Vous seriez prêt à payer 20$ à la bonne âme qui installerait votre ventilateur de plafond? Et si quelqu'un ne demandait pas mieux que de vous aider, gratos, sans que vous lui deviez quoi que ce soit?

Votre seule obligation morale serait d'offrir plus tard le service de votre choix, par exemple une traduction, à une personne qui en aurait besoin. Pas mal comme concept, non? Ces réseaux d'échange de bons procédés existent déjà près de chez vous.

Vieux comme le monde, le troc et l'entraide ont pris un coup de jeune au cours du dernier quart de siècle. Un peu partout sur la planète, des communautés s'organisent pour échanger biens et services en limitant le recours à l'argent. La plupart des réseaux tentent d'aplanir les inégalités sociales en accordant la même valeur à tous les services, qu'ils soient offerts par un plombier ou par une couturière, par exemple. Utopique? C'est à voir...

Q: «Système d'échange local»: l'expression n'est pas très sexy. Quel est le concept?

R: On compte environ 25 systèmes d'échanges locaux au Québec, et il n'y en a pas deux pareils. En gros, un système d'échange local est un club dont les membres, qui résident à proximité les uns des autres, acceptent d'échanger des biens et des services sans recourir d'emblée à l'argent.

Contrairement au troc, les transactions peuvent être indirectes. En offrant cinq heures de tricot à Jean, un membre obtient typiquement cinq heures qu'il pourra utiliser pour faire garder ses animaux par Marie ou suivre des cours de yoga donnés par Evelyne.

Dans certains réseaux, les membres comptabilisent eux-mêmes leur débit et leur crédit. À chaque transaction, on signe le carnet du partenaire en indiquant la valeur de l'échange. Ailleurs, chacun doit signaler ses transactions à un coordonnateur. D'autres systèmes sont basés sur des jetons.

Q: L'argent n'est pas un problème pour moi. Pourquoi deviendrais-je membre d'un système d'échange local?

R: Propriétaire d'une école de naturopathie, Pauline Lapointe est semi-retraitée. Toute sa vie, elle a fait du troc, surtout dans des réseaux réservés aux entreprises. Depuis quelques années, elle est aussi membre de la Banque d'échanges communautaires de services (BECS).

«Pour moi, BECS est un super beau réseau d'entraide», explique Mme Lapointe. C'est la solution idéale pour obtenir de petits services quand on ne veut (ou ne peut) pas faire appel à ses proches.

«Je ne peux pas tout le temps demander à mon fils de m'accompagner faire mes courses, explique la dame de 66 ans. Solliciter ses voisins de palier, c'est délicat quand on veut garder sa vie privée. De plus, j'aime bien le fait que BECS ne crée pas d'obligation envers une personne en particulier.»

Les services d'échanges locaux permettent aussi de tisser un réseau social. «On rencontre beaucoup de gens au grand coeur», affirme Mme Lapointe. Les groupes organisent souvent des activités, comme des 5 à 7, des déjeuners, des présentations de films avec discussion.

Q: Quels genres de services sont offerts en général?

R: Il y a de tout: rédaction, alimentation, photographie, croissance personnelle, entretien, cours de langues, gardiennage, informatique, loisirs, recherche documentaire ou généalogique, accompagnement, soins et services-conseils les plus divers. Le catalogue de BECS fait cinq pages sur deux colonnes.

«Je dis aux gens d'offrir ce qu'ils aiment faire, pas nécessairement ce qu'ils font dans la vie», dit Ginette, facilitatrice du Jardin d'échange universel (JEU) à Montréal, qui s'exprime ici en son nom personnel.

Selon le réseau, les offres et les demandes de services sont transmises aux membres par courriel ou au moyen d'un catalogue papier ou électronique, accessible avec un code d'accès.

Q: Qui participe à ces échanges?

R: Jusqu'à tout récemment, on avait très peu de données quantitatives sur les membres des services d'échanges locaux au Québec. Mais en mai dernier, l'anthropologue Manon Boulianne de l'Université Laval a présenté devant l'ACFAS les résultats préliminaires d'une recherche visant à mieux cerner le phénomène.

