Ici, la journée commence par des chants à la gloire de Dieu et les photos sont interdites. Bienvenue à La Femme, plage égyptienne privée réservée à la gent féminine et «religieusement correcte».

C'est dans un recoin de la station estivale cossue de Marina, sur la côte nord, que s'abrite depuis quatre ans cette plage soigneusement cachée par des barrières de branches de palmiers, qui s'avancent jusqu'à une cinquantaine de mètres dans la mer.

Le matin, alors que les premières baigneuses se débarrassent de leur voile islamique pour apparaître en maillot une ou deux pièces, retentissent soudain des chants islamiques. La sélection musicale passe ensuite à de sirupeux tubes occidentaux, avant d'enchaîner sur une trépidante variété arabe.

Le port du voile s'étendant à toutes les classes sociales en Égypte, où le conservatisme ne cesse de gagner du terrain, quelques entrepreneurs ont senti l'aubaine: pour passer la journée à La Femme, les clientes, en majorité voilées, doivent débourser 75 livres (9 euros) en semaine, 85 le week-end.

Une somme exorbitante pour l'Égyptien moyen mais dérisoire pour ces femmes issues d'un milieu très aisé, qui garantit non seulement «le respect de leur pudeur» mais leur permet aussi de fumer un narguilé, de se déhancher sur une estrade lors du concours quotidien de danse orientale ou même d'allaiter leur nourrisson.

Allongée sur une chaise longue face à la mer, Safa, une sexagénaire cairote, est conquise.

«De temps en temps, je me retourne pour regarder derrière moi, et il n'y a toujours pas d'hommes! Ah, Dieu merci!» plaisante-t-elle.

«C'est "haram" (interdit par l'islam) de se pavaner devant des hommes en maillot de bain», reprend-elle. «C'est une excellente idée d'avoir réservé cette plage aux femmes».

À quelques mètres de là, Marwa enfile une courte robe jaune sur son maillot.

«En tant que femme voilée, je n'ai pas d'autres options. Ou bien je pourrais mettre un maillot "char'i", mais ce n'est pas pratique», explique-t-elle.

Ce costume de bain, qui tire son nom de la charia (loi islamique) et recouvre entièrement le corps, est arboré par de nombreuses femmes sur les plages mixtes d'Égypte, pays où l'écrasante majorité des femmes est voilée.

Si Marwa se dit ravie de sa «spontanéité» retrouvée loin des regards masculins, seul un détail l'«énerve»: les jet-skis qui passent de temps en temps au loin, avec à leur bord de jeunes hommes qui se dévissent le cou pour avoir un aperçu de ce qui se passe dans l'enceinte de La Femme.

C'est pourtant exactement ce qu'est venue fuir Sara, 20 ans, d'ordinaire voilée mais vêtue aujourd'hui d'un bikini.

«Ici, on n'a pas à subir les regards des hommes. Sur les plages mixtes, c'est tout simplement insupportable», dit-t-elle.

En 2004, à la création de Yachmak, la première des plages réservées aux femmes en Egypte, son fondateur, Walid Mustapha, avait affirmé: «Nous ne pouvons oublier qu'en fin de compte, nous sommes une société conservatrice. Et nous devons répondre aux besoins de la communauté».

Pour la sociologue Dalal al-Bizri, «cela reflète l'atmosphère générale du pays, qui s'approche parfois d'une sorte d'hystérie religieuse».

La direction de la plage se montre en tout cas sourcilleuse à l'extrême. A l'entrée, les sacs sont censés être fouillés à la recherche de tout appareil photo, de peur que les images des femmes en bikini ne circulent sur internet.

Mais beaucoup des clientes ont beau assurer venir à La Femme pour respecter les préceptes de leur religion, tout le monde n'en est pas convaincu.

«Quelle décadence», jette l'un des chargés de la sécurité à quelques dizaines de mètres de l'entrée de la plage, ulcéré de la débauche de moyens mis en oeuvre pour les loisirs de ces dames.

«Elles n'ont qu'à danser chez elles», lance un chauffeur qui passe par là, d'un ton réprobateur. «Elles sont censées craindre Dieu, pas les hommes».