En plein cœur du centre-ville de Montréal, à quelques pas de l’Université Concordia, un pâté de maisons cité patrimonial a retrouvé sa splendeur et une nouvelle vocation. Mais l’aspect le plus étonnant de cette métamorphose n’est pas son côté face, mais le pile – car sur son autre versant se cachent d’anciennes dépendances devenues de coquettes maisons de ville en format miniature. Entrez dans une autre dimension.

C’est en empruntant une ruelle qui se prend pour une rue qu’on découvre l’inattendu dans la métropole. Là, derrière une clôture sécurisée, se cache une petite allée paysagée qui nous transporte instantanément dans les rues charmantes de Londres ou du vieux Boston. Dans l’ombre de leur matrice, des maisonnettes s’alignent avec une prestance et une coquetterie britanniques d’antan.

L’ensemble résidentiel William-D.-Stroud est situé sur un petit tronçon de rue originalement baptisé Buckingham, avant d’être changé pour Pierce. Jadis, on pouvait y vivre à l’anglaise dans une maison typique des résidences de ville londoniennes. Ce panache y est toujours et explique d’ailleurs que le site ait été classé patrimonial.

L’extérieur des bâtiments est pratiquement intact. L’intérieur, autrefois divisé en deux logements superposés, a toutefois été remanié après l’incendie d’une des sextuplées. En 2019, le propriétaire, Groupe Forum, a entrepris de convertir les maisons en quadruplex afin de desservir la clientèle étudiante de ce quartier universitaire.

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Au cœur du centre-ville, le complexe William-D.-Stroud se dresse parmi les grands immeubles et résiste au temps.

Dans la foulée des rénovations, une question des plus pertinentes s’est posée : que faire des annexes ? À l’arrière de ces habitations se greffent en effet d’anciennes dépendances utilisées à l’époque comme sortie de secours et comme rangement. Devenues désuètes et décrépies, elles avaient néanmoins une enveloppe de brique solide et une jolie toiture métallique en pignon qui leur donnaient l’apparence et le charme de maisons miniatures. Et c’est d’ailleurs ce qu’elles sont devenues.

L’enveloppe a été stabilisée et isolée. Pour gagner quelques pieds supplémentaires, essentiels afin que les maisonnettes se qualifient comme logements selon les critères de la Ville, la coquille a été légèrement altérée. Le décroché se distingue toutefois du bâtiment d’origine par son fini métallique noir qui s’éclipse au profit de la silhouette ancestrale et ses longues fenêtres qui accentuent le bris entre la maisonnette existante et l’ajout contemporain.

Il était important pour nous de conserver le volume existant, non seulement parce que les façades étaient citées patrimoniales, mais parce que le gabarit des maisonnettes est ce qui donne son charme et sa spécificité à la cour.

L’architecte Amani Rizk, de la firme Le Borgne Rizk

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Les architectes Sophie Le Borgne (gauche) et Amani Rizk

L’architecte Amani Rizk, de la firme Le Borgne Rizk, a eu le contrat de condenser les caractéristiques principales d’une habitation dans 350 pi⁠2 répartis sur trois étages. « C’est la plus grande réussite de ce projet qui propose tous les éléments de base et les ambiances qu’on retrouve dans un logement plus grand, sans qu’on s’y sente étriqué », souligne-t-elle.

Un pas dans une autre dimension

Pousser la porte d’entrée de ce micrologement donne l’impression d’entrer dans une maison de poupées. Une cuisine longue de pas plus de six pieds nous accueille. Les basiques s’y trouvent en petit format : une plaque chauffante à deux ronds, un mini-frigo, un micro-ondes et quelques espaces de rangement soutenus par des tiroirs camouflés dans les marches de l’escalier. On n’y concoctera probablement jamais de grands festins – « mais est-ce nécessaire quand on retrouve des repas déjà cuisinés partout dans le quartier et qu’on peut encourager l’économie locale du même coup ? », demande l’architecte.

Vivre avec l’essentiel
  • Une mini-cuisine, avec ses essentiels en petit format

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    Une mini-cuisine, avec ses essentiels en petit format

  • La salle d’eau au plancher chauffant, pas plus grande qu’un placard.

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    La salle d’eau au plancher chauffant, pas plus grande qu’un placard.

