Alors que le jardin se met en dormance, l’occasion se présente d’en récolter non seulement les fruits, mais aussi les semences qui permettent d’alimenter un cycle d’une fascinante et précieuse générosité. Avec Terre promise, la semencière et autrice Lyne Bellemare défriche un savoir ancestral acquis au fil d’années de recherches sur le terrain. Rencontre avec une gardienne d’un patrimoine malmené.

Comment en vient-on à se passionner pour les semences ?

J’ai commencé dans les jardins communautaires parce que je n’avais pas beaucoup de sous et que ça me permettait de cultiver un jardin année après année, à partir de mes propres semences. J’ai réalisé que presque personne n’avait de connaissances sur le sujet. Les jardiniers plus âgés savaient reproduire des variétés plus connues, comme la tomate, mais aussitôt qu’on arrivait dans des bisannuelles ou des fleurs un peu plus compliquées, c’était le néant. Je suis tombée dans la soupe !

J’ai travaillé 10 ans pour Semences patrimoine Canada, puis j’ai fondé mon entreprise. On est très peu nombreux au Québec : seulement une vingtaine de semenciers. Quand je fais des recherches sur Google, je retombe bien souvent sur mon propre site. C’est un savoir peu valorisé et c’est sûr que je gagnais mieux ma vie comme interprète, mais je ne changerais de métier pour rien au monde.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Conserver ses semences permet de contrer l’insécurité alimentaire.

Quelle est la pertinence de conserver les semences ?

En premier lieu, c’est la sécurité alimentaire. On a perdu 75 % des variétés potagères au niveau mondial depuis un siècle, ce qui est un chiffre prudent. L’humanité est en train d’assister à la disparition de végétaux sélectionnés durant des années. Ils ne reviendront jamais. Avec la crise climatique que l’on vit, les semences sont une des clés pour arriver à nourrir tout le monde. C’est avec de nouvelles variétés qu’on aura sélectionnées pour résister à la sécheresse et aux pluies plus abondantes qu’on pourra faire face à ce qui s’en vient.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Lyne Bellemare se passionne pour les semences.

Comme la plupart de nos variétés ancestrales ont disparu, j’ai compris l’importance de les partager afin d’éviter qu’elles ne sombrent dans l’oubli.

Lyne Bellemare, semencière

Quel est le portrait au Québec ?

On ne possède pas de données pour le Québec, mais aux États-Unis, les recherches démontrent que c’est plus de 75 % des variétés potagères qui ont été perdues. Il est minuit moins une. Lors de la fermeture des frontières en raison de la COVID-19, les cultivateurs n’ont pas pu acheter les semences qui proviennent, pour la plupart, de l’extérieur du pays et qui étaient devenues aussi rares que le papier de toilette. C’était la débandade. Si on n’est pas autonomes dans nos semences, le concombre va être cher à l’épicerie !

Les agriculteurs doivent pouvoir échanger entre eux des semences qui sont adaptées à notre terroir, à l’agriculture biologique et écologique. Ça prend malheureusement une crise climatique pour que les gens commencent à réaliser l’importance de ce savoir-faire et l’accès à ces connaissances patrimoniales. Aucun cursus scolaire au Canada n’enseigne la culture et la conservation des semences. Comment un agriculteur peut-il apprendre à le faire ?

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Conserver les semences, c’est à la portée de tous.

Votre livre s’adresse à tous, y compris les jardiniers amateurs. Quel pouvoir a-t-on comme individu ?

Les semenciers ne peuvent pas avoir la responsabilité de sauvegarder toutes les variétés. Parfois, des gens viennent me voir avec les graines de tomates de leur grand-mère qu’ils ne peuvent plus garder parce qu’ils habitent en ville. C’est avec les jardiniers, avec un réseau d’amateurs, qu’on pourra préserver les dernières variétés. Et chaque personne peut faire une différence, même dans un petit jardin communautaire, pour reprendre le flambeau, et faire partager cet héritage à son tour.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Pensez à commander vos semences dès maintenant !

Quels sont vos conseils pour les débutants ?

Commencez par des variétés accessibles, c’est-à-dire les laitues, les haricots ou les tomates, qui sont les plus faciles à récolter et à conserver, et même quand on dispose d’un espace restreint. Ce n’est pas toujours concluant du premier coup : persistez et renseignez-vous. Certaines bibliothèques municipales offrent des formations. Plusieurs proposent un service d’emprunt de graines qu’on peut repartager en fin d’été en les ramenant pour les faire circuler.

Pensez aussi à commander vos semences dès maintenant. Avant la COVID-19, les gens avaient l’habitude de le faire en janvier-février. Maintenant, ça se passe avant Noël. J’annonce d’ailleurs qu’il y aura des pénuries cette année, parce qu’avec la météo qu’on a eue, beaucoup de cultures ont été mises à mal.

Les propos de cette entrevue ont été remaniés pour correspondre au format.

Qui est Lyne Bellemare ?

En 2007, Lyne Bellemare se lance dans l’univers des semences dans un jardin communautaire de Montréal. Sa curiosité est piquée au vif. Alors interprète en langue des signes, elle part à la recherche de techniques ancestrales oubliées et fonde sa semencière sept ans plus tard. Terre promise abrite plus de 250 variétés de semences de fleurs, fines herbes et légumes, récoltées en permaculture.

Terre promise. L’art de produire ses propres semences

Terre promise. L’art de produire ses propres semences

Québec Amérique

215 pages