Observer les oiseaux, ça peut sembler un passe-temps bien anodin. En fait, les ornithologues amateurs contribuent à l'accumulation de données précieuses sur la faune ailée. L'ornithologie au Québec, c'est une science citoyenne.

Il y a très peu d'ornithologues professionnels au Québec et au Canada. On en retrouve quelques dizaines, essentiellement au gouvernement du Québec, à Environnement Canada et au Regroupement QuébecOiseaux, affirme Louis Vaillancourt, responsable des communications de cet organisme à but non lucratif.

En fait, il n'existe pratiquement pas de programmes d'études universitaires en ornithologie en Amérique du Nord, exception faite de l'Université Cornell, à Ithaca, dans l'État de New York.

«Au Québec, les ornithologues professionnels sont avant tout des biologistes qui ont fait leur apprentissage sur le terrain par leurs propres moyens», lance M. Vaillancourt.

Et pourtant, le Québec peut être considéré comme un précurseur en ornithologie en Amérique du Nord, poursuit-il. Un précurseur en fait de «science citoyenne».

Il explique que depuis les années 40, les ornithologues amateurs remplissent des fiches pour faire part de leurs observations. Un professeur de Rimouski a entrepris d'informatiser ces données dans les années 70. Cette banque, qui niche maintenant chez QuébecOiseaux, compte plus de 10 millions d'observations.

«Quand Environnement Canada nous demande des statistiques pour des suivis de populations au Québec, c'est très solide, affirme Louis Vaillancourt. Nous sommes capables de dire combien de tourterelles il y avait au milieu des années 40 et combien il y en a en 2016. Nous les connaissons presque par leurs prénoms.»

Lorsque l'Université Cornell a pris connaissance de cette banque de données dans les années 90, elle a réalisé son «potentiel hallucinant». Elle s'en est inspirée pour lancer en 2002 le site eBird, qui recueille les observations des ornithologues du monde entier. QuébecOiseaux gère sa version québécoise, eBird Québec.

«Les gens qui observent les oiseaux le font pour le plaisir, mais il y a autour de 10 000 personnes au Québec qui le font de façon rigoureuse et qui contribuent à la science citoyenne», déclare M. Vaillancourt.

Les observations que les gens font pour le simple plaisir peuvent avoir une grande valeur. «Plus on va obtenir des informations, plus on va savoir ce qui se passe, plus on va valider les décisions prises au niveau environnemental», note-t-il.

Inévitablement, les ornithologues amateurs finissent par devenir des environnementalistes.

«L'ornithologue est très respectueux de l'environnement, commente M. Vaillancourt. S'il fait du bruit, s'il s'agite, il vient de faire peur aux oiseaux, il s'est levé de bonne heure et il s'est déplacé pour rien.»

Mais il y a plus. En faisant des observations, les ornithologues amateurs constatent la croissance ou le déclin de populations d'oiseaux.

«Les oiseaux sont des baromètres de l'écosystème, affirme Paul Fortin, administrateur du Club d'ornithologie de Longueuil. Par exemple, les oiseaux marins sont en déclin: ça veut dire qu'il y a quelque chose que ne marche pas dans la mer. C'est un signe.»

Les oiseaux insectivores sont également en déclin. Au Québec, on parle d'une chute du nombre d'individus de 92% depuis les années 70, soutient M. Vaillancourt.

Il explique qu'il y a une baisse du nombre d'insectes au Québec. «Est-ce dû au réchauffement climatique? s'interroge-t-il. Est-ce en raison d'une abondance de pesticides? Est-ce à cause du larvicide BTI contre les insectes piqueurs dans les villes? On ne sait pas.»

Chose certaine, cela a un impact sur l'alimentation des oiseaux insectivores. «On détruit le garde-manger des insectivores aériens parce qu'on n'aime pas ça, les bibittes», déplore-t-il.

QuébecOiseaux a d'ailleurs mis en place un programme pour le rétablissement de l'hirondelle noire, qui a connu un terrible déclin au Québec.

La destruction de l'habitat constitue une autre cause du déclin de certaines populations d'oiseaux. «Les oiseaux champêtres disparaissent parce que l'agriculture a changé, soutient Paul Fortin. Avant, on avait de petites terres avec des haies entre les terres. Maintenant, il n'y a plus de haies, il y a de grandes terres.»

De même, il y a de moins en moins de pâturages pour les vaches.

«Maintenant, les vaches sont dans les étables, elles ne bougent plus, affirme-t-il. Tous les champs sont labourés constamment, il n'y a plus d'habitat pour les oiseaux, ils ne peuvent plus nicher.» Dans les banlieues, les boisés disparaissent au profit de développements domiciliaires, de stationnement, de centres d'achat, déplore-t-il.

Selon Jocelyn Grondines, du Club d'observateurs d'oiseaux de Laval (COOL), l'ornithologue amateur a un rôle à jouer. «C'est une chose de communiquer entre nous sur ce qu'on a vu, sur ce qu'on aime, déclare-t-il. Il faut aussi sensibiliser l'ensemble de la population au sujet du maintien des habitats. Parfois, il s'agit de petits gestes, comme de prévoir des îlots de verdure. Tout le monde va bénéficier d'un environnement de meilleure qualité.»

