa vulnérabilité », insiste-t-il. Les jeunes hommes qui débarquent au Refuge vivent toutes sortes de situations difficiles : toxicomanie, problèmes de santé mentale, itinérance, prostitution ou un mélange de tout ça.

Entre les crises et les rires

Le Refuge est une ressource de première ligne. Un milieu d’urgence « constamment soumis aux crises qui peuvent arriver ». Le cas classique : un gars qui a trop consommé. « Il peut y avoir de la violence, parce que les jeunes en ont vécu, ajoute l’intervenant. Il y en a qui portent ça en eux et c’est palpable dans leur façon de réagir aux choses. »

Pourtant, Philippe Lacerte assure que ce n’est pas un milieu de vie tendu. « C’est souvent très positif, au contraire, assure-t-il. Chacun a son histoire de vie. Souvent, quand les jeunes sont ensemble, ça peut être agité, animé, mais la plupart du temps, la vie en communauté est très positive. »

Des conflits survenus à l’extérieur se transportent parfois à l’intérieur des murs, mais « on ne gère pas l’extérieur », explique l’intervenant. L’équipe s’affaire plutôt à minimiser les risques. L’avantage de l’approche personnalisée, c’est aussi que certaines crises peuvent être prévenues.

« On essaie d’offrir un endroit neutre, explique-t-il. Il y a des gars qui veulent juste se reposer. La rue est dure pour eux et la seule chose qu’ils espèrent, c’est d’avoir un endroit tranquille. On essaie de rendre ça possible. »

Un puzzle de conditions humaines

Avec les années, la clientèle du Refuge a changé, constate l’intervenant. « On voit de plus en plus de demandeurs d’asile ou d’immigrants à statut précaire », dit-il. Répondre aux besoins précis de ces jeunes hommes-là n’est pas facile pour le Refuge. Ce n’est pas sa « clientèle naturelle ». Il n’est pas équipé pour ça.

« On peut avoir un jeune demandeur d’asile en choc post-traumatique avec un autre jeune dont le problème majeur est la toxicomanie et un autre dont c’est la santé mentale, puis un autre qui n’a rien de tout ça, mais dont la cellule familiale a éclaté », énumère Philippe Lacerte. Tout un puzzle de conditions humaines. « On s’adapte, dit-il, mais on est limités. »

Le respect de la dignité humaine est une valeur capitale ici. Les jeunes ne portent pas d’étiquette.

« On peut être autant la personne qui les accompagne dans leurs démarches que celle qui fait des blagues avec eux. On peut aussi être la personne qui les met dehors si ça dégénère… On joue tous ces rôles-là. Mais ce qu’ils savent, c’est qu’on ne va pas les considérer comme un patient ou un consommateur d’héroïne. »

Est-ce que le Refuge sort des jeunes de la rue ? Tout dépend du point de vue, selon Philippe Lacerte. « Un gars qui est arrivé au Refuge sans papiers d’identité, sans revenu et sans nulle part où aller et qui, quelques mois plus tard, retire de l’aide sociale, s’est trouvé une chambre et développe son autonomie, s’en est-il sorti ? », demande-t-il.

« Pour certaines personnes, la réponse est non. De notre point de vue, ce sont des progrès considérables. Ça redonne aussi de l’espoir à ces jeunes-là. Une bonne tape dans le dos, insiste-t-il. On est dans une autre logique [ici]. Les progrès, on les voit, mais il faut avoir les lunettes adéquates pour les voir. »

La 29e édition du Show du Refuge a lieu le jeudi 21 novembre à 20 h, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Avec, entre autres, Dan Bigras, Marie-Mai, Bruno Pelletier, Koriass, Laurent Paquin, Véronique Claveau, Yama Laurent, Lulu Hughes et Roxane Bruneau.