Un studio au mur jaune moutarde aménagé dans le sous-sol d’un duplex de Rosemont, une perruque aux cheveux de plastique, des épaulettes pour interpréter le joueur de hockey un peu nigaud, et les voilà partis pour le tournage d’une énième capsule qu’ils diffuseront sur YouTube. Gros plan sur la gang d'Es-tu game ?, qui explique et teste des jeux de société.

Raphaël Lacaille et Pierre-Louis Renaud jouent à Cairn en mangeant des sushis entre deux tournages. À l’autre bout de la table, Marc-Antoine Doyon, écouteurs sur la tête, fait le montage de l’une des vidéos. Deux, trois bouchées plus tard, ils se rendent au sous-sol où est aménagé leur studio pour le tournage de la capsule annuelle « Top ESSEN 2019 ».

« On se met-tu chics ?, demande Pierre-Louis aux deux autres.

— L’analyste sportif peut être plus chic, alors mets un veston. Et l’autre, c’est l’ancien joueur de hockey qui a eu une couple de commotions, lui répond le réalisateur Marc-Antoine.

— Eille, les gars, j’ai trouvé ça ! C’est parfait ! », lance, tout sourire, Raphaël, qui sort de la pièce remplie de costumes loufoques en brandissant une paire d’épaulettes de hockey. Le trio s’esclaffe.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Pierre-Louis Renaud prend les traits d'un analyste sportif alors que Raphaël Lacaille incarne un ex-hockeyeur, victime de quelques commotions cérébrales au cours de sa carrière.

Le tournage commence et les youtubeurs laissent libre cours à leur folie, leur autodérision et leur humour, gages du succès de leurs capsules, qui généreront des centaines, voire des milliers de vues sur YouTube. Chacune prend une vingtaine d’heures à réaliser. Il faut dire que les animateurs s’imposent de jouer plusieurs fois à un jeu avant d’en faire la critique. Leur projet a certainement contribué à l’essor des jeux de société en les rendant accessibles.

Nous, on a un peu la même mission que le Randolph, c’est-à-dire qu’on veut qu’il y ait le plus de gens au monde qui jouent. Nous, on veut rendre le jeu attrayant à tout le monde.

Raphaël Lacaille, cofondateur d’Es-tu game ?

Depuis cet été, deux d’entre eux peuvent se verser un salaire grâce à des contrats pour réaliser des vidéos, notamment pour le Festival international des jeux de Cannes.

« J’ai dit non à beaucoup de contrats corporatifs cette année. Je travaillais aussi à la boutique du Randolph, mais j’ai arrêté. J’ai juste gardé Es-tu game ? et Randolph TV », raconte Marc-Antoine pendant qu’il numérise les cartes du tournage qu’ils viennent de terminer.

Es-tu game ? est née de l’idée de Raphaël, Pierre-Louis et Benjamin Déziel, trois amis comédiens qui aimaient jouer et qui voulaient meubler leurs temps morts quelque part à l’hiver 2015.

« On a fait une vidéo de présentation sur Facebook et en un mois ou deux, on a eu de deux à trois mille abonnés sur notre page. Mais on n’avait encore aucune idée de ce qu’on allait mettre sur notre page », raconte en riant Raphaël Lacaille. « Est venu le projet Deux minutes. On expliquait les jeux, même les plus compliqués, en deux minutes top chrono. Et notre énergie un peu fofolle s’est démarquée. »

Ils ont ensuite ajouté des critiques, des palmarès et des « Comment jouer », l’équipe a grossi, et ils sont devenus une référence en la matière avec plus de 10 000 abonnés à leur chaîne YouTube.

Du livre à la vidéo

Presque en même temps, David Couto a lancé la chaîne Professeur Board Game, en 2016, en constatant la quasi-absence de contenu francophone dans le domaine. Lui-même adepte de jeux, il consultait des vidéos en anglais pour apprendre les règlements ou orienter ses achats.

« Il n’y avait presque rien au Québec, alors j’ai pensé qu’il y avait peut-être un besoin. Comme je suis enseignant, faire des vidéos d’explications, ça rejoignait mes compétences. Je trouvais que ça mariait bien les deux avec ma passion des jeux, alors j’ai construit mon projet », raconte le fondateur de la chaîne qui publie trois vidéos par semaine et qui compte maintenant deux collaborateurs. Ses vidéos plus sobres comportent un volet explicatif et un volet critique.

« À la quantité de jeux qui sortent, on cible ceux qui nous intéressent. Mais on fait des critiques honnêtes. Je dis ce que j’aime, mais ce n’est pas réaliste que tu aimes absolument tout d’un jeu. Alors, je donne les deux côtés de la médaille et c’est très apprécié dans nos capsules. Les gens nous le disent », raconte l’enseignant au secondaire, qui réduit sa tâche à 80 % depuis deux ans pour alimenter sa chaîne YouTube, consultée par près de 6000 personnes.

Une demi-douzaine de Québécois ont lancé des chaînes YouTube semblables depuis. Quelques-uns tentent aussi leur chance avec les émissions balados, fort populaires dans le milieu anglophone et européen. La compétition est-elle saine dans ce milieu relativement niché ?

« On a chacun notre public », répond Raphaël, d’Es-tu game ?, au sujet des autres youtubeurs québécois. « Nous, on est plus user-friendly, on aime les petits jeux l’fun en gang. Mais si tu veux des jeux plus poussés, va écouter L’École du jeu, si tu veux une explication longue de A à Z, va voir Professeur Board Game, évoque-t-il. Ultimement, on a tous le même but : c’est que tout le monde joue ! »