Les ornithologues parmi nous

C'est un passe-temps zen, qui ne coûte pas cher, qui peut être pratiqué partout, par tout le monde. Pas étonnant que l'ornithologie soit un des loisirs qui connaissent la plus forte croissance en Amérique du Nord.

«Au Québec, il y a 2,6 millions de personnes qui s'adonnent à l'ornithologie, affirme Louis Vaillancourt, du Regroupement QuébecOiseaux. C'est une personne sur trois.»

Il tire ces chiffres d'un sondage réalisé par SOM en septembre 2015. Évidemment, la majorité de ces 2,6 millions de Québécois ne font pas partie de clubs d'ornithologie et ne passent pas tout leur temps libre derrière leurs jumelles.

«On demandait aux répondants s'ils s'adonnaient à l'observation d'oiseaux et s'ils tentaient de les identifier ou de les photographier, indique M. Vaillancourt. Ça couvre donc ceux qui gardent simplement des jumelles sur le bord de la fenêtre pour regarder ce qui se passe dans la cour arrière et les maniaques qui parcourent la planète pour observer des oiseaux.»

Évidemment, l'arrivée d'une première cohorte de baby-boomers à la retraite n'est pas étrangère à la croissance de ce loisir.

«Les retraités ont plus de temps mais c'est quand même un passe-temps qui attire tout le monde, soutient M. Vaillancourt. On voit notamment des adolescents qui s'y intéressent.»

Selon les données de SOM, 54% des ornithologues seraient des hommes et 46% des femmes.

«Ce qui est amusant, c'est qu'il y a des attitudes différentes, lance M. Vaillancourt. Ce sont nos racines anthropologiques d'hommes des cavernes qui remontent.»

C'est ainsi que les femmes seraient plus contemplatives, plus attentives aux détails. Elles s'attardent, remarquent s'il y a des oisillons, observent ce que les oiseaux mangent. Les hommes, eux, se préoccuperaient plus du nombre d'espèces observées, de statistiques.

«Ils vont dire qu'ils ont vu 140 espèces dans la même journée, rapporte M. Vaillancourt. La majorité des femmes vont trouver ça très drôle.»

Photo prise par Jean-Sébastien Guénette, Fournie par le Regroupement QuébecOiseaux

Guillemot à miroir

Trucs et conseils pour s'initier à l'ornithologie

Jumelles

L'ornithologie a l'avantage d'être un passe-temps très abordable. Une paire de jumelles d'une centaine de dollars permet de se lancer. Bien sûr, les passionnés peuvent mettre des milliers de dollars sur des jumelles de grande qualité. «Pour identifier les espèces, il y a des choses importantes, comme une nuance dans la couleur, un détail», déclare Louis Vaillancourt, de Regroupement QuébecOiseaux. Il ajoute que les oiseaux sont plus actifs au lever et au coucher du soleil, alors que les conditions d'éclairage sont moins bonnes. «Ça prend des jumelles plus performantes.»

Guide d'identification

Il faut veiller à prendre la version la plus récente. «Il y a plusieurs années, on a changé le noms de beaucoup d'oiseaux, explique Paul Fortin, du Club d'ornithologie de Longueuil. Les pinsons sont devenus des bruands, les fauvettes sont devenues des parulines.» Il suggère également de se procurer un guide des oiseaux du Québec plutôt qu'un guide des oiseaux d'Amérique du Nord. «Il y a plus de la moitié des oiseaux que tu ne verras pas parce qu'ils ne sont pas dans l'aire de répartition.»

CD

Il existe des disques compacts sur les chants d'oiseaux, ce qui peut aider à identifier un oiseau lorsqu'on le voit mal. «Il y a des chants qui se ressemblent mais il y en a qui sont faciles à identifier, déclare Paul Fortin, du Club d'ornithologie de Longueuil. On ne saura peut-être pas quelle sorte de parulines on entend, mais on saura qu'il s'agit d'une paruline. C'est déjà ça.»

Application

L'application gratuite BirdsEye pour les téléphones intelligents permet de savoir quelles sont les espèces d'oiseaux qu'on peut observer à proximité. Il dresse également la liste des oiseaux rares aperçus récemment dans les environs. Le laboratoire ornithologique de l'Université Cornell a mis au point une application gratuite pour identifier les oiseaux, Merlin Bird ID. Cette application est toutefois en anglais uniquement.

QuébecOiseaux

Le site du Regroupement QuébecOiseaux fournit un grand nombre de ressources aux ornithologues amateurs, dont la liste des clubs ornithologiques au Québec. Jocelyn Grondines, du Club des observateurs d'oiseaux de Laval (COOL), recommande aux novices de se joindre à un tel club afin de bénéficier de l'expérience des autres membres et d'assister à des conférences. Le site de QuébecOiseaux offre également une section sur les oiseaux rares aperçus récemment. Très populaire, elle reçoit 55 000 visites par mois, affirme Louis Vaillancourt, de QuébecOiseaux. Le site fournit également un lien pour accéder à la banque de données eBird Québec.

http://quebecoiseaux.org/

Photo prise par Jean-Sébastien Guénette, Fournie par le Regroupement QuébecOiseaux

Paruline à flancs marrons