Lorsque François Blais, le chef du Panache à Québec, s'est assis pour répondre à ma première question, que j'avais savamment construite ainsi, «Pis???» il n'a pas hésité longuement et a laissé tomber: «C'est Madonna dans ma cuisine.»

Blais venait de passer une partie de la journée avec Thomas Keller, le très célèbre chef multi-étoilé de French Laundry et de Per Se, avec qui il préparait samedi soir dernier à Québec un repas gastronomique à 400$ le couvert. «C'était mon idole avant qu'il arrive, a ajouté Blais au sujet de son éminent invité. Et il va l'être encore après.»

Keller, qui est membre du circuit des Relais et Châteaux, était convié à cuisiner au restaurant de l'auberge Saint-Antoine (un autre Relais et Châteaux), dans le cadre de l'activité Québec Gourmande, un événement du 400e commandité par les fabricants de cuisines en inox Sani-Métal.

Sani qui? Sani Métal est une société de Québec qui a construit presque toutes les cuisines de Keller. C'est donc ainsi que le contact s'est fait pour que la très grande star américaine de la gastronomie, basée dans la vallée de Napa, accepte de venir de ce côté du continent.

N'en déplaise aux autorités frontalières, Keller est arrivé avec beaucoup de ses produits - du caviar d'esturgeon américain aux betteraves de son propre potager - et s'est ainsi installé avec six membres de sa brigade dans la capitale provinciale, le temps d'un repas, pour y imposer son savoir-faire, sa minutie, son exigence...

Réservé mais très attentif quand on discute avec lui, Keller n'avait pas de plan précis, m'a-t-il dit, au sujet de l'expérience qu'il voulait faire vivre à ses convives. «Un repas, c'est d'abord et avant tout une question d'hospitalité», dit-il. S'assurer que tous ceux qui sont autour de la table sont heureux. La caractéristique principale de ses deux grandes tables, Per Se et French Laundry - il a aussi plusieurs restaurants plus conviviaux appelés Bouchon - sont d'ailleurs d'être comme des bulles d'ouate où le service autant que la cuisine n'a jamais d'angles droits. Tout est doux, rond, délicat. On a l'impression d'y passer une soirée dans les nuages. Et la cuisine de Keller est dans ce style là aussi: beaucoup de cuissons très précises sous vide qui laissent les viandes et les poissons cuits tout en moelleux. Et des plats comme le célèbre «Oysters and Pearls», où les textures délicates sont déclinées à travers le caviar, des huîtres pochées, du tapioca et un sabayon salé.

La cuisine de Keller n'est pas une cuisine de coups d'éclat en bouche. C'est une cuisine de subtilité où l'émerveillement a quelque chose d'aérien et nous fait planer de plat en plat. Parfois, certains grands chefs nous donnent l'impression d'être à Versailles, d'autres nous transportent dans le bois. Avec Keller, on a l'impression d'être au spa, avec des pantoufles de velours...

Le défi de transporter cette cuisine ailleurs que dans les écrins que sont Per Se ou French Laundry était grand et Keller a passé beaucoup de temps autant en cuisine qu'en salle pour s'assurer que l'expérience convenait à ses normes très élevées. On l'a vu s'interroger sur l'absence d'un convive devant une assiette chaude, signer des menus tout en gardant les yeux ouverts pour observer chaque détail sur la table.

On l'a vu s'inquiéter de certains détails, prendre le temps de discuter avec les convives. «L'important, m'a-t-il expliqué en entrevue, c'est que les gens repartent avec de très bons souvenirs.»

Il y a veillé, personnellement.