«Quel est le plus grand vin que vous ayez jamais bu?»

Cela fait partie des questions pièges qu'on pose à l'amateur de vin. Lequel, en pareil cas, se tourne la langue sept fois dans la bouche, sinon davantage, avant de répondre.

Il hésite, il consulte sa mémoire, il ne sait trop. Comment choisir? Celui-ci? Celui-là?

Autre question du genre: «Si vous étiez condamné à vivre sur une île et forcé de boire des vins d'un seul pays uniquement, quel serait ce pays?»

Celle-là, on me l'a posée encore récemment. Et ma réponse a jailli spontanément, sans une seconde d'hésitation: «La France.»

Pourquoi?

Pour de multiples raisons, qu'on peut résumer ainsi. D'abord, à cause de la diversité des vins français, mais aussi en raison de la qualité à peu près sans égale de multiples vins de ce pays.

Il y a aussi le fait que la France produit davantage de grands vins que tous les autres pays viticoles de la planète.

Et puis, pour quasiment la totalité des différents types de vin, c'est la France qui domine.

Vins mousseux avec le champagne, vins de Chardonnay non boisés avec les chablis, vins de Chardonnay boisés avec les meilleurs bourgognes blancs, vins de Pinot noir avec les bourgognes rouges, vins de Cabernet Sauvignon et de Merlot (les bordeaux rouges), vins de la vallée du Rhône, de Syrah ou de Grenache, etc. - c'est encore et toujours la France qui, pour ainsi dire, mène le bal.

Et ce sont les vins français qui sont les étalons d'après lesquels on juge ceux de tous les autres vignobles.

Autre fait significatif: les cépages dits internationaux (Chardonnay, Sauvignon blanc, Cabernet Sauvignon, Merlot, Syrah, etc.) sont ceux, pour la plupart, que l'excellence de tant de vins français a imposés partout dans le monde.

Il y a naturellement des exceptions.

Ainsi, pour les vins rouges de Nebbiolo et de Sangiovese, c'est bien sûr l'Italie qui dicte sa loi. De même, le Portugal, grâce à ses portos, supplante la France en matière de vins mutés (auxquels on ajoute de l'alcool).

Mais, hormis ces exceptions, la France est reine.

On s'étonne donc de voir les autorités françaises tirer, constamment... à boulets rouges, sur cet extraordinaire patrimoine viticole que lui envie la planète entière.

Une de ses dernières manifestations: l'amende de 5000 euros imposée au quotidien Le Parisien, à cause d'un compte rendu sur une gamme de champagnes, dans lequel on ne mettait pas en garde les lecteurs contre les méfaits de l'alcoolisme. Le tribunal jugea que c'était là une publicité indue de boissons alcoolisées, contraire à l'esprit de la loi française (loi Evin).

Le nombre élevé de morts sur les routes françaises encore il y a quelques années (environ 12 000, contre moins de 8000 actuellement), dans lequel l'alcool a de toute évidence joué un rôle, et la plaie qu'est l'alcoolisme, y sont évidemment pour beaucoup.

Mais, comme le montre le programme québécois Éduc'Alcool, il y a d'autres moyens que la répression susceptibles d'inciter à la modération.

S'ajoute à cela le fait que plus on connaît et aime le vin, et plus on le perçoit comme une boisson noble, exceptionnelle, à boire avec précaution, sans en abuser.

«L'ivrogne ne goûte pas, il boit pour devenir plein et bourré (...) Le connaisseur et le dégustateur font preuve au contraire d'une profonde méfiance à l'égard du vin: leur comportement joint à la culture d'un plaisir raffiné toute une stratégie contre l'ivresse.

«La connaissance des vins commence par celle de leurs noms, poursuit Martine Chatelain-Courtois dans Les mots du vin et de l'ivresse. Alors que l'ivrogne sombre dans l'indifférenciation en perdant son identité, et qu'il boit du vin, anonyme pour ne pas dire innommable, le connaisseur savoure un vin, toujours singulier, et doté d'un nom propre.»

Or, de magnifiques vins, qui ont un nom propre, la France en a en quantité!

Un Chablis

Goûté au plus récent Salon des vins et des spiritueux de Montréal, fin mars, le Chablis 2006 1er cru Montée de Tonnerre Château de Maligny, dont la SAQ devrait mettre 100 caisses sur le marché vers la mi-mai (il est arrivé le 9 avril par bateau), m'est ainsi apparu comme un merveilleux vin blanc.

Non boisé (comme d'ailleurs tous les autres chablis de ce producteur), son bouquet, pur, fin, a cette élégance à mon avis à peu près incomparable des meilleurs vins de Chablis et, ce jour-là, surpassait en grâce et en charme les autres chablis de ce domaine.

Distingué, avec quelque chose de serré en bouche, on retrouve sur le plan gustatif la même grâce, le même charme, la même pureté pour ainsi dire... étincelante. Excellent.

S895110, 32,50$, ****, $$$ 1/2, 2008-2012

La recommandation de la semaine

Beaucoup de viticulteurs français exportent leur savoir-faire, tels Stephan von Neipperg, propriétaire du Saint-Émilion Château Canon-la-Gaffelière, et son vinificateur Marc Dworkin qui produisent en Bulgarie ce curieux vin rouge qu'est le Vin de la région de Pazarjik 2005 Enira, fait surtout de Merlot, mais aussi de Syrah, de Cabernet Sauvignon et de Petit Verdot.

D'un grenat à reflets acajou, son bouquet d'ampleur moyenne associe fruits rouges et (un peu) fruits cuits, avec des notes torréfiées discrètes qui lui viennent de son élevage en fûts. Charnu, ne manquant ni de caractère ni de corps sans être extrêmement concentré, ses tannins sont bien enrobés. Étonnant, et très bon d'autant plus qu'on ne perçoit pas qu'il titre 15 % d'alcool (environ 600 caisses disponibles).

S, 10748080, 18,75 $, ***, $$, 2008-2009

Dégustés pour vous

Côtes du Roussillon Villages 2005 Château Dona Baissas.

Vin rouge du Languedoc, élaboré avec surtout du Grenache et du Carignan, de corps moyen, aux saveurs de fruits rouges et aux tannins aimables, laissant dans l'après-goût des arômes boisés rappelant un peu la sciure de bois en raison de son élevage en fûts. Correct, mais on le souhaiterait moins cher (236 caisses).

S, 966135, 17 $, ** 1/2, $$, 2008-2009.

Médoc 2004 Château Loustauneuf.

Bordeaux rouge richement coloré, au bouquet généreux, marqué par des notes un peu pain grillé (le bois). Corsé, bien en chair, assez carré et encore tout d'une pièce, ses tannins sont fermes, mais dépourvus d'agressivité. Sérieux (248 caisses).

S, 913368, 24 $, ***, $$ 1/2, 2008-2011.