  • Des tiroirs camouflés dans les escaliers servent d’espaces de rangement.

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    Des tiroirs camouflés dans les escaliers servent d’espaces de rangement.

  • Le salon se trouve à l’étage supérieur.

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    Le salon se trouve à l’étage supérieur.

  • La chambre à coucher occupe le dernier étage.

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    La chambre à coucher occupe le dernier étage.

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À côté de la cuisine, dans ce qui pourrait être un placard, se trouve une salle d’eau au plancher chauffant où se concentrent une toilette, un lavabo et une douche dans un espace si restreint qu’on peut se demander s’il est vraiment fonctionnel… La réponse est bien sûr oui, même s’il s’apparente davantage aux cabinets de toilette d’un VR qu’à une salle de bains standard.

L’étage supérieur est consacré au salon et peut accueillir confortablement cinq personnes. Rien de superflu dans cet espace comme dans tous les autres, d’ailleurs, mais on a tout de même réussi à y intégrer un coin bureau avec une étagère suspendue dont la tablette se déploie au besoin. De là, en empruntant quelques marches, on accède enfin à la chambre à coucher. Le rangement y a été maximisé avec un ameublement astucieux : un lit avec tiroirs, une petite commode et une tringle visible où l’on pourra suspendre quelques vêtements.

Le mobilier est inclus dans cette formule de « prêt à vivre » pensée pour les gens de passage comme les étudiants, souligne la porte-parole du promoteur, Alexandra Serafini. « Imaginez que vous veniez vivre à Montréal pour un an ou deux, mais que vous soyez obligé de vous procurer tous vos meubles ! Ici, on trouve du clés en main et du tout-inclus. On peut arriver et déposer sa valise. »

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« C’est un espace très privé qu’on ne voit pas de la rue et qui donne vraiment l’impression d’être un tout petit village », remarque Alexandra Serafini, porte-parole du Groupe Forum.

Une vision d’avenir

Louer une petite maison donnant accès à un jardin a quelque chose d’exceptionnel au centre-ville. Le concept offre une intimité, moins de « cohabitation » entre voisins et d’enjeux acoustiques, relève Amani Rizk. « Pour nous, le fait d’avoir pu récupérer un bâtiment existant est un joli bonus. On a beau faire le projet le plus écologique, si on démolit pour reconstruire, c’est moins intéressant que de faire de la récupération. Ce projet permet de réaffirmer certaines valeurs : a-t-on besoin de surconsommer et d’accumuler autant de biens ? »

Repenser la vie dans du très petit a été un défi stimulant, ajoute-t-elle, tout en déplorant qu’il soit si difficile de faire avancer un projet de ce type dans le cadre imposé par la Ville de Montréal. « On manque d’espace au centre-ville et ce genre d’idée est une façon de pousser la créativité plus loin pour densifier le territoire. Le concept de la micromaison fait son chemin depuis une vingtaine d’années au Québec. C’est une solution qui est tout simplement logique en milieu urbain. Il serait peut-être temps de s’asseoir pour revoir la réglementation et redéfinir le vivre en ville », lance-t-elle en conclusion.

Consultez le site du Groupe Forum

Un peu d’histoire

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L’ensemble résidentiel William D. Stroud est classé patrimonial.

Terminé en 1890, l’ensemble résidentiel William-D.-Stroud comprend six maisons mitoyennes de trois étages qui sont un bel exemple d’architecture résidentielle en milieu urbain. L’ensemble forme un tout homogène typique des maisons en terrasse construites pour la classe moyenne à la fin du XIXe siècle. Ses détails architecturaux d’époque ont été soigneusement préservés, notamment les fausses mansardes en ardoise, les lucarnes ou les portiques arrondis qui lui donnent un air magistral.

On y reconnaît la prestigieuse griffe de l’architecte d’origine écossaise Robert Findlay, aussi à l’origine du premier édifice de la Sun Life, de plusieurs maisons cossues de Montréal ainsi que de l’hôtel de ville et de la bibliothèque de Westmount. Pour toutes ces raisons, le complexe résidentiel de la rue Pierce est cité patrimonial et a subi sa première cure de rajeunissement en 1997 pour remettre en valeur ses attributs historiques.

En savoir plus
  • 2300 $
    Prix du loyer mensuel, incluant les services et les meubles