Sur 25 réseaux recensés au Québec, 12 ont accepté de transmettre un questionnaire à leurs membres. Environ le quart, soit près de 400 personnes, y ont répondu. Âge moyen des répondants: 53 ans.

«Deux groupes d'âge étaient surreprésentés par rapport à la population québécoise en général: les 30-34 ans et les 50-64 ans», précise Manon Boulianne. Autre constatation: trois membres sur quatre sont des femmes.

La moitié a un diplôme universitaire. Malgré ce degré d'instruction «nettement supérieur» à celui de la population québécoise (17,2% selon le recensement de 2001), les membres ont un taux d'emploi similaire et un revenu individuel brut «largement inférieur» à la moyenne (moins de 20 000$ par année comparativement à une moyenne de 30 827$ en 2006).

Q: Qu'est-ce qui me dit que ces personnes sont compétentes dans leur domaine?

R: Les systèmes d'échanges locaux permettent à certaines personnes d'acquérir de l'expérience professionnelle, note Michel Gaudreault, fondateur de BECS. Chose certaine, les membres n'ont pas besoin de fournir de CV. «À chacun de s'informer en fonction de ses critères», précise-t-il.

Même son de cloche au JEU de Montréal. «Chaque membre doit se responsabiliser face à ses échanges», tranche la facilitatrice, qui dit être là à titre de guide, sans plus.

Q: Avec tous mes diplômes, mon temps vaut-il plus que celui de la moyenne des gens?

R: À BECS, tous les services ont une valeur équivalente, insiste Michel Gaudreault. «Une heure d'un service rendu, quel qu'il soit, équivaut à une heure BECS. Il est interdit de surfacturer.»

Au JEU de Montréal, une heure de service vaut 60 points à la base. Cependant, chacun reste bien libre de fixer ses conditions d'échange, remarque Ginette. «D'ailleurs, je recommande aux membres de ne jamais publier le nombre de points qu'ils demandent pour leurs services.»

Q: Y a-t-il d'autres conditions et règlements?

R: On n'est nulle part obligé d'accumuler des crédits avant de commencer à utiliser les services d'autres membres.

On doit généralement prévoir des frais d'inscription minimes. Par exemple, BECS demande 10$ par année, ce qui lui permet de s'autofinancer.

«Une personne ne doit pas perdre d'argent en rendant service», note Michel Gaudreault. Les membres de BECS peuvent donc demander de l'argent pour couvrir leurs débours, comme l'huile de massage ou la location d'une salle. Seule autre exception: la transaction peut inclure une contrepartie pécuniaire s'il s'agit d'un échange de biens.

Au JEU Montréal, tout se négocie. «Si on est un peu à court d'argent, on peut demander un paiement mixte en points et en argent. Libre à chacun de décider si l'échange lui convient», indique Ginette. La facilitatrice exige que chaque membre fasse au moins une transaction par année.

Q: Qu'est-ce qui m'empêche d'inventer que j'ai rendu service à Pierre, Jean, Jacques?

R: «Les gens se parlent. Vous serez vite démasqué», soutient Ginette.

En 13 ans, Michel Gaudreault n'a jamais eu connaissance d'une fraude. Tant et si bien que BECS a décidé de passer d'une comptabilité centrale à une comptabilité individuelle à l'automne 2007. «C'était lourd pour rien. Cette année, on va simplement demander aux membres de nous envoyer une photocopie de leur carnet, à des fins de compilation.»

Q: Au moins, j'économise les taxes et le ministère du Revenu n'a pas à mettre son nez dans mes transactions. C'est bien ça?

R: Ne tournons pas autour du pot. Si vous êtes un travailleur autonome ou une entreprise, vous devez déclarer la valeur de tous les services professionnels que vous rendez, peu importe qu'ils vous aient été payés en argent ou dans une monnaie parallèle d'échange. Même chose pour le troc de biens. Le cas échéant, vous devez également percevoir la TPS et la TVQ correspondantes.

Q: Quels sont les risques et les inconvénients possibles?

R: Une fois, Pauline Lapointe s'est rendue à un pique-nique où il n'y avait que cinq personnes. C'est le pire qui lui soit arrivé. «Ça manque peut-être un peu de structure mais, dans le monde d'aujourd'hui, un système comme BECS, c'est indispensable. Ça nous ramène à l'époque où on pouvait compter les uns sur les autres.»

Si vous déménagez alors qu'il vous reste beaucoup de crédits, vous ne pourrez pas nécessairement les transférer dans un autre réseau, avertit Michel Gaudreault. Par contre, quand une personne part, elle peut céder son solde à un autre membre.

Enfin, il faut signaler qu'un nombre significatif de réseaux se sont éteints au fil des années. Le principal facteur de risque est l'essoufflement des bénévoles, observe Manon Boulianne de l'Université Laval. Attention aussi aux réseaux qui dépendent des subventions.

Simple et écolo

Vous passez déjà tous vos week-ends à aider votre famille et vos voisins. Vous ne faites confiance qu'à votre comptable. Bref, échanger des services avec des inconnus, ça ne vous branche pas. Par contre, vous aimeriez bien troquer les vieux patins de votre ado contre un jeu de tournevis. Dites bonjour à Troc-tes-Trucs!

Le samedi 23 août prochain, une centaine de familles se donneront rendez-vous au Centre de loisirs communautaires Lajeunesse, à Montréal, pour échanger vêtements, livres, jeux, articles de cuisine, équipements sportifs et petits appareils électroniques, entre autres choses. Que des articles en bon état.

L'inscription, gratuite, se fait sur place. À l'entrée, chaque famille échange ses biens contre des jetons virtuels, inscrits sur une fiche. Aucune négociation: la valeur dépend du type d'article. Griffée ou non, une pièce de vêtement vaut 1 jeton. Une imprimante fonctionnelle, sept jetons. Un vélo, 20 ou 25 jetons. Ainsi de suite.

Les bénévoles regroupent ensuite les objets par valeur avant d'ouvrir la chasse aux aubaines. Pour éviter la cohue, les articles les plus convoités font l'objet d'un tirage. Les «invendus» sont entreposés jusqu'à l'activité suivante, deux mois plus tard. S'ils ne trouvent alors pas preneur à la table des aubaines à 1 jeton, ils sont remis à l'organisme Renaissance.

La première «vente» de Troc-tes-Trucs, en avril 2006, avait attiré 35 familles. «À 100 familles, ça commence à être du sport sur le plan de la gestion, mais les gens ont plus de chances de trouver chaussure à leur pied», remarquent les fondatrices, Maude Léonard et Véronique Castonguay.

Beaucoup participent non par nécessité, mais par conscience environnementale, ajoute Mme Castonguay. D'ailleurs, l'activité comprend toujours un atelier de 30 à 45 minutes sur un thème lié à la consommation responsable. Avis aux animateurs intéressés!

DES MOTIVATIONS DIVERSES

Pourcentage des répondants qui ont affirmé que «participer au réseau me permet, assez ou beaucoup», de:

- Vivre davantage selon mes valeurs: 72%

- Consommer de manière plus respectueuse de l'environnement: 72%

- Sentir que je peux être utile aux autres: 68%

- Sentir que je peux contribuer à changer la société: 62%

- Apprécier les habiletés des gens qui vivent dans ma localité: 60%

- Entrer en contact avec des gens vivant des réalités différentes des miennes: 57%

- Me rendre autonome par rapport au système économique conventionnel: 57%

- Faire des économies: 53%

- Créer des liens avec d'autres membres qui résident à proximité: 51%

- Améliorer ma qualité de vie: 50%

Les principaux systèmes d'échanges locaux à Montréal:

Banque d'échanges communautaires de services (BECS): www.selbecs.org

Jardin d'échange universel (JEU): www.monjeu.net

Troc-tes-Trucs: www.troctestrucs.qc.ca

L'Accorderie: www.accorderie.ca

PART-SEL (Petite Patrie): www.crac-petite-patrie.ca

NDG Barter Network: www.reseaudechangendg.org